La mise à l'eau, le 26 avril dernier, à Dalian, d'un deuxième porte-avions, illustre la montée en puissance de la marine chinoise. © L. GANG/XINHUA NEWS AGENCY/AFP

Qui n’a pas son porte-avions ?

Le Vif

Avec la Chine, le club fermé des pays disposant d’un navire amiral s’élargit, alors que l’Inde, la Russie, le Royaume-Uni et la France doivent renouveler leur flotte. Mais le fossé avec les Etats-Unis reste abyssal.

Fixés aux grilles du bastingage, des dizaines de drapeaux rouges à cinq étoiles dorées auréolent le pont d’envol. Des banderoles colorées habillent la proue protubérante du mastodonte des mers, long de 315 mètres. A bord, les haut-parleurs diffusent des chansons patriotiques, tandis que les bateaux alentour actionnent leur corne de brume. Ce 26 avril, dans les chantiers navals de Dalian, dans le nord-est du pays, la Chine célèbre la mise à flot de son deuxième porte-avions. Le bâtiment, dont le nom reste codé, le 002, ne sera pas opérationnel avant plusieurs années, mais la cérémonie, retransmise à la télévision d’Etat, fait date, observée par les marines du monde entier.

Chine - Liaoning - Longueur : 304 mètres - Aéronefs : 48 appareils - Tonnage : 60 000 t - Marins : 2000 - Remise en service : 2012.
Chine – Liaoning – Longueur : 304 mètres – Aéronefs : 48 appareils – Tonnage : 60 000 t – Marins : 2000 – Remise en service : 2012.© CHINA DAILY/REUTERS

Ce futur navire amiral, 100 % made in China, n’est pourtant pas très sophistiqué : il relève de la même conception que le premier, le Liaoning, ex-Varyag soviétique racheté à l’Ukraine en 1997, doté de moteurs Diesel et d’une piste d’envol inclinée, en forme de tremplin à ski – sans catapulte, ce qui limite les performances des avions qu’il embarque. Cependant, il illustre la montée en puissance inexorable de la marine chinoise, déjà la deuxième au monde en tonnage, aux ambitions océaniques. La production industrielle de Pékin, menée tambour battant, est proprement  » hallucinante « , dixit un officier français : en seulement quatre ans, près de 80 navires de guerre de toute sorte et de toute taille – sous-marins, frégates, corvettes… – sont sortis des chantiers, soit presque l’équivalent de la totalité de la marine française !  » Les Chinois ont notamment construit huit pétroliers ravitailleurs, ce qui signifie qu’ils veulent aller loin et longtemps en mer, en prévision des porte-avions, qui sont gourmands en carburant « , souligne le spécialiste des flottes de combat Bernard Prézelin (1). Le programme militaire chinois est secret, tout comme son budget réel, en progression constante, mais les experts estiment que Pékin projette de construire au moins quatre porte-avions dans l’avenir – jusqu’à six selon certaines sources. Le Liaoning, lui, est opérationnel depuis 2012 mais, pour l’heure, il servirait de bateau d’entraînement à la nouvelle flottille aéronavale. En décembre dernier, les pilotes ont effectué des essais en mer Jaune, avant que le navire, accompagné par son escorte constituée de frégates et de sous-marins, se dirige vers l’ouest du Pacifique en traversant le chapelet d’îles séparant Taïwan du sud du Japon, dont la souveraineté est l’objet de fortes tensions régionales. Comme un chiffon rouge, cette première sortie dans le vaste océan a inquiété ces deux pays.  » La menace de notre ennemi grandit de jour en jour « , a déclaré le ministre de la Défense taïwanais.  » Par rapport à ses voisins d’Asie du Sud-Est, la Chine accentue son avance et se positionne en puissance dominante, analyse Sébastien Colin, chercheur au Centre d’études français sur la Chine contemporaine, à Hong Kong. Le pays envoie aussi un signal aux Etats-Unis, même si l’écart technologique avec l’US Navy reste abyssal. Ces deux porte-avions – le Liaoning et le 002 – concrétisent la volonté de la Chine de se doter d’une flotte de haute mer afin de sécuriser ses routes maritimes. Leur vocation est de naviguer à l’intérieur de la première chaîne d’îles des mers de Chine, méridionale et orientale, qui va de l’archipel nippon à Bornéo en passant par Taïwan et les Philippines. Mais les suivants iront plus loin, dans le Pacifique, dans l’océan Indien et au-delà, veiller à la sécurité des intérêts économiques et des ressortissants chinois.  » Ces navires devraient aussi être affectés à la protection des bruyants sous-marins chinois : les avions couvriraient leurs sorties, contre les nombreuses bouées acoustiques déposées dans la zone par les Américains et les Japonais.

Etats-Unis - USS Gerald Ford - Longueur : 333 mètres - Aéronefs : 70 appreils - Tonnage : 100 000 t - Marins : 4539 - Mise en service : été 2017.
Etats-Unis – USS Gerald Ford – Longueur : 333 mètres – Aéronefs : 70 appreils – Tonnage : 100 000 t – Marins : 4539 – Mise en service : été 2017.© MCC C. DELANO/US NAVY/AFP

Est-ce un hasard ? Cette annonce a lieu alors que les tensions s’accentuent dans la région ces derniers temps, dans les mers de Chine et face à la Corée du Nord. Depuis l’élection de Donald Trump, Kim Jong-un multiplie les essais de tir de missiles balistiques. En guise de réponse, les Etats-Unis ont envoyé en mer du Japon deux de leurs plus gros porte-avions, l’USS Carl Vinson et l’USS Ronald Reagan, à la puissance de feu redoutable, qui ont effectué trois jours d’exercices au début de juin. L’appareillage d’un porte-avions constitue en soi un signal politique, en relevant d’un cran la posture militaire. La plupart du temps, cela calme les tensions. Sauf dans le cas du dictateur nord-coréen, qui a récidivé le 8 juin…

Avant d’être offensifs, ces porte-avions sont des instruments de dissuasion militaire, de gesticulation diplomatique et de communication politique. Afin de rassurer l’opinion, la France a ainsi ordonné l’envoi en Méditerranée orientale de son Charles de Gaulle en 2015 et en 2016, après chaque attentat (Charlie Hebdo, Bataclan et Nice) : ses Rafale embarqués ont renforcé les chasseurs de l’armée de l’air basés en Jordanie et aux Emirats arabes unis. La Russie, elle, a cherché à démontrer sa puissance militaire retrouvée en déployant son unique porte-avions, l’Amiral Kouznetsov, conçu dans les années 1980, dont la fumée, dit-on, se voit depuis l’espace. En novembre 2016, son déploiement au large des côtes syriennes, depuis son port base de Severomorsk, a mobilisé toutes les flottes de l’Otan, qui se sont relayées pour le suivre à la trace. Cette expédition, présentée par les médias russes comme historique, constituait la première sortie opérationnelle de son groupe aérien, pendant laquelle il a perdu deux avions qui se sont crashés. Selon Le Monde, Moscou en a profité pour introduire, dans son sillage, deux sous-marins nucléaires en Méditerranée…

Inde - INS Vikramaditya - Longueur : 285 mètres - Aéronefs : 38 appareils - Tonnage : 44 570 t - Marins : 1926 - Mise en service : 1987
Inde – INS Vikramaditya – Longueur : 285 mètres – Aéronefs : 38 appareils – Tonnage : 44 570 t – Marins : 1926 – Mise en service : 1987© S. ANDRADE/REUTERS

