Theresa May © D. LEAL-OLIVAS/AFP

Privée de sa majorité absolue, May reconduit son gouvernement

Le Vif

Sous le choc d’élections qui lui ont fait perdre sa majorité absolue et la fragilisent, la Première ministre britannique Theresa May a reconduit vendredi dans leurs fonctions ses principaux ministres, à dix jours de l’ouverture des négociations du Brexit.

Les conservateurs sont arrivés en tête du scrutin mais ont perdu une douzaine de sièges, tandis que l’opposition travailliste en a gagné une trentaine, selon les résultats quasi-définitifs, entrainant des demandes de démission de Theresa may.

Les ministres des Finances Philip Hammond, des Affaires étrangères Boris Johnson, en charge du Brexit, David Davis ainsi que la ministre de l’Intérieur Amber Rudd et son collègue de la Défense Michael Fallon ont été reconduits dans leurs fonctions a indiqué Downing Street dans un communiqué, précisant que d’autres nominations seraient annoncées dans la soirée.

Theresa May maintient ainsi sa garde rapprochée. En milieu de journée, elle s’était rendue au palais de Buckingham pour obtenir le feu vert d’Elizabeth II, au lendemain des législatives.

« Ce gouvernement guidera notre pays dans les discussions cruciales sur le Brexit qui commenceront dans dix jours et répondra au souhait des Britanniques en menant à bien la sortie de l’Union européenne », a-t-elle assuré.

A la tête d’un gouvernement minoritaire, Mme May dépend désormais du petit parti nord-irlandais unioniste DUP et ses 10 sièges pour atteindre la majorité absolue, alors qu’elle avait convoqué ces législatives anticipées afin d’avoir une majorité renforcée pour négocier la sortie de l’Union européenne avec les 27 à partir du 19 juin.

Jeremy Corbyn, le chef du Labour, largement réélu dans sa circonscription d’Islington, a réclamé la démission de Theresa May. Il a appelé à « un Brexit qui protège les emplois », assurant que le processus de sortie de l’Union européenne « devait se poursuivre » et que son parti était « prêt à mener les négociations au nom du pays ».

Chute de la livre

La livre sterling a lourdement chuté vendredi perdant 1,5% de sa valeur face au dollar. La Bourse de Londres a terminé en nette hausse de 1,04%, les grandes multinationales cotées sur ce marché profitant de l’affaiblissement de la monnaie britannique qui dope la valeur de leurs revenus à l’étranger.

Le commissaire européen français Pierre Moscovici a jugé que Mme May avait « perdu son pari », son homologue allemand, Günther Oettinger, considérant pour sa part que Londres était désormais un partenaire « faible » pour négocier la sortie de l’UE.

Pour le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel, le scrutin constitue un désaveu pour Mme May et sa position en faveur d’un Brexit « dur ».

A Paris, le Premier ministre Edouard Philippe a jugé que ces résultats étaient « une forme de surprise » mais qu’ils ne remettaient pas « en cause » la procédure de divorce de la Grande-Bretagne d’avec l’UE.

Le négociateur en chef de l’UE sur le Brexit, Michel Barnier, a assuré que Bruxelles attendrait que le Royaume-Uni soit « prêt » avant d’entamer les négociations. « Unissons nos efforts pour conclure un accord », a-t-il tweeté.

Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a lui aussi appelé à « faire le maximum pour éviter » une absence d’accord tandis que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a mis en garde contre tout « retard supplémentaire » dans les négociations, affirmant que la Commission était prête.

‘Bazar complet’

L’onde de choc des législatives a également touché l’Ecosse, où les indépendantistes du SNP essuient de lourdes pertes, n’ayant plus que 35 sièges contre 56 en 2015. Deux figures phare des indépendantistes, Alex Salmond et Angus Robertson, ont perdu leurs sièges, un échec qui met un frein à leurs velléités d’indépendance.

La Première ministre écossaise Nicola Sturgeon a elle appelé Theresa May à « abandonner » son projet de Brexit « dur » après son échec aux élections.

Seul parti résolument europhile, les Libéraux-Démocrates, qui ont désormais 12 sièges (quatre de plus) ont prévenu dès jeudi soir qu’il n’y aurait « pas de coalition ». Evoquant Theresa May, Tim Farron, le chef des Lib Dem, a jugé que « si elle avait une once d’amour propre, elle démissionnerait ».

