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Poutine « a probablement approuvé » le meurtre de Litvinenko

Le Vif

Le président russe Vladimir Poutine a « probablement approuvé » le meurtre de l’ex-agent du KGB Alexandre Litvinenko en 2006 à Londres, a déclaré jeudi le juge britannique Robert Owen en rendant les conclusions d’une enquête publique. Moscou dénonce une enquête « politiquement orientée ».

Ce verdict risque de raviver les tensions avec le Kremlin, qui a rapidement dénoncé cette enquête, après avoir toujours nié toute implication dans la mort de l’opposant russe, empoisonné au polonium-210, une substance radioactive extrêmement toxique et quasiment indétectable.

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« L’opération du FSB (ndlr: services secrets russes, successeur du KGB) a probablement été approuvée par M. Patrouchev (Nikolaï Patrouchev, ex-chef du FSB, ndlr) et aussi par le président Poutine », a souligné le magistrat dans ses conclusions.

Il y a de « fortes présomptions que l’Etat russe soit responsable de la mort de M. Litvinenko », a-t-il insisté.

Robert Owen a pointé le rôle d’exécutant des deux principaux suspects, Andreï Lougovoï, un ancien du KGB aujourd’hui député d’un parti nationaliste, et l’homme d’affaires Dmitri Kovtoun.

« Je suis sûr que MM. Lougovoï et Kovtoun ont mis le polonium-210 dans la théière le 1er novembre 2006. Je suis sûr qu’ils l’ont fait dans l’intention d’empoisonner M. Litvinenko », écrit le juge Owen.

Selon lui, une première dose plus faible de polonium lui aurait été administrée plus tôt, le 16 octobre, avant la dose fatale du 1er novembre.

« Le fait que M. Litvinenko ait été empoisonné par du polonium-210 fabriqué dans un réacteur nucléaire suggère que M. Lougovoï et M. Kotvoun agissaient pour le compte d’un Etat plutôt que d’une organisation criminelle », a-t-il ajouté.

« Les preuves que je présente établissent clairement la responsabilité de l’Etat russe dans la mort de M. Litvinenko », a-t-il insisté.

Moscou dénonce une enquête « politiquement orientée »

La diplomatie russe a dénoncé une enquête « politiquement orientée » et manquant de « transparence ». « Il n’y avait pas de raisons de s’attendre à ce que le rapport final sur cette enquête politiquement orientée et manquant extrêmement de transparence (…) soit objectif et impartial », a déclaré la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, dans un communiqué.

« Nous regrettons que cette enquête purement criminelle ait été transformée en enquête politiquement motivée et qu’elle ait assombri l’atmosphère générale des relations bilatérales » avec Londres, a ajouté Mme Zakharova.

Guerre froide

La veuve de Litvinenko, Marina, a immédiatement appelé Londres à imposer « des sanctions économiques » à la Russie et à interdire d’entrée sur son territoire le président Poutine et les agents incriminés.

Quant à Lougovoï, il a qualifié les accusations « d’absurdes « .

Alexandre Litvinenko est mort le 23 novembre 2006 à l’âge de 43 ans. La photo prise sur son lit de mort, sur laquelle il apparaît chauve et décharné, a fait le tour du monde.

Trois semaines plus tôt, il avait pris un thé dans un bar du Millennium Hotel, dans le centre de Londres, en compagnie d’Andreï Lougovoï et de Dmitri Kovtoun.

L’enquête a permis de retrouver de fortes concentrations de polonium-210 dans le bar, et surtout sur la théière utilisée par Litvinenko.

Le soir même de leur rendez-vous, Litvinenko s’est senti mal.

Admis en soins intensifs à l’University College Hospital de Londres, l’ex-agent a accusé Vladimir Poutine, dans une lettre dictée sur son lit de mort, d’avoir commandité son meurtre, ce que Moscou a toujours nié.

Alexandre Litvinenko avait rejoint en 1999 à Londres le milliardaire Boris Berezovski, farouche ennemi de Vladimir Poutine décédé dans des circonstances non élucidées en mars 2013 dans sa résidence britannique. Il collaborait également avec les services secrets britanniques.

Le corps de Litvinenko, qui avait obtenu la citoyenneté britannique et s’était converti à l’islam, a été enterré dans un cimetière londonien, enfermé dans un cercueil en plomb pour contenir les radiations.

Pour Marina Litvinenko, la veuve de l’ex-agent, son mari « a été tué par des agents de l’État russe dans ce premier acte de terrorisme nucléaire en plein coeur de Londres ».

Pour elle, c’est la fin d’un long combat pour connaître la vérité sur la mort de son mari, dans des circonstances dignes d’un roman d’espionnage du temps de la guerre froide.

Quelle réponse de Londres ?

Une première enquête judiciaire, se penchant sur la possible implication du Kremlin, avait été bloquée suite au refus de Moscou d’extrader Dmitri Kovtoun et Andreï Lougovoï.

Une « enquête publique » a alors pris le relais. De portée moindre, elle sert uniquement à établir des faits, sans prononcer de condamnations.

Suite aux conclusions du magistrat instructeur Robert Owen, les relations entre la Russie et la Grande-Bretagne risquent une nouvelle fois de sérieusement se rafraîchir.

La ministre de l’Intérieur Theresa May devait s’exprimer sur l’affaire dans la matinée.

Selon le quotidien The Guardian, des diplomates britanniques ont demandé au Premier ministre David Cameron, qui a eu connaissance du rapport dès mardi, de ne pas décréter d’éventuelles sanctions en représailles, afin de ne pas compromettre les négociations sur le conflit en Syrie.

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