Carles Puigdemont © AFP

Pourquoi, malgré la victoire électorale, la situation ne sourit pas aux séparatistes catalans

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

Malgré la victoire électorale, la situation ne sourit guère aux partis pro-indépendants catalans. Mais le Premier ministre espagnol Rajoy aurait lui aussi intérêt à jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur.

Presque deux semaines après les élections anticipées, la crise catalane est toujours d’actualité. Le Tribunal suprême espagnol a décidé vendredi de prolonger l’arrestation de l’ancien vice-premier ministre-président et président de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) Oriol Junqueras. Comme Puigdemont fait toujours l’objet d’un mandat d’arrestation, les séparatistes sont en manque aigu de leadership.

Rajoy en voit de toutes les couleurs

Après les élections anticipées du 21 décembre, les partis catalans sont toujours à la recherche d’un gouvernement stable. Pour le Premier ministre, Mariano Rajoy, le résultat électoral était une humiliation. Le président du Partido Popular (PP) a tenté d’affaiblir le mouvement indépendant à l’aide de mesures sévères et d’une politique ferme. Ce plan a échoué en grande partie parce que les partis pro-indépendance du Generalitat catalan ont réussi à maintenir une majorité politique (70 sur 135 sièges). En outre le PP a encaissé des gifles de la part de l’électeur catalan. Si en 2015 le parti comptait encore onze sièges, aujourd’hui, il doit se contenter de trois.

En outre, le parti de centre droit Ciudadanos a réussi à devenir le plus grand parti de Catalogne. Le jeune parti libéral est peut-être encore plus sévère pour les séparatistes catalans que le Partido Popular. Avant, on a souvent parlé de ladite « majorité silencieuse » qui refusait d’aller voter le jour du référendum. Finalement, il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas d’une majorité, même si les Catalans unionistes ont opté en masse pour le parti libéral relativement jeune. Au niveau national, les Ciudadanos risquent également de devenir un sérieux concurrent du Partido Popular.

Si l’on en croit les sondages, les Ciudadanos du président Alberto Rivera se rapprochent de plus en plus du PP. Même si de nouvelles élections nationales ne sont prévues que pour 2020, une alternative de centre droit plus crédible est en train de se former en Espagne. Reste à voir aussi si le gouvernement minoritaire de Rajoy tiendra jusqu’en 2020. Ces quatre dernières années, l’Espagne a organisé des élections à trois reprises parce que les impasses politiques continuaient à se suivre. Et à présent la maquette de budget de 2018 risque également de poser problème.

Les partis indépendantistes battent de l’aile

Quelles qu’aient été les pertes électorales de Rajoy, les partis indépendantistes n’ont pas réussi à tirer profit des pertes du Partido Popular. En 2015, les trois partis avaient encore réussi à convaincre 52,6% des Catalans. Cette fois, cette part a baissé à 47,6% des voix, une déception symbolique importante, même si le camp résolument unioniste n’a obtenu que 43,5% des voix. Les 7,5% restants sont allés à Comù-Podem, un parti qui refuse de choisir un camp au niveau de l’indépendance.

Les séparatistes n’ont donc plus su compter sur la majorité des Catalans. Mais comme une correction spéciale fait que les voix de la campagne catalane pèsent plus lourd que celles des citadins, les partis de la majorité ont tout de même réussi à maintenir leur majorité parlementaire. C’est une victoire politique énorme, qui va il est vrai de pair avec une défaite symbolique. On peut en conclure que la population catalane est toujours très divisée à propos de l’avenir politique de la région.

Immédiatement après la victoire électorale, l’ancien ministre-président catalan Carles Puigdemont a demandé depuis la Belgique de négocier sur terrain neutre de l’autonomie de la Catalogne. Rajoy a refusé et a déclaré qu’il s’entretiendrait avec Ines Arrimadas, la présidente des Ciudadanos catalans. Arrimadas a cependant rapidement renvoyé la patate chaude aux partis indépendantistes.

La balle est dans leur camp, même si ce ne sera pas une sinécure de former un gouvernement stable, vu les objections de fond et pratiques. Premièrement, Puigdemont est toujours en exil dans notre pays. Et bien que le mandat d’arrestation européen ait été annulé à mi-décembre, Puigdemont risque toujours les poursuites sur le territoire espagnol.