« Je suis tellement contente, c’est une véritable vengeance pour nous », s’est réjouie Sarah Holmes, 26 ans, fêtant le bon résultat du Labour dans un bar de Londres.

Pour Angus en revanche, c’est « un bazar complet ». Cet électeur de 43 ans qui vote habituellement pour le Labour a choisi pour la première fois de voter conservateur parce qu’il « y a un besoin de stabilité à cause du Brexit ».

Après les surprises du référendum sur la sortie de l’UE et de l’élection de Donald Trump, « c’est la leçon des deux dernières années », analyse Brian Klaas, de la London School of Economics : « les électeurs n’aiment pas qu’on prenne leur vote pour acquis ».

Remontée contre le Brexit, la jeunesse chamboule les élections

La mobilisation de la jeunesse britannique, bien décidée à réagir après le vote en faveur d’un Brexit dont elle ne voulait pas, a joué un rôle clef pour déposséder la Première ministre Theresa May de sa majorité absolue au Parlement.

Revigorés par la campagne du trublion Jeremy Corbyn, patron du Labour, ou puisant dans leur colère face à l’incertitude causée par le futur divorce avec l’Union européenne, les jeunes électeurs se sont précipités aux urnes.

Selon John Curtice, de l’Université de Strathclyde, cette mobilisation en faveur du Labour des opposants au Brexit et des jeunes électeurs « explique pourquoi les conservateurs ont perdu leur majorité absolue ».

Environ 56% des moins de 35 ans se sont déplacés jeudi pour élire leur député, selon un sondage publié par le magazine musical NME, qui a récemment consacré sa une au leader de l’opposition travailliste.

Et ils se sont prononcés à 60% pour le Labour, alors qu’un tiers d’entre eux votaient pour la première fois, selon ce sondage sortie des urnes réalisé auprès de 1.354 votants.

La moitié d’entre eux ont cité le Brexit comme « la principale raison » de leur vote.

En amont du scrutin, une poussé des inscriptions de jeunes électeurs sur les listes avait été enregistrée.

Corbyn, 68 ans et résolument à gauche, a su comprendre le ressentiment populaire contre l’élite du pays, emportant une trentaine de sièges supplémentaires au Parlement.

« La politique ne sera plus comme avant », a-t-il promis sous les hourras de ses supporteurs au moment où tombaient les premiers résultats.

Seuls 45% des électeurs britanniques âgés de 18 à 34 ans avaient fait le déplacement en 2015, contre 84% des plus de 55 ans, la différence la plus importante dans un pays occidental selon l’OCDE. Un an plus tard, le vote en faveur du Brexit était attribué à la faible participation de la jeunesse.

Corbyn a su s’affirmer comme une alternative à la politique traditionnelle, imposant dans sa campagne une ambiance digne de festivals de musique pop.

Son idéalisme, son charisme, une présence sur les médias sociaux savamment gérée, et le soutien de célébrités comme la chanteuse Lily Allen ou l’humoriste Ricky Gervais, sont autant d’éléments qui ont participé à la « Corbynmania ».

Il a dans son programme ciblé la jeunesse en promettant de supprimer les frais d’université, d’abaisser l’âge du droit de vote ou encore d’améliorer les droits des stagiaires.

Comparé au sénateur américain et candidat malheureux à la primaire démocrate de 2016 Bernie Sanders, sa capacité à mobiliser la jeunesse rappelle aussi celle de Jean-Luc Mélenchon en France et de ses « insoumis », qui a hissé son mouvement en quatrième position au premier tour de l’élection présidentielle.

La commentatrice politique Rhiannon Lucy Cosslett estime dans le quotidien The Guardian que « Jeremy Corbyn plaît à une génération de jeunes gens qui n’ont jamais connu d’homme politique honnête ».

Le Daily Mirror, pro-Labour, a jugé de son côté que le vote de jeudi était « une revanche », ajoutant que le Brexit « dur » prôné par Theresa May n’était désormais plus une option.

« Je pensais que Theresa May allait gagner. J’avais entendu beaucoup de gens dire qu’il allaient voter pour elle « , dit à l’AFP Jemma Bell, 23 ans, une habitante de Wakefield, dans le nord de l’Angleterre. « Je connais des tas de gens qui n’ont pas voté l’an dernier (sur le Brexit, ndlr), mais ils ont réalisé qu’on pourrait foirer s’ils n’y allaient pas cette fois ».

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