Carles Puigdemont © REUTERS

Pour le président catalan, « le fait que l’Espagne ne nous reconnaitra pas ne fait aucun doute »

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

La Catalogne veut son indépendance et va soumettre cette idée à son peuple lors d’un référendum le 1er octobre. Selon le gouvernement espagnol, la tenue de ce vote est interdite. Nos confrères de Knack ont pu s’entretenir avec le président de la Catalogne, Carles Puigdemont.

Le 1er octobre, la Catalogne, région espagnole comprenant notamment la ville de Barcelone, organisera un référendum sur son indépendance. Or, le gouvernement espagnol, basé à Madrid, a déclaré à maintes reprises qu’un tel vote est illégal. Lassée et en dépit des menaces continues et d’un avenir incertain, la Catalogne va bel et bien mettre en place un référendum sur son indépendance. Nos confrères de Knack, avec six autres journalistes européens, ont pu s’entretenir avec l’actuel président de la Catalogne, Carles Puigdemont. Voici ce qu’il faut retenir de cette interview exclusive.

De quels avantages les Catalans pourraient bénéficier après le référendum, par rapport à la situation actuelle ?

Carles Puigdemont: Un des arguments principaux est la démocratie. Les Catalans veulent vivre dans une société pleinement démocratique, et ce n’est pas ce que l’Espagne offre pour le moment, que ce soit au niveau national ou régional. A l’heure actuelle, il y a une « guerre sale » de l’Espagne envers les Catalans. Sans le statut d’indépendance, nous ne pouvons pas fonctionner comme une société libre à long terme. Nous voulons nos propres infrastructures, système de santé et économie pour nos enfants.

« Un avenir pour nos enfants ». Vous parlez comme si vous étiez un peuple pauvre, opprimé qui est menacé de mort. La situation est, à bien des égards, assez bonne pour la Catalogne. Vous pensez que cela pourrait être encore mieux ?

A cause des compétences inégales, nous perdons chaque année environ un milliard d’euros. Cet argent, nous le générons nous-mêmes et pourrions par exemple l’investir dans le réseau ferroviaire. Nous manquons également de fonds pour soutenir les étudiants boursiers dans les universités. Nous voulons fonder notre propre infrastructure sur laquelle bâtir notre système économique. La Catalogne ne peut se concentrer uniquement sur le tourisme. 20% du PIB catalan est généré par le secteur industriel. Maintenant que ça évolue rapidement, il est nécessaire d’avoir une autonomisation économique structurelle pour assurer à nos enfants une vie prospère à long terme.

Vous vous sentez pris en otage par le gouvernement national ?

Nous avons non seulement le sentiment que l’Espagne n’est pas notre pays, mais aussi un pays qui est contre nous. (…) Il semblerait que l’Espagne veuille nous donner les mêmes droits que les autres régions si nous abandonnons l’indépendance catalane. Au cours des 40 dernières années, il n’y a eu aucune proposition de Madrid pour discuter du statut de la Catalogne. La Catalogne est la seule région espagnole qui n’a pas le statut qu’elle souhaite. Dans toutes les autres régions, cela a été pris en compte. Si le Premier ministre Mariano Rajoy appelle demain avec une proposition, je serai le premier à vouloir l’écouter. La dernière fois que je lui ai parlé, nous avons convenu que la relation entre la Catalogne et l’Espagne pouvait être améliorée. Sa seule suggestion pour améliorer cette relation, c’était un statu quo.

Pourquoi bénéficiez-vous de si peu de compréhension de la part des autres régions espagnoles ?

Je ne sais pas quelles informations ont les Espagnols à propos de la question catalane. La semaine dernière, il y a eu un documentaire sur la soi-disant « guerre sale » menée par le gouvernement espagnol contre la Catalogne. Mais il n’y a pas eu un mot sur ce documentaire dans les médias espagnols.

Avez-vous une idée du coût de l’indépendance de la Catalogne ?

Cela dépend du scénario. Nous ne pouvons évidemment pas prédire combien de temps durerait la période de transition. Alors que nous sommes occupés à la préparation de la déclaration d’indépendance, la Catalogne fait de bons résultats économiques. 2016 a été une année record pour les exportations et les investissements étrangers. Nous avons eu une croissance de plus de 3,5% et notre taux de chômage baisse plus rapidement que celui de l’Espagne. (…) Le fait que l’Espagne ne nous reconnaitra pas ne fait aucun doute. Mais cela signifie aussi que nos citoyens conservent l’identité européenne. Il est en effet peu probable que l’Union européenne nous reconnaisse comme nation indépendante au lendemain du référendum. Mais il semblerait bien que la majorité des Catalans veuillent être indépendants, c’est donc bien une réalité politique. Aussi bien l’UE que l’Espagne doivent avoir le courage de faire face à cette réalité.

Avez-vous déjà reçu des signaux d’autres pays européens qui semblent indiquer qu’ils reconnaitront la Catalogne ?

Officiellement ? Non. Mais nous ne le demandons pas encore. On ne peut guère demander la reconnaissance d’une chose sur laquelle le peuple catalan ne s’est pas encore prononcé. Nous voulons en premier lieu de la compréhension. Lorsque nous parlons avec d’autres pays sur le fait que les Catalans doivent pouvoir décider de leur avenir, la majorité est d’accord avec nous.

Vous allez demander ce soutien après le référendum ?

Seulement s’il ressort que la majorité des Catalans souhaitent l’indépendance. Ensuite, nous irons aussi bien à Madrid que devant les communautés européennes et internationales pour montrer qu’il y a eu une décision claire du peuple catalan. Nous demanderons donc à chacun de se mettre autour de la table.

Madrid a annoncé vouloir prendre tous les moyens nécessaires contre la tenue de ce référendum. Avez-vous parfois peur d’une escalade militaire ?

Non, la violence n’est pas une option pour nous. Et je pense que c’est aussi le cas du gouvernement national. C’est uniquement un conflit politique et démocratique, même si Madrid compte déclarer le référendum illégal de manière juridique. Ils ne nous enverront pas d’urnes et je peux être suspendu sans qu’il y ait de procès. Toutes ces tentatives seront infructueuses. Je ne peux évidemment pas le prévoir avec 100% de certitude, mais je ne pense pas que la violence est sur la table à Madrid.

Supposons que le gouvernement espagnol tente de bloquer le référendum, jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? Etes-vous un révolutionnaire ?

Je suis un pacifiste. Même dans mes jeunes années, je protestais déjà contre toute forme de violence. Je ne pourrai jamais appeler les Catalans à une protestation violente. Un sit-in reste par exemple dans le champ des possibles. Nous sommes très fiers de notre histoire pacifique.

Pensez-vous que la situation puisse créer un précédent pour d’autres régions de l’Union européenne ?

Non, chaque région a un caractère spécifique et son propre dynamisme. Ici, c’est venu de chez nous. Mais il est peu logique de comparer la question catalane avec les autres.

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