© Reuters

« Puigdemont exacerbe les tensions régionales »

Le Vif

Le président catalan destitué Carles Puigdemont s’en est pris lundi à un gouvernement espagnol « loin de la pratique démocratique » selon lui, dans sa première déclaration depuis sa remise en liberté en Belgique, où sa présence provoque des remous politiques. Le point.

« Libre et sans caution » a lancé lundi M. Puigdemont, dans un message en catalan sur le réseau social Twitter, au lendemain de la notification qui lui a été faite par la justice belge du mandat d’arrêt émis par Madrid à son encontre.

« Nos pensées sont pour les collègues injustement emprisonnés par un Etat qui est loin de la pratique démocratique », a-t-il ajouté, en référence au placement en détention en Espagne d’autres anciens membres de son gouvernement destitué.

Carles Puigdemont et quatre de ses anciens ministres exilés en Belgique depuis une semaine sont finalement ressortis libres dans la nuit de dimanche du bureau d’un juge d’instruction belge au terme d’une longue journée d’audition.

Les cinq Catalans ont été laissés en liberté sous conditions, dans l’attente de l’examen sur le fond des mandats d’arrêt émis par l’Espagne. Ils ont interdiction de quitter le territoire belge, doivent avoir une adresse fixe et devront se présenter « personnellement » à toute convocation de la justice et de la police, a précisé le parquet de Bruxelles.

Il revient désormais à une autre juridiction, la Chambre du conseil, de se prononcer dans les 15 prochains jours sur l’exécution du mandat d’arrêt émis vendredi soir par la justice espagnole pour « rébellion, sédition, détournement de fonds publics et désobéissance à l’autorité ».

Une première audience devant cette Chambre a été fixée au vendredi 17 novembre à 14h00 (13H00 GMT), selon une source judiciaire.

– Tensions en Belgique –

Le mandat d’arrêt européen a été créé pour faciliter l’extradition entre Etats membres de l’UE, mais la procédure judiciaire qui s’est ouverte peut durer jusqu’à trois mois.

Ce scénario d’une présence prolongée sur le sol belge de M. Puigdemont –qui s’est dit prêt, avec le soutien de son parti (le PDeCAT), à être tête de liste aux élections régionales en Catalogne du 21 décembre– risque de raviver des tensions politiques au sein de la coalition gouvernementale belge.

Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, a appelé lundi à « laisser la justice belge et la justice espagnole faire leur travail », loin des considérations politiques.

Il était interrogé sur les remous provoqués par la crise catalane dans le gouvernement fédéral belge, au sein duquel les nationalistes flamands de la N-VA sont très favorables à la cause catalane.

Ce parti de la coalition gouvernementale avait dans un premier temps applaudi le Premier ministre francophone Charles Michel, un des rares dirigeants européens à avoir condamné les violences policières lors du référendum illégal d’autodétermination en Catalogne.

Mais M. Michel avait ensuite appelé les nationalistes flamands « à ne pas jeter de l’huile sur le feu » dans les relations tendues avec Madrid. Il visait en particulier le secrétaire d’Etat Theo Francken, de la N-VA, qui avait jugé « pas irréaliste » que M. Puigdemont formule une demande d’asile en Belgique.

Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon, lui aussi issu de la N-VA, est revenu à la charge dimanche en disant qu’il « se posait des questions » sur le fait que le gouvernement espagnol « peut aller aussi loin ».

– ‘Parti xénophobe’ –

Le député européen espagnol Esteban Gonzalez Pons, membre du parti conservateur au pouvoir en Espagne, a vivement répliqué, dans une interview à la télévision nationale espagnole.

« M. Jambon appartient à un parti qui a collaboré avec l’occupation allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale, un parti xénophobe qui n’est un allié recommandable pour personne », a-t-il lancé, accusant les nationalistes flamands d’instrumentaliser la crise catalane pour des questions de politique interne.

Pour le gouvernement belge, « la première des choses, c’est de garder le dialogue avec l’Espagne, parce que notre interlocuteur, c’est l’Espagne, c’est le gouvernement espagnol », a insisté de son côté lundi le ministre belge des Affaires étrangères.

« C’est un dossier qui concerne avant tout l’Espagne », a ajouté Didier Reynders, déplorant qu’il y ait « une animation autour de ce dossier qui dépasse un peu les limites du raisonnable en Belgique ».

En Espagne, de petits groupes de manifestants indépendantistes ont brièvement coupé quelques routes dans l’agglomération de Barcelone ainsi que des voies ferrées lundi matin, pour protester contre la détention des membres du gouvernement catalan destitué.

Puigdemont exacerbe les tensions régionales belges

Dans une série de déclarations et de tweets depuis dimanche, Esteban Gonzalez Pons, qui appartient au parti au pouvoir à Madrid, s’en est pris aux hommes politiques belges qui critiquent la façon dont le gouvernement espagnol a géré la crise de la sécession catalane.

« Il n’y a pas un conflit entre la Belgique et l’Espagne mais un conflit intérieur entre Belges, entre la Flandre et la Wallonie », a-t-il déclaré à propos de critiques du ministre belge de l’Intérieur Jan Jambon.

« Les Flamands sont indépendantistes et souhaitent le succès du processus catalan » de sécession, a-t-il dit dans une interview à la télévision publique espagnole. « M. Jambon appartient à un parti qui a collaboré avec l’occupation allemande pendant la deuxième guerre mondiale, un parti xénophobe qui n’est un allié recommandable pour personne ».

Le député espagnol utilisait un des thèmes qui divisent néerlandophones et francophones en Belgique depuis la fin de la guerre. M. Jambon avait fait scandale juste avant la formation de l’actuel gouvernement belge en 2014 en déclarant que les Flamands qui avaient collaboré avec les Nazis « avaient leurs raisons ».

Son collègue Theo Francken, ministre de l’Immigration et lui aussi membre de la NVA, avait dû s’excuser pour avoir assisté à la fête d’anniversaire d’un homme de 90 ans condamné pour collaboration.

« Il y a en ce moment un problème en Belgique entre partis européens et partis xénophobes et anti-européens, et Carles Puigdemont n’est qu’une excuse comme une autre », a affirmé M. Gonzalez Pons.

M. Puigdemont et les quatre « conseillers » (ministres) de son gouvernement qui se sont rendus dimanche à la justice belge, « n’ont pas choisi la justice belge mais la justice flamande », a poursuivi l’eurodéputé. Alors qu’il parle français, il veut « un juge flamand parce qu’il espère que parmi les nationalistes il y ait un juge et qu’il lui soit favorable ».

M. Jambon avait déclaré dimanche s’étonner du « silence assourdissant de l’Europe quand des membres d’un gouvernement sont mis en prison (alors qu’ils) n’ont fait qu’exécuter le mandat qu’ils ont reçu de leurs électeurs ».

Huit membres du gouvernement catalan ont été placés en détention provisoire la semaine dernière pour leur rôle dans la tentative de sécession de la Catalogne, par une juge d’instruction qui a aussi lancé un mandat d’arrêt européen contre M. Puigdemont et ses quatre « ministres » en Belgique.

Elio di Rupo avait lui accusé le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy de s’être « comporté en franquiste autoritaire », en référence à la dictature de Francisco Franco (1939-1975).

« J’espère que M. di Rupo va s’excuser, il sait parfaitement que le franquisme est du passé et que l’Espagne est une démocratie où règnent la loi, l’Etat de droit, la séparation des pouvoirs et le respect des droits » humains, a répondu M. Gonzalez Pons dans un communiqué.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire