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Pourquoi Sarkozy suscite la haine

Epinglé par « Newsweek » comme figure de l’extrémisme, Nicolas sarkozy n’est pas seulement le président de la République le plus impopulaire, il est aussi celui qui déchaîne les réactions les plus négatives. Explications.

Par Eric Mandonnet, Ludovic Vigogne

« Nicolas Sarkozy n’est pas Adolf Hitler. » C’est une précision sans doute utile qu’apporte, le 5 septembre, le député PS de l’Essonne Julien Dray, sur Radio J. La veille se sont déroulées des manifestations organisées par la gauche contre la politique sécuritaire du pouvoir. Le 21 septembre, tout en assumant la polémique qu’il a déclenchée après avoir décrit un climat « très pourri, très Vichy », le député PS du Doubs, Pierre Moscovici, écrit sur son blog : « Nicolas Sarkozy n’est pas fasciste. »

Cela va sans dire, mais cela irait-il mieux en le disant ? La classe politique n’est pas la seule à participer de l’atmosphère actuelle. En juin, au cours d’un concert donné dans une petite commune du Loir-et-Cher, la chanteuse Lio souhaite au président de « crever » rapidement.

Sarkozy Scarface? En août, un prêtre lillois de 71 ans, connu pour son franc-parler plus que pour son extrémisme idéologique, laisse exploser sa colère face aux expulsions de Roms et déclare prier « pour que Nicolas Sarkozy ait une crise cardiaque ».

En septembre, les photos new-yorkaises du président en chemise noire et chaîne en or alimentent immédiatement les blogs hostiles: leurs auteurs lui trouvent des airs de Tony Montana, le héros mafieux de Scarface.

Enfin, le 21, sur France 3, dans l’émission Ce soir ou jamais, Emmanuel Todd s’insurge: « Il y a quelque chose de très grave, c’est le genre de président qu’on a. Je suis désolé qu’un système comme le système français arrive à avoir ce machin à la tête de l’Etat… » Sur le plateau, le démographe accuse Nicolas Sarkozy de « travailler contre la Constitution ». Il va jusqu’à invoquer sa destitution.

« Pourquoi rend-il tant de gens aussi fous dans leurs têtes? s’interroge Alain Minc. Il ne mérite, comme dans Racine, ni excès d’honneur, ni indignité. »

La personnalisation du pouvoir facilite toutes les outrances

François Hollande n’a pas tardé à percevoir les dangers du phénomène : « La bêtise de l’antisarkozysme conduit à l’attaquer en oubliant les faits, confie l’ancien premier secrétaire du PS. Si excès il y a – et c’est le cas – Nicolas Sarkozy va chercher la victimisation. » Aussi a-t-il demandé à ses camarades, au détour d’un entretien au Monde, de « ne plus seulement (…) ajouter ad nauseam des arguments à l’antisarkozyme », mais d' »ouvrir un autre chemin ».

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi celui qui fut élu avec une si large majorité (53%) et une si forte participation (85 %) suscite-t-il désormais de telles réactions? A qui la faute? A Internet, à la presse, à ce siècle ? A lui-même? Dans une ère propice aux dérives, dans un débat public pauvre en repères historiques solides, la personnalisation du pouvoir facilite toutes les outrances.

« J’ai compris que, chaque fois que je me mets en avant, c’est un problème », reconnaissait Nicolas Sarkozy, en petit comité, après les régionales de mars (1). L’a-t-il compris, vraiment ? Est-il justifié qu’il emmène son plus jeune fils lors de sa visite surprise en Seine-Saint-Denis, et notamment à la cité des 4 000, dans la soirée du 23 juin dernier (un déplacement à l’occasion duquel un homme de 21 ans fut d’ailleurs interpellé pour avoir insulté le chef de l’Etat)?

La plupart des sarkozystes récusent toute part de responsabilité dans la brutalité du moment et qualifient d' »excuse » l’argument selon lequel le président a tellement changé la fonction qu’il l’a désacralisée. Pourtant, à l’Elysée, loin des micros, certains s’inquiètent d’attitudes présidentielles qui contribuent peu à la pacification des esprits.

Le « Casse-toi, pauvre con » lancé au Salon de l’agriculture en 2008, multiplié à l’infini par Internet (la scène a été visionnée plus de 12 millions de fois sur YouTube), restera l’une des phrases du quinquennat ; des adolescents la citent même, à l’école, pour justifier leurs propres agressions verbales à l’encontre d’enseignants.

