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Quand le pétrole impose la diète aux pétromonarchies

Jean-Marc Damry
Jean-Marc Damry Rédacteur au Vif L'Express

Les cours de l’or noir n’en finissent pas de baisser. Dans les monarchies du Golfe, place à l’austérité. Du jamais vu ! Décryptage.

Les plus de 50 ans se souviennent encore de ces dimanches sans voiture, où nos autoroutes furent transformées en gigantesques espaces de promenade ou en immenses pistes de skateboard. C’était un des effets les plus marquants du premier choc pétrolier, conséquence de la décision de l’Opep d’augmenter de 70 % les prix du baril de pétrole, d’instaurer un embargo sur les livraisons de brut vers les Etats-Unis et l’Europe et de réduire la production à raison de 5 % par mois. Tout cela en représailles au soutien affiché par l’Occident à Israël lors de la guerre du Kippour en octobre 1973. Aujourd’hui, c’est un peu le monde à l’envers. Les cours du baril n’arrêtent plus de baisser, au point de plonger les pays producteurs de pétrole dans un contexte jusqu’ici inconnu : l’austérité. Et le pire, pour eux, est peut-être encore à venir. En début de semaine, à l’annonce de la levée des sanctions internationales à l’encontre de l’Iran, les bourses du Golfe ont dégringolé (- 6 % à Dubaï et à Doha, – 5,5 % à Riyad, – 4,5 % à Abou Dhabi). Les investisseurs anticipaient-ils l’impact du retour du pétrole iranien sur les marchés qui va structurellement peser sur le niveau des cours, tant le déséquilibre entre offre et demande risque de s’accroitre, au moins aussi longtemps que l’Arabie saoudite maintiendra son niveau de production actuel ?

Une question de parts de marché

Dans le passé, l’Opep, et surtout Riyad, a presque toujours joué un rôle de soupape pour rééquilibrer les marchés, baissant généralement sa production lorsque les cours étaient tirés vers le bas. Depuis l’automne 2014, l’Arabie saoudite a changé son fusil d’épaule, refusant désormais de jouer ce rôle de régulateur de l’offre mondiale. Il faut voir là une volonté (de l’entourage) du nouveau monarque saoudien de maintenir en l’état les parts de marché de son pays et donc de garder intacte son influence sur l’échiquier géopolitique mondial. Même s’il lui en coûte très cher à court terme, l’Arabie saoudite a théoriquement les moyens de cette politique.

Avec un baril cotant sous la barre des 28 dollars, l’Arabie saoudite est cependant loin de produire à perte tant ses prix de revient figurent parmi les plus bas au monde. Idem pour les Emirats arabes unis. En revanche, pour les exploitants de champs pétrolifères au large du Brésil, en mer du Nord ou sur les plateformes de pétrole de schiste, c’est tout autre chose ! Aux cours actuels, non seulement leur production n’est plus rentable mais leurs investissements dans de nouveaux gisements sont découragés. De telles conditions devraient dès lors amener nombre de producteurs à « fermer le robinet » de certains champs pétrolifères et aussi pénaliser les investissements dans les alternatives à l’or noir du Golfe persique… C’est alors seulement que, baisse de l’offre oblige, les cours pourront repartir à la hausse.

Faire ceinture !

Sous la barre des 28 dollars le baril, les pays qui dépendent des recettes pétrolières tirent vraiment la langue, incapables qu’ils sont de maintenir leur train de vie. Certains pourraient toutefois faire exception. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar ou le Koweït, vu le niveau incommensurable de leurs fonds souverains, sont en mesure de faire le gros dos, à tout le moins à court et moyen termes. « Ces fonds ont pour vocation à la fois de permettre à ces pays de préparer l’après-pétrole mais aussi de faire face à des soucis d’ordre conjoncturel, explique au Vif/L’Express Francis Perrin, président-fondateur du magazine Stratégies et Politiques énergétiques (SPE). Reste que la chute vertigineuse de la rente pétrolière a tout de même amené l’Arabie saoudite à revoir sa politique budgétaire de façon radicale. L’Etat a augmenté de plus de 50 % les taxes sur l’essence, diminué les subventions en matière de production électrique et sabré dans ses dépenses publiques (lire page 70). Il envisage aussi de privatiser une partie de Saudi Aramco, « le sang de la nation », dans les faits, la plus grosse société pétrolière du monde ». Les Emirats arabes unis, grâce à la rente pétrolière, ont développé les infrastructures à un rythme effréné. Ils devront lever le pied si les cours du brut devaient effectivement rester à des niveaux planchers. Impossible en effet de dégager les moyens de ses ambitions avec un baril de pétrole sous la barre de 30 dollars, alors qu’il était encore à plus du double il y a un an et que d’aucuns, à commencer par la banque Goldman Sachs, l’imaginaient même atteindre les 200 dollars ! La réalisation de certains projets d’envergure devra probablement être ralentie, reportée, voire annulée. Tout cela pourrait-il amener les Emirats à revoir à la baisse leurs prétentions en rapport avec l’organisation de l’exposition universelle de 2020 ? « Tout est question d’arbitrages politiques, poursuit Francis Perrin. Il y a en tout cas tout lieu de penser que certains projets phares continueront à rester des priorités nationales pour les autorités ». Cela devrait aussi être le cas pour le Mondial de 2022 au Qatar…

Un risque de tensions sociales

En 2011, le vent de la révolution de Jasmin en Tunisie avait soufflé jusqu’aux monarchies du Golfe. Bahreïn fut le théâtre d’un soulèvement de sa jeunesse. Le régime sunnite, aidé par l’Arabie saoudite, y répondit par une répression violente de manifestants issus essentiellement de la majorité chiite de la population. Face à cet avertissement, sultans, émirs et rois des alentours ont donc fini par lâcher du lest, en augmentant les salaires et autres subventions à destination de leur population. C’est à ce prix que la paix sociale et la stabilité économique furent maintenues. Le niveau d’alors des cours du pétrole le permettait largement. Mais qu’en sera-t-il demain ? Ces populations vont-elles rester de marbre face aux programmes d’austérité dans lesquels les monarchies du Golfe se lancent à présent ? Le risque est en tout cas latent de voir la tension monter d’un cran. Certes, les fonds souverains sont suffisamment dotés pour jouer un rôle de soupape de sécurité mais, à l’instar du pétrole, ils ne sont pas inépuisables… « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus », prévenait in tempore no suspecto le milliardaire américain Warren Buffet. Un aphorisme sur lequel beaucoup feraient bien de méditer aujourd’hui…

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