Le président turc Recep Tayyip Erdogan © AFP/Ozan Kose

Pourquoi la tension est à son comble entre la Turquie et l’Europe

Le Vif

La Turquie, furieuse de voir ses ministres privés de meetings électoraux en Europe, a encore durci la crise diplomatique, refusant le retour à Ankara de l’ambassadeur néerlandais et accusant la chancelière allemande Angela Merkel de « soutenir le terrorisme ».

Les Pays-Bas sont dans le viseur du président turc Recep Tayyip Erdogan après leur décision d’empêcher deux ministres turcs de participer sur le sol néerlandais à des meetings en sa faveur avec la diaspora turque, avant un référendum sur le statut présidentiel.

Après avoir qualifié de « nazis » les dirigeants néerlandais, Ankara est passé lundi soir aux mesures concrètes: la Turquie, a déclaré son vice-Premier ministre Numan Kurtulmus, refuse le retour de l’ambassadeur Kees Cornelis van Rij « jusqu’à ce que les conditions (…) posées soient remplies ». Et d’annoncer la suspension des relations au plus haut niveau avec les Pays-Bas.

Il a précisé que la Turquie souhaitait une enquête sur les évènements des derniers jours, dont le recours à des policiers à cheval et à des chiens pour rétablir l’ordre après une manifestation devant le consulat turc à Rotterdam (centre des Pays-Bas). Ankara veut aussi que les Pays-Bas réparent « les torts qu’ils ont commis », a-t-il dit sans plus de précision.

La responsable de la diplomatie européenne Federica Mogherini a jugé « essentiel d’éviter une nouvelle escalade et de trouver les moyens de calmer la situation ». Le département d’Etat américain a également exhorté à « éviter l’escalade ».

La tension a aussi grimpé ces derniers jours avec l’Allemagne, où plusieurs villes ont refusé la tenue de meetings électoraux turcs.

Lundi, M. Erdogan s’en est pris directement à la chancelière Angela Merkel, accusée de « soutenir les terroristes ». « Mme Merkel, pourquoi cachez-vous des terroristes dans votre pays? Pourquoi n’agissez-vous pas? », a lancé le président turc à la télévision.

Cette diatribe était destinée à dénoncer le « soutien » qu’apporterait Berlin, selon lui, à des militants de la cause kurde et à des suspects recherchés pour le coup d’Etat manqué du 15 juillet dernier, en leur offrant refuge.

Mme Merkel a jugé ces propos « aberrants ». « La chancelière n’a pas l’intention de participer à un concours de provocations », a déclaré son porte-parole Steffen Seibert.

Dans son allocution, M. Erdogan a également accusé l’Allemagne de « nazisme », une critique du soutien de Mme Merkel à son homologue néerlandais Mark Rutte dans le bras de fer avec Ankara.

« Désescalade »

Ankara est un partenaire stratégique de l’UE, notamment dans la gestion de l’afflux de migrants vers l’Europe.

Mais à la lumière de la crise actuelle, le ministre turc des Affaires européennes Omer Celik a évoqué lundi un « réexamen » du pacte sur la lutte contre l’immigration conclu il y a un an avec l’Europe.

La crise a été déclenchée par le refus des Pays-Bas d’autoriser samedi une visite du chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu, suivi de l’expulsion de la ministre de la Famille Fatma Betül Sayan Kaya.

Ils devaient participer à des meetings pour convaincre l’importante diaspora turque de voter « oui » lors du référendum du 16 avril.

La présence d’hommes politiques turcs à de tels rassemblements a donné lieu ces dernières semaines à des passes d’armes entre Ankara et plusieurs capitales européennes.

Le chef de l’Otan, Jens Stoltenberg, a lui aussi appelé lundi la Turquie et les pays européens, tous membres de l’Alliance atlantique, à une « désescalade des tensions ».

Dans ce contexte extrêmement tendu, les Pays-Bas ont appelé lundi leurs ressortissants en Turquie à rester « vigilants », après un week-end marqué par des manifestations devant les représentations diplomatiques néerlandaises en Turquie.

Le ministère turc des Affaires étrangères à convoqué le chargé d’Affaires néerlandais lundi matin et lui a remis deux lettres de protestation contre « le traitement infligé aux ministres et aux citoyens turcs aux Pays-Bas ».

De l’avis de Soner Cagaptay, analyste spécialiste de la Turquie au Washington Institute, « Erdogan se cherche des ennemis étrangers imaginaires pour courtiser sa base nationaliste à l’approche du référendum », et « les Néerlandais sont tombés dans ce piège ».

« C’est le bal des hypocrites. On prétend que les négociations d’adhésion (de la Turquie à l’UE) existent encore, mais c’est faux. Il n’y a rien de pire que la situation actuelle. Elle laisse le populisme d’Erdogan s’exprimer », déplore Didier Billon, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

Cette crise survient quelques jours avant les élections législatives prévues mercredi aux Pays-Bas, où le parti du député islamophobe Geert Wilders est donné en deuxième place par les sondages.

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