A l’origine de la haine, il y a donc la rencontre d’une époque et d’un personnage. Le choc entre une hypermédiatisation où plus rien n’est contrôlé, ni contrôlable, et un hyperprésident qui a choisi de ne pas endosser l’habit consensuel de père de la Nation. Nicolas Sarkozy cultive une logique de défi permanent, c’est même le fil rouge de sa vie politique: la violence est l’une des marques de fabrique de sa carrière.

Nicolas Sarkozy cultive une logique du défi permanent Les présidents de la Ve République sont rarement des enfants de choeur; tous ont connu l’impopularité, et même l’hostilité. C’est la fonction qui le veut. « Mais la haine de De Gaulle s’expliquait par des raisons politiques; le problème de Nicolas Sarkozy, c’est qu’on en veut à sa personne, d’où l’agressivité », pointe un ancien conseiller élyséen.

Cliver, mettre en tension: c’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’est imposé – son passage au ministère de l’Intérieur est un cas d’école de cette stratégie ; c’est ainsi qu’il dirige la France. « Sa vision de la société et des grands enjeux qui la traversent est assez manichéenne, il y a le bien et le mal, les gentils et les méchants, ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce que l’on valorise et ce que l’on réprime. Cela ne peut être que tout l’un ou tout l’autre. La société est divisée en deux mondes tellement hermétiques l’un à l’autre qu’ils en sont irréconciliables », note Marie-Eve Malouines dans Nicolas Sarkozy. Le pouvoir et la peur (2).

« Le président a le sentiment, justifié, d’être assiégé »

Au premier rang des fidèles, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, observait avant l’été: « Le président a le sentiment, justifié, d’être assiégé. La presse, par exemple, a été humiliée de le voir élu alors qu’elle ne le souhaitait pas, du coup, pour laver cette humiliation, elle cherche à l’abattre. »

Penser que la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 s’est faite contre les médias relève de la construction a posteriori, voire du mirage – mais c’est une conviction absolue chez les sarkozystes, pour qui la presse figure désormais au premier rang des responsables.

« Il ne pourra pas se déplacer en papamobile, tout de même ! » « Nicolas Sarkozy attire tant d’hostilité sur lui que le second tour sera un référendum pour ou contre sa personne », pronostique le coprésident d’Ipsos, Jean-Marc Lech. Quand la détestation devient totale, elle peut tout emporter, qu’importe le bilan. Ce fut le cas pour Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Dominique de Villepin imagine volontiers Nicolas Sarkozy victime d’un rejet tel qu’il lui serait impossible de parcourir le pays : « Il ne pourra pas se déplacer en papamobile, tout de même ! », remarque-t-il, amusé, en privé.

Il devient donc urgent que les attaques facilitent la contre-attaque. Déjà en campagne de premier tour de la présidentielle – celle qui sert à rassembler ses propres partisans – le chef de l’Etat, dont l’impopularité bat des records, en profite pour rechercher la position, classique chez lui, de victime. Le dérapage de la commissaire Viviane Reding fut, pour lui, une occasion inespérée de répliquer, au cours du Conseil européen, le 16 septembre, alors que la grave faute que constituait, aux yeux de Bruxelles et de nos partenaires, la circulaire anti-Roms première version du gouvernement français le plaçait dans la situation de l’accusé.

Le 18 septembre, Franck Louvrier et le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre, discutent, dans le train qui les conduit à une fête du parti en Loire-Atlantique, d’une expression que le second va lancer publiquement: la « sarkophobie ». François Hollande vient d’évoquer « une « ovniprésidence », extraconstitutionnelle, extralégale, extravagante »; Ségolène Royal, une France « martyrisée ». Le moment est venu de transformer l' »antisarkozysme » en « sarkophobie » pour remettre le président dans sa situation préférentielle. Celle qu’il recherche toujours quand il entre dans la peau du candidat à l’Elysée, afin d’apparaître comme le challenger, et non comme le favori. Avant-hier, seul contre la droite. Entre 2002 et 2007, seul contre Jacques Chirac. En 2012, seul contre « l’établissement », la pensée unique, la presse. Seul contre tous – ou isolé comme jamais?

(1) Cité dans Carla et les ambitieux, de Michaël Darmon et Yves Derai, éd. du Moment. (2) Stock.

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