De temps en temps, on entend le scénario que Puigdemont pourrait continuer à gouverner la Catalogne depuis l’étranger. Cependant, la tâche risque d’être dure pour l’ancien bourgmestre de Gérone. Rajoy a qualifié cette idée d’absurde et sur ce point il risque d’avoir raison. Tôt ou tard, les 7,5 millions de Catalans compteront sur sa présence physique. C’est ce que sait aussi Puigdemont, qui a demandé plusieurs fois à Rajoy d’annuler le mandat d’arrestation. Cela permet au ministre-président catalan d’éveiller l’idée que c’est Rajoy lui-même – et non la Cour constitutionnelle – qui prend ces décisions.

Le vice-président demeure en prison

Comme il est très difficile pour Puigdemont de redevenir ministre-président catalan, jusqu’à vendredi les regards étaient tournés vers Oriol Junqueras. Puigdemont et le président de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) étaient le visage de la campagne indépendantiste. Mais après la déclaration d’indépendance, Junqueras a été arrêté pour rébellion, incitation à la révolte et abus de biens publics.

Vendredi, Junqueras a comparu devant le Tribunal suprême espagnol qui devait décider de la prolongation de son arrestation. Junqueras espérait être libéré sous caution, mais les trois magistrats en ont décidé autrement. Ils étaient unanimement d’accord que Junqueras allait recommencer à oeuvrer de manière inconstitutionnelle à une Catalogne indépendante. On s’attend à ce que Junqueras demande à être transféré dans une cellule catalane. De là, il espère encore pouvoir participer aux assemblées plénières au parlement catalan. Celles-ci recommencent le 17 janvier.

Frictions

Outre ces objections pratiques, il faut voir si les trois partis indépendantistes s’entendront toujours aussi bien. Juste avant la déclaration d’indépendance, les premières déchirures entre les deux trois partis sont apparues. Le parti radical de gauche CUP s’attendait en effet à ce que Puigdemont proclame l’indépendance juste après les élections. Puigdemont par contre a continué à miser sur le dialogue avec Madrid, ce qui n’a pas plu au CUP.

L’ERC a également cessé d’apprécier le pragmatisme de Puigdemont. Quand Puigdemont a souhaité convoquer de nouvelles élections, Junqueras l’a finalement obligé à voter pour l’indépendance de la Catalogne. Il est significatif que l’ERC et le parti de Puigdemont ne se soient plus présentés ensemble aux élections anticipées. Jeudi passé, le CUP et l’ERC ont demandé à Puigdemont quels étaient ses projets spécifiques quant à son retour. Au sein du CUP, certains souhaitent même cesser les entretiens jusqu’à ce que Puigdemont apporte plus d’informations.

Reste à voir si après l’agitation de ces derniers mois, les partis ont encore envie de recommencer. Du côté du CUP, on est d’avis que le gouvernement doit à nouveau jouer le tout pour le tout pour proclamer l’indépendance. Le parti interprète la victoire électorale comme un signal clair que la Catalogne doit à nouveau proclamer l’indépendance. Cependant, il n’est pas certain du tout que les partis et la population soutiennent une nouvelle tentative kamikaze au sein des partis et de la population. Surtout à présent qu’il s’est avéré que le pouvoir madrilène dépasse le catalan.

En outre, il y a d’autres problèmes à l’ordre du jour. À l’approche du référendum d’indépendance, environ trois mille entreprises ont quitté la région au niveau administratif ou physique. C’est pourquoi la Catalogne souffre d’une grosse déprime économique. Si avant le référendum la Catalogne était le moteur économique de l’Espagne, pour la première fois elle risque d’entraver la croissance économique. Mercredi, le Premier ministre espagnol Rajoy a déclaré à Compostelle que la Catalogne était « le seul facteur d’incertitude » de l’économie espagnole. Le gouvernement catalan doit rapidement s’en occuper. « Erst kommt das Fressen, und dann kommt die Moral ». (D’abord la bouffe et puis la morale)

Même si Rajoy est le plus grand perdant des élections, sa stratégie de pourrissement semble avoir fait passer la poursuite de l’indépendance catalane au second plan. Du moins pour l’instant. Tant que les détenteurs du pouvoir à Madrid – que ce soit le Partido Popular, les Ciudadanos ou le PSOE – ne souhaitent pas se rassembler pour renforcer l’autonomie catalane, le zèle catalan ne disparaîtra pas. Barcelone devra toutefois se rendre compte que ces négociations ne peuvent avoir lieu dans le contexte d’une indépendance totale.

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