Tesla doit beaucoup à son patron, le multimilliardaire Elon Musk. © REUTERS

Pourquoi un tel engouement pour Tesla?

Le Vif

Les déboires de Volkswagen et du diesel, il ne s’en soucie guère… Elon Musk, patron milliardaire de la marque star de voitures électriques, rêve de faire entrer le monde – et notamment l’Europe, où il ouvre une usine – dans l’ère de la transition énergétique. Mais ses projets tous azimuts laissent plus d’un expert sceptique.

Elon Musk jubile. « Si seulement cette affaire pouvait accélérer la transition énergétique mondiale… » Alors que le monde de l’automobile s’embourbe dans l’affaire des tricheries Volkswagen, l’emblématique patron du constructeur de véhicules électriques Tesla ne pouvait rêver meilleur contexte pour faire sa tournée européenne. Le vendredi 25 septembre, après un bref passage au Danemark, en Allemagne, au Luxembourg et en Belgique, où il n’a pas exclu d’envisager une future implantation, en Flandre, après avoir rencontré le ministre-président Geert Bourgeois avant le roi Philippe, il a présenté sa première usine européenne, à Tilburg, au sud d’Amsterdam. Musique techno à fond la caisse, lignes d’assemblage ultramodernes, écrans plats dernière génération, ici plane un petit air de Silicon Valley. Sur le circuit intérieur de l’usine – 750 mètres de longueur, le plus grand d’Europe -, la dernière Tesla, le Model S P 90D, s’élance. En trois secondes chrono, elle franchit les 100 kilomètres/heure. Sans un bruit de moteur à l’horizon, à peine le crissement des pneus sur la piste…

Ce jour-là, les riches clients européens de Tesla sont là pour voir de près la nouvelle coqueluche des Etats-Unis. Au pied de l’estrade, on se bouscule pour un autographe. Il faut dire qu’Elon Musk, 44 ans, costume cintré, mimiques de star, a de quoi fasciner. Après avoir fait fortune en créant Paypal, le multimilliardaire sud-africain casse les prix de l’aérospatial avec Space X, quand il ne s’essaie pas à des projets plus fous, comme le train à lévitation Hyperloop, censé relier San Francisco à Los Angeles en moins de trente minutes, ou encore la colonisation de Mars… C’est simple, Hollywood s’en est inspiré pour le personnage d’Iron Man au cinéma ! Même lorsqu’il inaugure une usine, le mégalomane Elon Musk, rire sardonique, regard illuminé, semble sorti d’une fiction. Son ambition ? Comme tout superhéros qui se respecte : « Sauver le monde » ! Et, visiblement, le « messie » convertit les foules. Son entreprise, Tesla, valorisée 33 milliards de dollars à Wall Street, fait partie des plus belles réussites boursières de ces dernières années. Pourquoi un tel engouement pour cette startup, qui a vendu moins de 35 000 véhicules l’an passé (lorsque BMW, qui en vend 35 fois plus, ne pèse que le double en Bourse) ? Quelle est cette « vision » que les investisseurs achètent quasi aveuglément ?

Tesla a rendu l’électrique sexy et désirable…

Pour le comprendre, direction la Californie, et plus précisément San Carlos. C’est ici, en 2003, qu’est née Tesla. Objectif, prouver que les voitures électriques ne sont pas condamnées à être de petites citadines ingrates. En assemblant des cellules lithium-ion de faible dimension (comme celles utilisées dans les ordinateurs portables), les ingénieurs fondateurs de la startup – rejoints un an plus tard par Elon Musk – ont réussi à développer une batterie suffisamment puissante pour déplacer un châssis de berline. En 2012, Tesla sort le Model S, dont l’autonomie réelle atteint les 400 kilomètres. En plus d’être un sacré condensé de sensations automobiles, pouvant déployer jusqu’à 700 chevaux sous le capot, la cinq-portes est un véritable ordinateur sur roues. « Tesla a inventé la première voiture au monde qui, à la manière d’un smartphone, peut être actualisée au cours de sa vie, explique Bernard Jullien, du think tank automobile Gerpisa. Son approche client, hors des circuits traditionnels, est très moderne. » Alors que le monde automobile regardait l’agitateur californien d’un oeil moqueur, tous désormais se rendent à l’évidence : en l’espace de dix ans, Tesla a réussi le double pari de devenir un concurrent sérieux sur le marché premium, et de rendre l’électrique sexy et désirable…

Mais Elon Musk voit plus loin. A l’envi, l’entrepreneur star le répète : pour changer le monde, il doit « accélérer la transition énergétique ». Comme ce n’est pas avec des voitures à 80 000 dollars (en entrée de gamme) qu’il va y parvenir, il a monté un plan : la firme réinvestit chaque centime perçu sur ses bolides haut de gamme pour développer un outil de production moins coûteux. D’ici à deux ans, elle prévoit de sortir le Model 3 à 35 000 dollars. Plus proche des prix pratiqués par les constructeurs généralistes. En ce moment même, une usine géante – la Gigafactory – pousse dans le désert du Nevada. Elle doit devenir le plus important fabricant de batteries lithium-ion au monde. « Grâce à elle, nous devrions diviser par deux le prix des batteries, qui est aujourd’hui l’élément le plus coûteux de la voiture », explique Laurent Abadie, le patron Europe de Panasonic, fournisseur de Tesla et associé dans l’aventure. En parallèle, le constructeur engloutit des sommes astronomiques dans des infrastructures de recharges (les fameux superchargeurs, les bornes les plus puissantes au monde selon Tesla) et ouvre gratuitement son portefeuille de brevets à la concurrence dans le but de doper le marché. « En partageant sa technologie, Elon Musk donne du crédit à l’histoire socialo-économique qu’il raconte. Mais, en procédant ainsi, il désigne aussi les autres constructeurs comme seuls responsables du refus de la transition énergétique. C’est assez fort », décrypte Bernard Jullien.

