Les données satellites sont directement exploitables par le matériel agricole. © RICHARD NEWSTEAD/GETTY IMAGES

Quand des clichés pris du ciel engendrent une vague de projets agricoles connectés

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Surveiller un champ sur une tablette via des photos satellites ne relève pas de la science-fiction. Plus accessibles que jamais, les clichés pris du ciel engendrent une vague de projets agricoles connectés en Europe et aux Etats-Unis. Illustration avec SatAgro, start-up polonaise spécialisée dans ce domaine.

En 2011, Barack Obama recevait une copie de The Witcher 2 (1) des mains de Donald Tusk. Le Premier ministre polonais mettait alors en exergue l’incroyable vivacité créative de l’industrie du gaming dans son pays. Aujourd’hui, ses start-up se sentent mises en danger par le PiS, parti nationaliste au pouvoir, dont la base populiste de l’électorat n’a pas pris le train de l’entrepreunariat. Si bien qu’il y a quatre mois, 33 acteurs de la tech polonaise adressaient une lettre ouverte à Andrzej Duda, le président de la République. Objet de la missive ? Leur vive inquiétude face à un gouvernement laminant l’indépendance du système judiciaire et fragilisant la place de la Pologne au sein de l’Union européenne.

Parmi les signataires, SatAgro, start-up utilisant l’imagerie satellitaire à des fins agricoles.  » Nous avons cosigné ce courrier car nous savons que le président est réceptif à notre secteur, il essaie d’oeuvrer en sa faveur, explique Przemys?aw Zelazowski, son CEO et fondateur. Mais nous n’avons pas reçu de réponse, jusqu’ici, à notre lettre ouverte. Dans tous les cas, il est crucial pour nous de faire partie de l’Europe. Ses subsides sont importants, mais l’accès à son marché l’est encore plus.  » Se distinguant récemment parmi un panel de jeunes entreprises mises à l’honneur par l’UE, SatAgro est de fait financée à hauteur de 97 675 euros par le Fonds européen de développement régional.

Quand des clichés pris du ciel engendrent une vague de projets agricoles connectés
© SATAGRO

Active dans le domaine de l’agriculture de précision, la start-up propose une application pour tablette et smartphone permettant aux fermiers de surveiller leurs cultures depuis l’espace, grâce à des photos satellites.  » Ces cartes indiquent l’état de santé de nos parcelles de blé et permettent de varier la quantité exacte de fertilisants que nous répandons « , note Jaroslaw Grocholski, vice-président d’Arenda, mégaexploitation agricole couvrant 1 150 hectares, à Charbielin, près de la frontière tchèque.  » Combinées à d’autres moyens techniques, comme des tracteurs qui prélèvent des échantillons de sol, elles permettent une économie allant jusqu’à 50 000 euros par an. « .

Gérer l’irrigation, détecter des maladies, estimer la biomasse, prédire le rendement intraparcellaire… Ces prises de vue sont déjà utilisées par 8 000 agriculteurs, depuis neuf ans en France, via Farmstar.  » Ce sont des pionniers, mais ils gardaient cette technologie chez eux. Ils m’ont donc inspiré « , enchaîne Zelazowski. Face au système français également utilisé par l’Europe pour contrôler les déclarations d’agriculteurs subsidiés par la Politique agricole commune (PAC), SatAgro entend démocratiser la télédétection de surfaces agricoles par satellites. Argument de poids ? Un tarif de 2,5 euros par hectare photographié et analysé, soit une addition six fois moins salée que celle habituellement affichée par le secteur.

Przemyslaw Zelazowski (à g.) CEO de SatAgro.
Przemyslaw Zelazowski (à g.) CEO de SatAgro.© SATAGRO

 » Il y a quelques années encore, une seule image satellite pouvait coûter un millier d’euros. Aujourd’hui, le réseau de satellites européens Sentinel 2 les propose gratuitement et en prend tous les cinq jours. Cela a changé la donne et mène à une effervescence de projets sur ce terrain  » souligne Yannick Curnel, attaché scientifique au Centre wallon de recherches agronomiques.  » En Belgique, nous étudions toutefois une solution similaire pensée comme un service public, depuis quelques années (lire l’encadré). Face aux start-up, nous prenons le temps de la développer en cernant les besoins des agriculteurs pour des questions de qualité et de fiabilité de l’information. Elle devrait aider économiquement le secteur agricole.  »

Nouvelle révolution agricole

Utilisant principalement les données des satellites Landsat (USGS), Modis (Nasa), Spot 6 (Astrium) et Sentinel 2 (ESA), SatAgro a pu voir le jour grâce à leur essor et à la gratuité de certains de leurs clichés. Autre bénéfice avancé, les données livrées aux exploitants agricoles sont directement exploitables par leur matériel agricole qui répandra fertilisants et agents agrochimiques automatiquement.

Couvrant 120 000 hectares de parcelles et 35 exploitations en Pologne et en Tchéquie, l’entreprise se compte parmi les centaines de start-up innovantes évoluant sur le terrain de l’agriculture de précision dans le monde. Les satellites ne sont toutefois pas les seuls  » yeux  » des agriculteurs puisque des tracteurs scannent également le sol. En embuscade, les drones offrent eux aussi des résolutions d’image nettement supérieures mais à un coût plus élevé qu’une solution orbitale.

Les premiers tracteurs guidés par gps dans les années 1980 semblent donc loin. Aux Etats-Unis, on parle d’ailleurs du secteur émergent de l’Ag Tech. Et d’aucuns évoquent une quatrième révolution agricole. Cette vague naissante ressemble aux débuts du Web : ni Amazon ni Google ne sont encore en place mais les investissements défilent. Et les initiatives s’empilent. Ainsi, aux Etats-Unis, spécialisée dans la production de citrons et de noix, AGERpoint a lancé son propre logiciel de surveillance agricole par satellite grâce à un récent investissement de 9 millions de dollars. Farmer’s Edge, le grand frère de SatAgro aux Etats-Unis, a, lui, décroché 94,3 millions de dollars de fonds privés.  » Nous sommes encore très petits face à ce budget, concède Przemys?aw Zelazowski. Au-delà du financement de l’Europe, nous avons investi 50 000 euros en fonds propres. Mais c’est assez pour nos plans de développement en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne et au Portugal. J’ai confiance en l’avenir.  »

(1) Inspiré des romans d’Andrzej Sapkowski (pape de la littérature polonaise), ce jeu de rôle médiévalo-fantastique sur PC et consoles développé par CD Projekt s’est écoulé à 2 millions de copies, et sa suite à 20 millions d’exemplaires.

La Belgique a bien décollé

La Belgique se dote actuellement d’un système de surveillance de surfaces agricoles par satellite via le projet Belcam. Financée au niveau fédéral par Belspo et codéveloppée par l’UCL, l’ULiège, le Vito (l’institut flamand de recherches technologiques) et le CRA-w, l’initiative se concrétisera en 2019 et proposera, à terme, des solutions de télédétection directement aux agriculteurs. Les quatre partenaires ont aussi lancé le projet iPot : un mélange de photos satellites et de prises de vue par drone, rassemblées sur une plateforme en accès libre (Watch It Grow), permettant déjà à 350 cultivateurs de pommes de terre belges de surveiller leurs plantations (1 300 parcelles, 7 500 hectares). Objectif avoué :  » Accroître de façon durable la production de pommes de terre.  »

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