Shimon Peres, ex-président israélien et Nobel de la paix. © REUTERS/Baz Ratner

Quand Shimon Peres citait un proverbe arabe…

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dans un livre d’entretiens avec Robert Littell, l’homme se dévoilait au-delà du leader politique. Où il est question des chrétiens et de l’antisémitisme, de la faiblesse d’Arafat et d’un cadeau fait à François Mitterrand…

Shimon Peres colombe : il est l’artisan des accords de paix d’Oslo en 1993. Shimon Peres faucon : il ordonne l’opération militaire qui aboutit au massacre de Cana au Sud-Liban sans pour autant lui permettre d’éviter la défaite aux élections législatives de 1996 qui voient l’avènement de la droite dure de Benjamin Netanyahou. Quel était le véritable Shimon Peres ? Après avoir vécu ses plus belles années en politique, en cette fin 1996, il se livre dans plusieurs entretiens avec l’écrivain américain Robert Littell, le père de Jonathan. Conversations avec… Shimon Peres (Denoël) paraît en 1997. Le livre dévoile l’homme derrière le dirigeant politique. Extraits pour mieux cerner le lauréat du prix Nobel de la paix 1994 décédé la nuit dernière.

Sur l’attitude des chrétiens à l’égard des juifs avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Pour moi, le problème est de savoir où s’arrête la facilité et où commence l’éthique. Ce qui est arrivé à l’Europe et aux chrétiens dans leur ensemble, c’est que la notion de facilité a écrasé leur sens des valeurs fondamentales. Ils n’ont pas compris Hitler. Ils n’ont pas voulu comprendre Hitler. Comprendre Hitler les aurait mis dans l’embarras. Alors, de cet embarras, on a tiré une politique globale à la fois en Angleterre et en France. Les démocraties répugnent souvent à reconnaître les dangers. Cela leur rend la vie trop difficile. C’est pourquoi les démocraties ne sont pas agressives et ne prennent pas en général l’initiative de la guerre. Mais elles ne sont pas assez défensives lorsqu’elles sont confrontées au danger. Je veux donc dire que le fait de fermer les yeux, de dire qu’on n’a pas compris, qu’on ne savait pas, ce n’est pas si épouvantable que ça : cela fait tout simplement partie du jeu. »

Sur la décision de négocier les accords de paix d’Oslo avec Arafat.

(Le point de départ pour les accords d’Oslo a-t-il été la faiblesse de M. Arafat ?) « Oui, la faiblesse de M. Arafat et le risque qu’il disparaisse. J’entends par là que sa disparition constituait à mon avis un danger plus grand que son existence. (…) Sa faiblesse le poussait à chercher s’il y avait quelque chose à faire, et il ne trouvait rien. Ceux qui s’opposaient à lui ne cessaient de gagner en puissance. Dès l’instant où nous l’avons rencontré, la situation a été inversée ».

Sur la modération en politique.

« L’extrémisme comporte une grande part d’aveuglement et d’admiration illimitée. Ainsi, quand on fait partie d’un camp qui est par définition modéré, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de hourras, à beaucoup de soutien et à une adhésion totale. Ce n’est qu’après votre mort que l’admiration s’exprime soudain pleinement. Mais quand vous êtes en vie, l’admiration n’existe pas. (…) On doit être capable de supporter une certaine frustration tout au long du chemin avant de pouvoir observer les résultats de ce que l’on a fait. Il y a un proverbe arabe que j’aime particulièrement, il dit que le chameau qui transporte le sucre à La Mecque doit assouvir sa faim en mangeant des épines. Même quand on transporte du sucre sur son dos, on doit être prêt à se nourrir d’épines en chemin »

A propos du roi Hussein de Jordanie, « coupable » d’avoir soutenu Saddam Hussein pendant la guerre d’Irak, devenu ensuite allié d’Israël.

« On ne juge pas ses amis en s’appuyant sur le passé, mais en s’appuyant sur l’avenir. Si l’on jugeait ses amis en fonction de leur passé, on n’aurait guère d’amis »

Sur une certaine idée de la courtoisie en politique.

(François Mitterrand interroge Shimon Peres sur son absence à la cérémonie d’intronisation du président français en 1981) « Je lui a raconté la vérité. Menahem Begin (NDLR : premier ministre israélien de 1977 à 1983) avait décidé de bombarder le réacteur nucléaire irakien le jour même de l’investiture de Mitterrand. Je suis allé voir Begin et je lui ai dit : Ecoutez, ça ne se fait pas. C’est un réacteur français. Vous ne pouvez pas agir un tel jour. Ce sera interprété comme une provocation. Begin a accepté de remettre l’opération, mais je n’étais pas certain qu’il tiendrait parole. Alors j’ai décidé de rester en Israël pour m’en assurer. Par la suite, j’ai appris que Mitterrand avait dit à des amis : « Où voulez-vous trouver un ami comme Peres ? ».

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