Des' »iPhone de l’énergie »

En réalité, Musk fait des batteries le point névralgique de l’écosystème futur. Fin avril, il faisait sensation en annonçant le lancement de solutions de stockage d’énergie pour particuliers et entreprises. Des batteries ultra-design. Des genres d' »iPhone de l’énergie », comme il les qualifie. Couplées à des panneaux solaires, ces dernières pourraient « alimenter le monde entier en électricité ». Pour les investisseurs, le pari est d’autant plus pertinent que l’entrepreneur a déjà un pied dans le solaire, avec SolarCity, entreprise d’énergie propre qu’il préside. Mais les experts, eux, semblent sceptiques. Déjà parce qu’il n’est pas certain que le marché des batteries domestiques, encore très coûteuses (le Powerwall de Tesla démarre à 3 000 dollars), existe dans un futur proche. Mais aussi parce que d’autres acteurs sont déjà à la pointe sur ce marché, à l’image de Panasonic, LG, Samsung, ou encore Saft en France. « Les industriels n’ont pas attendu Musk pour savoir que la plupart des foyers seront un jour équipés de batteries. Sauf qu’en la matière d’autres acteurs ont déjà fait beaucoup de promesses avant de disparaître, à l’image de l’israélien Better Place », rappelle Didier Marginèdes, vice-président de la branche batterie du groupe Bolloré.

Or aujourd’hui, si sémillante soit-elle en Bourse, l’entreprise n’est qu’un petit poucet de l’industrie, qui doit encore faire ses preuves. « C’est incroyable, cette entreprise qui vend seulement quelques milliers de voitures, ne fait que des pertes, et dont tout le monde parle », persifle un concurrent. Accusée de multiplier les coups de com’ – en février dernier encore, Elon Musk prédisait que la capitalisation de Tesla égalerait celle d’Apple, à 700 milliards de dollars, d’ici à dix ans -, la startup fait aussi régulièrement l’objet de polémiques pour les subventions qu’elle perçoit. Cet été, le Los Angeles Times calculait que Tesla avait reçu 2,4 milliards de dollars d’aides américaines depuis 2009, et ce, en étant toujours déficitaire… Il faut dire qu’à l’inverse des autres « Natu » (cet acronyme désignant les quatre entreprises emblématiques de la disruption numérique, Netflix, Amazon, Tesla, Uber), Tesla s’est attaquée à l’industrie lourde, par nature extrêmement consommatrice de cash.

BMW, Mercedes, Audi sont en embuscade

Pour atteindre la rentabilité, Tesla a besoin de vendre 500 000 véhicules en 2020. Mais les observateurs du marché, là encore, sont sceptiques. Cet été déjà, Elon Musk admettait qu’il ne pourrait tenir son objectif de 55 000 véhicules annuels, entraînant, une fois n’est pas coutume, une chute de son cours de Bourse. « A l’horizon 2020, nous estimons que le marché atteindra 1 million de véhicules vendus, ce qui voudrait dire que Tesla en capte la moitié. C’est parfaitement impossible, surtout quand on sait que l’alliance Renault-Nissan vend trois fois plus d’électriques que Tesla », estime Christophe Pillot, patron d’Avicenne Energy. De plus, des constructeurs haut de gamme, comme BMW, Mercedes, Audi, sont en embuscade. Lors du dernier Salon de Francfort, ils ont tous présenté des modèles électriques. La Teslamania pourrait bien se dégonfler…

Interrogé à Tilburg sur sa rentabilité future, Elon Musk botte en touche : « Pour être honnête, je ne pense pas vraiment en termes de business. » Faut-il s’en inquiéter ? Y a-t-il une bulle sous le capot Tesla ? Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le sujet crée beaucoup de dissensions entre, d’un côté, les ayatollahs de l’innovation, fascinés par la success-story, et, de l’autre, les acteurs de l’industrie « plus classiques », obnubilés par ses comptes de résultats. « Musk pense que les batteries sont l’avenir de la planète. Il ne cherche pas les bénéfices à tout prix. Il avance à la manière californienne : tant que les investisseurs le suivent, il mise », explique Pierre-Louis Desprez, DG de Kaos Consulting, spécialisé dans l’innovation. Avant de conclure : « S’il gagne son pari, Musk l’emportera grâce à son dynamisme et à sa capacité à entraîner les foules vers de nouveaux usages. » En ce sens, il est vrai que l’histoire du capitalisme est jalonnée de succès dont le leader n’est ni le premier, ni forcément le meilleur, mais celui dont le storytelling est le plus abouti. Apple nous le rappelle tous les jours.

Par Julie de la Brosse

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