© Reuters

Que vaut la jeunesse perdue d’un enfant soldat?

Le Vif

La Cour pénale internationale (CPI) tente de déterminer le montant des indemnisations destinées aux anciens enfants soldats forcés à combattre dans une milice congolaise voici une dizaine d’années, mais « comment calcule-t-on une jeunesse perdue? », s’est interrogé mardi un avocat des victimes.

Aujourd’hui adultes, les victimes de l’ancien chef de guerre congolais Thomas Lubanga « sont fatiguées de ce combat », a rapporté l’avocat Luc Walleyn.

« Il y a des préjudices qu’on ne peut pas calculer. Comment calcule-t-on une jeunesse perdue? Est-ce que cela vaut un million? Un demi-million, 100.000 euros, 10.000 euros, mille euros? », a questionné le représentant légal des victimes.

Six ans après son transfèrement à la CPI en 2006, Thomas Lubanga a été reconnu coupable d’avoir enrôlé des enfants, dont certains de onze ans à peine, et de les avoir utilisés comme soldats ou gardes du corps en 2002 et 2003 en Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).

L’ancien chef de l’Union des patriotes congolais (UPC) avait été condamné à 14 ans de prison. Mais la Cour basée à La Haye a jugé qu’il devait payer « personnellement » des indemnisations collectives destinées à ses victimes.

Ouvert en 2012, le volet « réparations » s’est embourbé lorsqu’avocats et experts se sont opposés sur la meilleure manière d’aider les victimes.

Marqués à vie

Lors de la longue procédure d’identification des victimes, ceux qui « ont perdu une bonne partie de leur jeunesse dans cette milice » ont dû « encore et encore exposer ce qui leur était arrivé », a lancé M. Walleyn.

« C’est dur. Il y a des hommes pour qui c’est un souvenir d’enfance mais qui pleurent quand ils en parlent », a rapporté l’avocat.

Ces victimes sont « souvent oubliées et très vulnérables, souffrant leur vie durant des conséquences de leur stigmatisation », a expliqué aux juges James Mehigan, avocat de l’ONG Child Soldiers International.

De retour chez elles, parfois après plusieurs années et souvent avec un enfant issu des viols dont elles ont été victimes, de nombreuses jeunes filles qui avaient été forcées d’intégrer les rangs de la milice sont rejetées par leurs familles et leurs communautés.

« Beaucoup ont songé au suicide », a révélé Brigid Inder, directrice exécutive de Women’s Initiatives for Gender Justice.

La plupart souhaitent avant tout « retourner à l’école », souligne M. Mehigan, pour « apprendre et gagner à nouveau le respect de leur communauté ».

Dans une peur constante

Mais, alors que le responsable de leurs souffrances purge la fin de sa peine dans une prison congolaise et devrait être libéré d’ici à 2019, les victimes craignent des représailles si elles parlent.

Car Thomas Lubanga n’a jamais « reconnu ses crimes ou exprimé ses excuses » tandis que l’influent UPC reste « une force politique active en Ituri », a précisé Mme Inder.

A ses yeux, le gouvernement congolais devrait s’excuser publiquement pour n’avoir pas réussi « à protéger les enfants de l’Ituri », cette région riche en or notamment, en proie à des violences qui ont fait quelque 60.000 morts depuis 1999.

Un million d’euros a été alloué au dossier par le Fonds au profit des victimes, qui reçoit des contributions volontaires de gouvernements membres de la CPI, d’organisations internationales et de particuliers.

Cet organe indépendant mis en place par le statut de Rome, traité fondateur de la CPI, demande notamment l’approbation des juges pour son plan d’action de trois ans visant à réhabiliter les victimes.

Cependant, les experts souhaitent que la Cour accorde un montant plus élevé et une durée de cinq ans nécessaire à la mise en place de programmes d’éducation, d’aide psychologique et de centres médicaux spécialisés.

La proposition du Fonds est « manifestement insuffisante », d’après Mme Inder, qui suggère entre 1,5 et 1,8 million d’euros par an durant cinq ans.

Une décision concernant le programme du Fonds et le montant total des indemnisations sera rendue à une date ultérieure.

Le Fonds, qui parle de 3.000 enfants dans les rangs de l’UPC à l’époque, est également chargé d’évaluer le nombre de victimes concernées, établi à 31 jusqu’à présent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire