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Poutine a-t-il déjà gagné la Crimée ?

Muriel Lefevre

Le Parlement de Crimée s’est prononcé en faveur d’une Crimée indépendante. Il s’agit d’une première étape pour permettre à une République souveraine de Crimée de revendiquer son rattachement à la Russie. Quatre questions à Aude Merlin, chargée de cours en science politique à l’ULB, et spécialiste de la Russie et du Caucase.

Alors que l’armée russe est toujours déployée dans la péninsule, le Parlement de Crimée s’est prononcé ce 11 mars en faveur d’une Crimée indépendante par 78 voix sur 100. Selon le gouvernement local, il ne s’agit que d’une étape pour permettre à une République souveraine de Crimée de revendiquer son rattachement à la Russie. En effet ce dimanche 16 mars près de 2 millions d’habitants devront choisir, par référendum, entre un rattachement à la Russie ou un retour au statut d’autonomie de 1992. Balisé de toute part par Moscou, le résultat du scrutin ne laisse guère de place au doute.

Est-ce que l’on peut dire que Poutine a gagné la Crimée ?

Tant que les choses ne sont pas entérinées officiellement, soit après le referendum du 16 mars, on ne peut pas le dire de cette façon. Par contre; lorsqu’on analyse la situation sur place, on ne peut que constater que différents éléments annoncent qu’une annexion est en cours. Cela commence début mars lorsqu’on a démis de force le président du parlement de Crimée pour mettre à sa place Sergueï Axionov, issu d’un parti rattachiste qui ne représente que 3% des électeurs. Un parlement qui va ensuite voter un rattachement à la Russie le 6 mars (avant d’opter pour l’indépendance ce mardi). L’arrivée, dans un même temps, de troupes russes en plus des forces légales de Sébastopol va aussi dans ce sens-là. Ou encore lorsqu’on avance trois fois la date du référendum autour de l’autodétermination qui aura finalement lieu le 16 mars. A cette date, les Criméens devront répondre à deux questions : « Êtes-vous pour l’intégration de la République autonome de Crimée à la Fédération de Russie ? » et « Êtes-vous pour le rétablissement de la Constitution de la Crimée de 1992 et le maintien de la Crimée comme partie intégrante de l’Ukraine ? ». A la lumière des évènements d’hier, il ne reste que peu de place au doute. Surtout lorsqu’on sait que la Douma a déjà mis en place un dispositif législatif qui vise à faciliter une éventuelle annexion de la Crimée. Si ce n’est pas encore officiellement le cas, la Russie a tout mis en place pour que la Crimée devienne effectivement la 84e entité fédérée de la fédération russe.

Si la Crimée est rattachée à la Russie, qu’adviendra-t-il des minorités ?

La minorité tatare qui représente 12% de la population, soit à peu près 200.000 habitants sur les 2 millions de Criméens, a déjà fait part de ses craintes. Il est vrai que la déportation effectuée sous Staline a laissé des traces. Axionov a bien proposé aux Tatares certains postes en cooptation pour les allier à sa cause, mais cela n’empêche pas qu’il règne une grosse inquiétude parmi cette minorité. Certaines violences interethniques ont déjà été signalées comme le marquage de maisons tartares ou l’incendie d’un restaurant. Visiblement, la Russie tient énormément à intégrer la Crimée dans sa fédération, cependant elle devra aussi faire montre d’extrême vigilance devant d’éventuels débordements.

Quel sera l’impact sur les relations internationales ?

Il est hasardeux de prédire l’avenir. Le monde entier assiste à une annexion. C’est très révélateur de la technique et du comportement de la Russie par rapport aux autres états. Elle avance de manière très déterminée. Du côté de l’Europe et des États-Unis, on exprime bien des réticences et l’on envisage des sanctions, mais on a surtout longtemps eu la tentation de ne pas voir la réalité. Comme ce fut le cas lors des deux guerres de Tchétchénie qui firent pourtant des dizaines de milliers de victimes civiles. Ou encore en 2008 en Géorgie où, là aussi, la diplomatie a pris le dessus. On évite depuis longtemps d’être trop ferme face à la Russie qui est tout de même l’un des poids lourds parmi les puissances militaires et envers qui de nombreux pays ont une dépendance énergétique. Au pire, il est possible qu’on ne reconnaisse pas au niveau international la Crimée comme état indépendant.

Quel pourrait être le prochain coup de la Russie ?

Malgré ce qu’on peut croire, les évènements des derniers mois ont envoyé un signal fort aux autorités russes et posent un enjeu de choix à celles-ci. Une population qui se sent méprisée est capable de maintenir la contestation durant des mois et obtenir le départ de personnalités politiques soutenues par Moscou. Poutine souhaite visiblement garder un moyen de pression sur l’Ukraine. L’évolution de la situation va dépendre de plusieurs éléments combinatoires et s’appuyer sur des instruments économiques, territoriaux ou encore linguistiques et culturels. Il est très probable que Poutine s’arrête là. En réalité, beaucoup de choses vont dépendre du jeu politique en Ukraine. Si les autorités ukrainiennes arrivent à rester fermes, mais paisibles tout en évitant l’écueil de l’émotionnel, cela ne facilitera pas la tâche de la Russie. Si les politiciens ukrainiens répètent les mêmes travers comme la corruption ou s’ils éprouvent de grosses difficultés à se construire en tant que réelle entité politique cela ferait, au contraire, le jeu du président russe qui pourrait alors s’attaquer par exemple à Donetsk , bastion russophone dans l’est de l’Ukraine, ou encore Kharkiv.

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