Frédéric Mitterrand, ministre de 2009 à 2012. © B. Klein/Divergence

« Pour les ministres issus de la société civile, l’erreur, c’est de croire qu’on commande »

Le Vif

Frédéric Mitterrand a été ministre de la Culture pendant trois ans. Ses conseils aux nouveaux venus.

Est-ce qu’on s’improvise ministre ?

Je me suis glissé dans cette situation sans difficulté, même si j’ai minimisé le poids de l’administration – je ne l’ignorais pourtant pas. Le problème, lorsqu’on vient de la société civile, c’est que l’on connaît moins les arcanes de l’institution préfectorale ou du Conseil d’Etat. On marche un peu à l’aveuglette. J’ai mis longtemps à avoir un cabinet performant.

Un ministre de la société civile, c’est fait pour épater la galerie ?

Oui, mais on tombe parfois sur des types relativement sérieux… Je souhaitais changer beaucoup de choses, or ce n’était pas toujours possible. Au fond, Nicolas Sarkozy voulait Drucker et il a eu Mitterrand.

Les ministres politiques et ceux de la société civile se comportent-ils vraiment différemment ?

Un ministre politique gère le temps différemment : il pense à l’après. Il n’oublie jamais sa circonscription, il entretient des relations permanentes, notamment avec les gens d’en face. On me reprochait souvent de ne pas être suffisamment politique. Cela voulait dire de discuter avec le camp d’en face.

Emmanuel Macron a nommé onze ministres de la société civile. Est-ce un moyen de créer un nouveau rapport de force ?

Cette fois, il se passe quelque chose, j’en suis sûr. J’ai été un gadget. Comme l’a dit avec humour Brice Hortefeux (NDLR : ancien ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy), avec moi, ils s’attendaient à champagne et paillettes, ils ont eu scandale et emmerdes. Mettre beaucoup de ministres issus de la société civile, c’est habile. Je m’inquiète un peu pour Nicolas Hulot. Jean-Jacques Servan-Schreiber, Léon Schwartzenberg (NDLR : un journaliste et un cancérologue devenu ministre) ont donné des exemples de cafouillage complet. Il faut être quinze heures par jour à son boulot, il aura vite envie d’ouvrir sa fenêtre !

Françoise Nyssen à la Culture ?

Elle sera très bonne. Elle me fait penser à Brigitte Macron, elle est cultivée, douce, intelligente. Dans ce ministère, on ne réussit que si l’on a la confiance du président.

Une recommandation à ces nouveaux ministres ?

La clé, c’est de convaincre et non de commander. C’est la grande erreur des ministres venus de la société civile : ils croient qu’ils vont pouvoir commander. On leur répond  » Oui, monsieur le Ministre  » et rien ne suit. Il faut convaincre, et cela prend un temps fou. Il faut identifier les interlocuteurs sur lesquels on pourra s’appuyer. Les politiques sont plus avertis en ce domaine. Au fond, l’idéal, c’est un ministre de la société civile qui comprend que la politique est l’art de convaincre et qui sait garder le cap, sans s’enliser dans les inévitables petits compromis nécessaires à la survie. Les bons ministres de la société civile sont ceux qui ont une part de politique en eux, les bons ministres politiques sont ceux qui ont une part de société civile en eux.

Quel est le poids des codes ?

Quand on est ministre, il ne faut pas faire le malin. J’avais lu la Constitution très attentivement, comme une notice de machine à laver. Oui, il y a plein de codes. L’essentiel, c’est de ne pas penser qu’il faut casser les règles pour s’imposer. Au contraire, c’est quand on les respecte qu’on est totalement libre. La seule chose avec laquelle j’ai eu du mal, ce sont les questions au Parlement. Je m’accrochais trop à mon texte.

Avez-vous manqué de sens politique ?

On peut se faire piéger quand la part du politicien n’est pas assez développée. Il y avait une poste à Béziers que je voulais préserver. Le maire m’a contourné, le préfet m’a roulé dans la farine. Elle a été détruite. Je me suis dit que j’avais encore des progrès à faire. Mais cela aurait aussi pu arriver à un ministre politique, non ?

Entretien par Eric Mandonnet.

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