Pour son ancien Premier ministre, Paul Kagame est un dictateur stalinien

Lors de la précédente élection en 2003, Faustin Twagiramungu, un Hutu, avait obtenu moins de 4 % des voix. Rencontre avec ce rescapé des massacres de 1994, devenu ensuite Premier ministre dans l’équipe Kagame, avant de s’exiler en Belgique.

Le Vif/L’Express : L’ambiance électorale a été marquée par des assassinats et une tentative d’assassinat contre un général en exil… Qui est le commanditaire ?

Faustin Twagiramungu : C’est Paul Kagame en personne. Si ce n’est pas lui, cela voudrait dire qu’il a perdu le contrôle de la sécurité, et donc un des arguments principaux pour lesquels les bailleurs de fonds le soutiennent. Mais aujourd’hui, les Rwandais ne veulent plus du régime de M. Kagame, que j’assimile à un dictateur de type stalinien. Aussi, je suis sidéré d’apprendre que l’UE va octroyer 5 millions d’euros pour un scrutin qui ne sera qu’une mascarade.

Kagame n’a-t-il pas aussi d’authentiques supporters, qui saluent ses actions pour le développement du pays ?

C’est vrai que Kagame assure la sécurité du pays depuis un certain temps. Mais à quel prix ? Au prix des crimes de génocide commis au Congo, des assassinats de leaders ? Rappelons-nous Seth Sendashonga, assassiné en 1998 au Kenya. Et puis, quelle est cette sécurité qui ne m’autorise pas à prendre la parole dans mon propre pays ? On dit partout que la croissance est au rendez-vous, mais à quoi bon si les Rwandais n’ont pas la liberté ?

Pourquoi Kagame garde-t-il le soutien des bailleurs de fonds ?

Parce qu’il a trompé l’Occident. C’est un homme très organisé, à l’apparence calme et pondérée, mais spécialiste en dissimulation. Personne ne pose la question de savoir comment il a gagné la guerre en 1994 ni pourquoi il a empêché les Occidentaux d’intervenir pour arrêter le génocide. Comment les Européens peuvent-ils soutenir un individu qui a très certainement abattu l’avion de son prédécesseur ? Un criminel pourrait-il se présenter à des élections en Occident ? La réponse est non.

En 2003, pourquoi êtes-vous rentré d’exil pour défier Kagame ?

C’était pour tester la démocratie dans mon pays. En fait, Kagame, qui venait de mettre en prison son prédécesseur Pasteur Bizimungu, n’était pas prêt pour cet exercice. Il était loin d’avoir gagné le scrutin d’avance et il a donc fallu falsifier les urnes. A Cyangugu, là où je suis né et où on m’apprécie, j’ai obtenu 0,16 % des voix ! Et Kagame, qui n’était pas là depuis dix ans, faisait directement 90 % ! Je pourrais vous détailler tout ce que j’ai vécu alors : intimidations, menaces, perquisitions…

Si Victoire Ingabire était autorisée à participer au prochain scrutin, aurait-elle des chances ?

Je ne crois pas. Elle n’aurait jamais la confiance de l’armée, qui reste contrôlée par les Tutsi venus d’Ouganda.

Le génocide de 1994 ne justifie-t-il pas des anomalies à la démocratie telle qu’on la connaît en Occident ?

Aujourd’hui, certains prétendent que les Tutsi doivent garder le pouvoir pour éviter un nouveau génocide. Cela fait de tous les Hutu, y compris moi qui suis un rescapé, des génocidaires potentiels, ce qui est du pur racisme. En aucune façon, le génocide ne peut être une raison pour écarter les Hutu, encore moins pour commettre d’autres crimes.

ENTRETIEN : F.J.O.

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