Le 4 juillet, pour la fête nationale, en Alaska. © Facebook

Quand Mark Zuckerberg va à la pêche aux anciens conseillers de la Maison-Blanche

Le Vif

En campagne, Mark Zuckerberg ? Le fondateur de Facebook parcourt les Etats-Unis et recrute d’anciens conseillers proches de la Maison-Blanche. D’autres patrons du high-tech pourraient suivre son exemple.

Parfois, il suffit d’un événement pour changer d’avis. La publication des résultats définitifs de l’élection présidentielle américaine, en novembre dernier, a créé un électrochoc dans la Silicon Valley, l’immense pôle de quelque 6 000 entreprises de haute technologie situé dans le sud de la baie de San Francisco. Souvent recrutés à l’étranger en raison de leurs talents exceptionnels, la majorité des salariés avait sous-estimé les chances de Donald Trump d’accéder à la fonction suprême.

Dès le 27 janvier, soit une semaine jour pour jour après son investiture, le sulfureux milliardaire confirme leurs pires craintes en signant un décret qui interdit l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays : Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen. Qualifié par ses critiques de  » muslim ban  » (interdiction aux musulmans), le texte prévoit aussi le gel de l’accueil des réfugiés. Peu importe si la justice réduit peu après la portée du projet. Sa simple existence représente une déclaration de guerre pour les informaticiens brillants et souvent iconoclastes de la Silicon Valley. La riposte s’organise à l’ombre des palmiers californiens.

Le nouveau locataire de la Maison-Blanche ne manque pas d’opposants, certes, mais les républicains dominent désormais les deux chambres du Congrès et le Parti démocrate demeure ébranlé par l’échec de sa candidate, Hillary Clinton. Le mouvement mettra du temps à se consolider. Bref, il n’existe pas d’opposition organisée face au nouvel occupant du bureau Ovale. Alors, comment faire ?

 » C’est dans les périodes difficiles que la Silicon Valley révèle ce qu’elle a de meilleur « , déclarait, en 2008, le fondateur de Google, Sergey Brin. Ce dernier est le premier à partager son émotion avec ses employés : le décret présidentiel affecterait, directement ou indirectement, plus de 187 d’entre eux.  » Les Etats-Unis sont une nation d’immigrants et nous devrions en être fiers « , déclare Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. Dans la foulée, plus d’une centaine de ténors de la Valley entament une procédure judiciaire pour dénoncer les dommages importants que causerait le décret  » au commerce américain, à l’innovation et la croissance (en rompant avec) les principes d’équité et de prédictibilité qui ont régi le système de l’immigration aux Etats-Unis depuis plus de cinquante ans « .

Fin 2016, à Lima, au Pérou, avec Justin Trudeau.
Fin 2016, à Lima, au Pérou, avec Justin Trudeau.© FACEBOOK

Un sentiment de culpabilité

Le muslim ban a touché un point sensible chez des patrons de la tech, issus en majorité de l’immigration. Sergey Brin a quitté l’Union soviétique en 1978, à l’âge de 5 ans. Sundar Pichai, directeur général de Google, est originaire d’Inde, tout comme le patron de Microsoft, Satya Nadella. Yahoo, eBay ou encore Instagram ont été créées par des immigrés. Steve Jobs aussi, le fondateur d’Apple, était un fils d’immigré syrien… Dans la baie de San Francisco, les étrangers représentent plus de 37 % de la population. Mais la soudaine prise de conscience des patrons du high-tech a d’autres causes, liées à ce coin de la Californie et à son histoire.

A la fin des années 1960, quand  » The Valley  » voit le jour, la baie de San Francisco est associée à une recherche utopiste du bonheur et à la contre-culture hippie. D’emblée, la région se développe dans une bulle…  » Les travailleurs californiens disposent de droits beaucoup plus étendus que dans le reste des Etats-Unis, rappelle Jérôme Lecat, l’un des entrepreneurs français de la Silicon Valley, fondateur de Scality, spécialisée dans le stockage de masse. Les conflits sociaux y sont rares, car les employeurs du high-tech mettent tous les moyens en oeuvre pour améliorer le confort de leurs salariés.  »

En allant sur le terrain, Mark Zuckerberg réussit là où Hillary Clinton a échoué

 » L’élection de Trump a eu un effet coup de massue pour les habitants de la Valley, souligne Géraldine Le Meur, expatriée en Californie depuis plus de dix ans et dirigeante d’un incubateur, The Refiners. Les grands patrons s’imaginaient que leurs innovations profiteraient au monde entier. Les électeurs de Trump leur ont démontré que la révolution numérique n’était pas aussi idyllique qu’ils l’imaginaient. Les plates-formes communautaires, telles qu’Uber, par exemple, détruisent nombre d’emplois stables. Beaucoup, au sein même des Etats-Unis, ne tirent aucun bénéfice des avancées technologiques.  »

A ce réveil de la conscience s’ajoute un sentiment de culpabilité. Les dernières élections américaines auront fait émerger comme jamais auparavant le phénomène des  » fake news « , ces informations bidon diffusées notamment par le biais de Facebook, le plus grand réseau social du monde. Ses algorithmes ont été accusés d’avoir facilité la propagation de rumeurs et de fausses nouvelles durant la campagne et d’avoir contribué à la victoire du candidat républicain. Un soutien fictif du pape François au candidat Trump a ainsi été partagé plus de 868 000 fois sur Facebook.

