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Pourquoi les géants de la Silicon Valley veulent-ils nous aider à nous déconnecter ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Google, régulièrement accusé comme les autres géants internet de favoriser l’addiction numérique, a présenté cette semaine une série de fonctionnalités dans sa nouvelle version d’Android destinées à aider les utilisateurs à mieux gérer leur temps de connexion via, paradoxalement, des outils nichés dans leur téléphone.

Le patron de Google, Sundar Pichai, a assuré vouloir promouvoir le « bien-être numérique » grâce à un « Tableau de bord », une série de commandes permettant par exemple de limiter le temps passé sur certaines applications, a-t-il expliqué lors de la conférence annuelle des développeurs à Mountain View, près de San Francisco.

« Il y a une pression croissante (qui pousse) à répondre immédiatement » à toutes les sollicitations venues du téléphone, mais « nous avons l’occasion de faire mieux » et de passer de « la peur de manquer quelque chose » à « la joie de manquer quelque chose », a déclaré M. Pichai. « Nous voulons rendre du temps aux utilisateurs », a-t-il aussi assuré.

« Le bien-être numérique va être un sujet de long terme pour nous », a insisté Sameer Samat, responsable « produit » chez Google, en présentant une série de nouvelles fonctionnalités prévues dans la nouvelle version d’Android, système d’exploitation mobile de Google qui équipe la majorité des smartphones dans le monde.

Le téléphone indiquera notamment le temps passé sur les applications ou le nombre de notifications envoyées quotidiennement par chacune d’entre elles, pour aider l’utilisateur à mesurer sa consommation.

Ce dernier pourra ainsi programmer des limites de temps (par exemple, pas plus de 15 minutes par jour sur telle ou telle application), autant de fonctions qui permettent par la même occasion à Google de connaître encore plus finement les habitudes de ses clients.

Selon Google, l’intelligence artificielle, en permettant au téléphone d’accomplir plus de tâches tout seul, permet aussi de passer moins de temps rivé sur son écran, notamment grâce à son assistant vocal, qui peut désormais passer lui-même de vrais coups de fil à un interlocuteur humain, pour prendre un rendez-vous chez le coiffeur ou réserver une table au restaurant.

Google Assistant est désormais « plus naturel dans la conversation » en termes de ton et de rythme, a assuré M. Pichai et « comprend les nuances et le contexte » du dialogue.

Chez Facebook aussi

Google n’est pas la seule entreprise de la Silicon Valley à tenter son « mea culpa ». Mark Zuckerberg lui-même avançait récemment dans ses voeux la nécessité de s’intéresser davantage à la façon dont nous occupons notre temps en mentionnant l’initiative « Time Well Spent« , lancée par un ancien de Google et qui fait de plus en plus de bruit dans la Silicon Valley. Cette initiative alimente en effet les débats autour du « mal » qu’aurait engendré l’empire des technologies qui nous prend de plus en plus de notre temps. Plusieurs cadres ont ainsi ces derniers mois démissionné pour engager la lutte contre l’hyperconnectivité et faire leur mea culpa sur un outil qu’ils ont créé pour nous rendre accros.

Un leurre pour rendre encore lus accro ?

Les études se multiplient aujourd’hui pour dénoncer les effets néfastes d’une trop grande consommation des écrans chez les enfants notamment. Mais ces conséquences délétères ne touchent pas seulement les plus jeunes, mais également les travailleurs qui ont parfois bien du mal à se déconnecter de leurs mails professionnels une fois rentrés du bureau. Phénomène qui pourrait contribuer en partie à l’explosion de burn-out parmi les travailleurs.

Si la France a pris des dispositions depuis début 2017 en votant une loi donnant droit à la déconnexion professionnelle, ce n’est pas encore le cas en Belgique.

Les nouvelles dispositions d’Android pour aider les utilisateurs à gérer leur temps de connexion seraient toutefois un leurre, selon Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris Tech et à l’EHESS. Pour ce spécialiste du « digital labor« , interrogé par Le Figaro. « Ces entreprises invisibilisent le travail. Leurs nouvelles fonctionnalités prétendent nous libérer de l’injonction à l’hyperconnexion qu’elles ont elles-mêmes créée. Mais leur réponse reprend toutes les métriques de la productivité: temps d’affichage, nombre de clics… Elles installent une énième couche d’attention pour nous faire intérioriser le fait qu’une fois que nous sortons de ce mode de déconnexion, nous devons répondre à tant de mails en tant de secondes autorisées ».

En mettant l’accent sur cette question de la déconnectivité, Google et Facebook chercheraient peut-être aussi à détourner l’attention d’un autre problème, celui lié à l’exploitation de nos données personnelles qui a fait grand bruit ces derniers mois.

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