La mer se remilitarise

Ces diverses manoeuvres plus ou moins belliqueuses indiquent une nette tendance à la remilitarisation des mers. Le combat naval avait pourtant presque disparu des doctrines occidentales. Pendant vingt-cinq ans de  » dividendes de la paix « , les océans sont apparus comme des espaces de manoeuvres totalement libres, où il était possible de naviguer sans risque. Ainsi, les armes antinavires ont été remplacées par des missiles de croisière frappant la terre.  » Tout porte à croire que cette période est en train de s’achever « , relève un officier de la Marine française dans un numéro spécial de la Revue Défense nationale (2). Dans ces conditions, le porte-avions, qui était considéré comme un outil complémentaire, redevient, selon l’officier,  » un atout majeur des grandes marines qui ont compris que, dans une dynamique de contestation des espaces maritimes, ces plateformes disposent de capacités de frappe à longue distance qui déclassent ceux qui n’en sont pas pourvus « . Bernard Prézelin ajoute un autre atout :  » Ces bases aériennes flottantes sont capables de se déplacer de quelque 1 000 kilomètres par jour, et leurs avions n’ont besoin d’aucune autorisation de survol en mer.  »

France - Charles De Gaulle - Longueur : 262 mètres - Aéronefs : 40 appareils - Tonnage : 42 500 t - Marins : 1900 - Mise en service : 2001.
France – Charles De Gaulle – Longueur : 262 mètres – Aéronefs : 40 appareils – Tonnage : 42 500 t – Marins : 1900 – Mise en service : 2001.© P. WOJAZER/REUTERS

A l’heure des missiles hypersoniques et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, certains croyaient ces grands navires vulnérables dépassés. Il n’en est rien : la Chine, l’Inde et la Russie cherchent aussi désormais à développer de nouveaux porte-avions, avec un système de catapulte et une propulsion nucléaire, comme sur les navires américains et français. New Delhi, qui vient de moderniser son Vikramaditya, de conception soviétique, comme le Liaoning, observe d’un oeil méfiant les ambitions chinoises dans l’océan Indien, où Pékin développe des bases, notamment au Pakistan et à Djibouti. Très soucieuse de son pré carré, la marine indienne ambitionne de construire un deuxième porte-avions d’ici à 2030, voire un troisième. Tandis que l’Amiral Kouznetsov, de retour de mission, entame une longue période d’entretien et de modernisation de ses équipements, la marine russe, elle, évoque de le remplacer, à terme, par deux énormes navires modernes et lourdement armés.

 » Avec ces vrais porte-avions, souligne l’historien naval Alexandre Sheldon-Duplaix, ces trois pays augmenteront une influence qui fait défaut à l’Europe avec un seul vrai mais petit porte-avions, le Charles de Gaulle.  » D’ici là, vers 2025, le Royaume-Uni, qui n’en avait plus, aura remis à l’eau deux navires de plus de 65 000 tonnes, le Queen Elisabeth et le Prince of Wales, avec un groupe aérien constitué de F35B, le dernier-né des chasseurs américains, à décollage vertical. Tandis que la France devra penser à renouveler le sien.

Russie - Amiral Kouznetsov - Longueur : 304 mètres - Aéronefs : 30 appareils - Tonnage : 59 400 t - Marins : 2600 - Mise en service : 199.
Russie – Amiral Kouznetsov – Longueur : 304 mètres – Aéronefs : 30 appareils – Tonnage : 59 400 t – Marins : 2600 – Mise en service : 199.© ANDREY LUZIK/PRESS SERVICE OF THE NORTHERN FLEET/AFP

Tout cela n’est rien en comparaison de la force de frappe américaine. Avec dix groupes aéronavals (contre 15 naguère), l’US Navy n’arrive pas à couvrir l’ensemble des missions qu’elle se fixe dans le monde ! Pour combler cette  » pénurie « , elle a demandé, en 2016, au Charles de Gaulle d’assurer le relais en Méditerranée orientale ; du jamais-vu. Avec le USS Gerald R. Ford, qui sera opérationnel cet été, les Etats-Unis inaugurent une nouvelle classe de navires, avec une catapulte électromagnétique – au lieu d’un système à vapeur – capable de propulser des avions très lourds, mais aussi des drones. Malgré le coût de ce bâtiment (12,9 milliards de dollars), Donald Trump souhaite doter les Etats-Unis d’une flotte de douze unités dans l’avenir. Question de statut.

(1) Flottes de combat 2016, par Bernard Prézelin, Editions maritimes & d’outre-mer.

(2) « Du porte-avions », Revue Défense nationale, mars 2017.

Par Romain Rosso.

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