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Pourquoi tout s’accélère en Côte d’Ivoire

Réputé favorable au sortant Laurent Gbagbo, battu dans les urnes, le statu quo ivoirien n’était qu’apparent.

La guerre d’Abidjan aura-t-elle lieu? Ce jeudi, en milieu d’après-midi, nul ne le sait encore. Seule certitude: l’étau se resserre d’heure en heure sur la capitale économique, donc sur le clan du chef de l’Etat sortant Laurent Gbagbo. Vers 15h, les « Forces républicaines de Côte d’Ivoire » (FRCI), acquises au président élu Alassane Dramane Ouattara, alias ADO, et à son Premier ministre Guillaume Soro, avaient percé sur au moins deux axes: à l’est, jusqu’à Aboisso (110 km d’Abidjan), près de la frontière ghanéenne, et au nord-ouest dans les environs de Nzianouan (130 km), sur la route qui file de Yamoussoukro, conquise hier soir sans combattre, au fief du « Gbagboland ».

A ce stade, le « squatter présidentiel » semble confronté à une alternative aux allures de dilemme. Ou il se conforme à la résolution 1975, votée dans la nuit à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, et qui « l’exhorte » à s’effacer « immédiatement ». Ou il s’obstine, au risque d’un carnage, à livrer bataille, avec le concours des unités qui lui demeurent fidèles et de milliers de « jeunes patriotes », miliciens enrôlés à la hâte et, pour la plupart, à peine formés au métier des armes.

La rapidité de le progression des FRCI a sidéré les « ivoirologues » les plus avertis. Plusieurs facteurs contribuent néanmoins à l’éclairer.

Une offensive éclair en préparation depuis des semaines

Le temps militaire n’est pas le temps politique. Quatre mois après le ballottage remporté par Ouattara, l’impasse diplomatique, scandée par l’échec de diverses tentatives de médiation, a imposé dans les esprits l’image de l’enlisement. Or, voilà des semaines que l’ex-rébellion nordiste des Forces nouvelles (FN), pourvue de milliers de combattants aguerris et d’un arsenal robuste, enrichi récemment avec le concours du Nigeria et du Burkina Faso, prépare cette offensive-éclair.

Le signal du changement de cap stratégique est survenu voilà quelques jours, quand le tandem ADO-Soro a signifié que l’ère des palabres était révolue. Côté Gbagbo, on a senti le vent tourner. Pour preuve, ces appels répétés à l’ouverture sans délai d’un « dialogue inter-ivoirien », puis à un « cessez-le feu immédiat. » Déroutant à première vue, le manque de pugnacité des « Forces de défense et de sécurité », supposées loyales au mauvais perdant, s’explique elle aussi. Si Gbagbo a su à grand frais garnir ses armureries, s’il a monnayé la loyauté de maints officiers supérieurs et choyé des unités d’élites renforcées au prix d’un recrutement essentiellement ethnique, s’il a misé sur l’apport de mercenaires libériens ou sierra-léonais, la troupe était pour sa part majoritairement favorable à Alassane Ouattara.

Etouffement économique

A quoi bon mourir pour un pseudo-chef d’Etat à la destinée incertaine, traité en paria par l’essentiel de la communauté internationale? Et qui peinait de plus en plus à régler la solde des troufions et les salaires des fonctionnaires. A cet égard, la stratégie de l’étouffement économique, volontiers moquée car jugée inopérante, aura en partie au moins porté ses fruits. On avait eu l’occasion de le dire et de l’écrire à l’époque: face à un sortant pourvu d’un coquet trésor de guerre, que la maîtrise de certains circuits économiques et le concours de l’allié angolais lui permettaient d’alimenter à la marge, ce genre de dispositif requiert une bonne dose de patience. Le temps, entendait-on, travaille pour celui qui tient la présidence. Et non pour son rival, reclus avec les siens en son quartier-général de l’Hôtel du Golf. Pas si sûr….

La défection du général Philippe Mangou, chef d’état-major de l’armée de Gbagbo, réfugié depuis hier avec femme et enfants dans la résidence de l’ambassadrice d’Afrique du Sud, atteste la friabilité du soutien de l’élite galonnée à une coterie repliée sur elle-même et semble-t-il engagée dans une dérive religieuse de type messianique.

Autre indice : le report inexpliqué de l’adresse télévisée que Laurent Gbagbo devait prononcer dans la soirée de mercredi. En ouverture du journal de la mi-journée, ce jeudi, le présentateur de la Radio-Télévision ivoirienne a jugé utile de démentir la « rumeur » selon laquelle le sortant aurait lui aussi cherché refuge dans une chancellerie étrangère.

Dans l’équation ivoirienne, une autre inconnue a joué à coup sûr. Happée depuis plus de deux mois par les vertiges des révoltes arabes, les Occidentaux et l’Onu ont enfin mesuré le péril mortel que le statu quo faisait peser sur le « pays des Eléphants. » La résolution mentionnée plus haut et le ferme réquisitoire asséné voilà peu par le président américain Barack Obama ont à l’évidence accru la pression sur le dernier carré des jusqu’au-boutistes. Et incité ceux qu’ils entraînaient dans leur fuite en avant à réfléchir.

Vincent Hugeux, L’Express.fr

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