Le 30 avril, dans une ferme du Wisconsin.
Le 30 avril, dans une ferme du Wisconsin.© FACEBOOK

Sans doute conscient des effets négatifs qu’a eus cette campagne sur l’image de sa compagnie, Mark Zuckerberg s’est lancé depuis plusieurs mois dans une tournée à travers les Etats-Unis.  » Depuis des décennies, la technologie et la mondialisation nous ont rendus plus productifs et plus connectés, explique-t-il. Cela a apporté de nombreux avantages. Mais, pour beaucoup de gens, cela a rendu la vie plus difficile aussi […]. Nous devons trouver un moyen de changer le système afin qu’il fonctionne pour tous.  » Assisté d’un photographe, le jeune milliardaire utilise avec habileté son propre réseau social pour faire passer ses messages et diffuser les images de sa tournée. Un jour, Mark donne le biberon à un veau dans le Wisconsin. Puis, il rencontre des militaires en Caroline du Nord. A l’occasion de la fête nationale, le 4 juillet, le voici qui pêche le saumon en Alaska… Un voyage à travers l’Amérique profonde qui prend l’allure d’une campagne et ouvre la porte aux spéculations.

 » Zuckerberg est en train de réussir là où Hillary Clinton a échoué, estime Jean-Louis Gassée, ancien cadre dirigeant chez Apple et précurseur du high-tech. La candidate démocrate avait fait l’erreur de parler avec condescendance des électeurs de Trump, renforçant son image de bureaucrate, pur produit de Washington. Zuckerberg, à l’inverse, a décidé de s’extirper de sa cage dorée de Palo Alto pour aller à la rencontre des Américains dans leur immense diversité.  »

Le 12 juillet, chez un éleveur du Dakota du Sud.
Le 12 juillet, chez un éleveur du Dakota du Sud.© FACEBOOK

L’atout jeunesse

Certes, le fondateur de Facebook prend soin de nier toute ambition politique. Tout laisse à penser, cependant, qu’il pourrait briguer un mandat présidentiel. Désormais invité d’honneur au G8 comme au Vatican, Mark Zuckerberg troque ses pulls à capuche de Harvard et ses soirées pizza pour des costumes-cravates et des dîners présidentiels. Au sein de sa fondation, signe des temps, il recrute d’anciens responsables de campagnes présidentielles – David Plouffe, ex-directeur de campagne de Barack Obama, l’a rejoint en janvier, suivi, le 5 août, par Joel Benenson, proche conseiller de Hillary Clinton. La Benenson Strategy Group, son entreprise, sera chargée de la gestion et de la promotion de la fondation philanthropique Chan Zuckerberg Initiative, dont l’ambition est de promouvoir  » le potentiel humain et l’égalité « . Tout un programme…

Dans ce pays où la religion joue un rôle essentiel, surtout dans la vie politique, Mark Zuckerberg a aussi profité des fêtes de Noël pour annoncer qu’il n’était plus athée, ajoutant que la religion était désormais un sujet important à ses yeux. Le 14 mai 2020, le talentueux homme d’affaires aura 36 ans, une année de plus que l’âge minimum prévu dans la Constitution américaine pour pouvoir se présenter à une élection présidentielle. Sa jeunesse pourrait être un atout de taille pour les démocrates, dont les électeurs semblent réclamer un renouvellement de la classe politique. Un phénomène mondial, qui a aussi atteint la France.

Si Zuckerberg se défend pour l’instant de toute implication politique, d’autres cadres de la Silicon Valley tentent de révolutionner le camp démocrate par des méthodes propres aux entreprises high-tech. En juillet dernier, Reid Hoffman, créateur de LinkedIn, s’est associé à Mark Pincus, cofondateur de Zynga, pour lancer  » Win the Future  » – comprenez WTF -, un  » lobby populaire « , dans le but de remodeler le Parti démocrate. Leur méthode ? Inviter les Américains à débattre sur Twitter, puis relayer les propositions les plus populaires sur des panneaux publicitaires à Washington afin d’attirer l’attention des parlementaires.

La Silicon Valley monte en première ligne pour dénoncer la politique anti-immigration de Donald Trump. Ici, à Palo Alto, en mars dernier.
La Silicon Valley monte en première ligne pour dénoncer la politique anti-immigration de Donald Trump. Ici, à Palo Alto, en mars dernier.© J. EDELSON/AFP

L’entrepreneuriat social

Quant à Sam Altman, président du plus important incubateur de start-up de la Silicon Valley, Y Combinator, il a décidé de créer  » un incubateur politique  » destiné aux candidats démocrates. Le jeune homme d’affaires ne plaisante pas. Il a un temps été pressenti comme candidat au poste de gouverneur de la Californie.

Autrefois cantonnés à des rôles de financement et de lobbying, les cadres de la Valley n’hésitent plus à intervenir au sein des partis politiques. Nicolas Hazard, fondateur du Comptoir de l’innovation, mène ainsi une campagne pour l’entrepreneuriat social en Californie.  » Dans la Valley, il a longtemps existé une grande défiance à l’égard des collectivités, rappelle-t-il. Beaucoup jugent l’Etat incapable de mener à bien des politiques économiques. Résultat, les entreprises n’hésitent pas à prendre des initiatives dans le domaine social.  » Une tendance que confirme Alexandre Coutant, professeur de communication à l’université de Québec, à Montréal :  » L’idée selon laquelle l’Etat est au mieux inutile, voire néfaste, est très assumée. A tort ou à raison, beaucoup estiment que la société serait bien plus performante si on laissait certaines entreprises prendre en charge les grandes tâches régaliennes.  »

Les Américains se laisseront-ils convaincre de la justesse du programme de Zuckerberg ? Plus de 94 millions d’abonnés suivent son compte Facebook. Pour lui, c’est un bon début…

Par Bogdan Bodnar.

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