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« Pour le jihadiste astucieux, les frontières n’existent pas »

Le Vif

Un renforcement des contrôles aux frontières de Schengen, probable après les pérégrinations du jihadiste belge Abdelhamid Abaaoud, n’empêchera jamais un criminel astucieux de se déplacer à sa guise et de monter des opérations, assurent policiers et experts.

Et s’ils demandent que la coopération entre pays de l’UE soit accrue en la matière, avec notamment une mise en commun plus rapide et systématique des informations et des signalements, ils se font peu d’illusions sur la possibilité de contrôler efficacement tous les points d’entrée dans l’union et de suivre à la trace tous les suspects. « Il faut le dire et le savoir : avec les nouvelles mesures, certes nécessaires, on n’attrapera que les neuneus » (idiots, ndlr), confiait à l’AFP, sous couvert de l’anonymat, un haut responsable de l’antiterrorisme en France, au moment où entraient en vigueur les dispositions comprises dans la récente loi sur le Renseignement.

En prenant quelques précautions, comme éviter de prendre l’avion, brouiller les pistes en multipliant les détours, choisir avec soin des points d’entrée mal surveillés, utiliser des faux documents de qualité ou, mieux, des passeports authentiques, il est relativement simple de se déplacer en restant en permanence sous le radar des forces de l’ordre.

Avec une bonne carte ou un GPS, passer de nuit, en voiture, par une route de campagne ou un chemin de terre entre la Roumanie et la Hongrie, par exemple, offre la quasi-certitude de ne rencontrer personne et de n’être pas contrôlé. En y mettant le prix, rien de plus simple que de parcourir en Zodiac les quelques kilomètres entre la Turquie et certaines îles grecques.

Un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur assure que « pour quelqu’un d’organisé avec un peu de logistique, il y aura toujours moyen de rentrer dans Schengen, même si on ferme les frontières (…) Les amateurs qui sont recherchés, s’ils prennent l’avion et qu’ils voyagent sous leurs vrais noms, alors oui ils seront arrêtés. Les autres… »

« Le plus efficace, c’est de voyager avec de vrais papiers sous un faux nom », ajoute-t-il. « Se faire passer pour un réfugié est beaucoup plus aléatoire, ça prend plus de temps. Les vrais pros ne se font pas passer pour des réfugiés notamment parce que leurs empreintes sont prises et rentrées dans Eurodac, le fichier qui permet d’enregistrer les personnes à l’entrée de l’espace Schengen pour mettre en oeuvre les accords de Dublin ».

Méthode du ‘look-alike’

En multipliant les allers retours entre l’Europe et la Syrie Abdelhamid Abaaoud, jihadiste connu et recherché, considéré comme l’instigateur des attentats qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre, a nargué toutes les polices d’Europe. Il a remercié dans une interview au magazine en ligne de l’EI Dabiq « Allah pour avoir brouillé leur vision », mais le plus probable est qu’il avait étudié les points faibles de la zone Schengen et avait pris ses précautions.

« Les personnes recherchées vont privilégier des faux papiers ou des vrais appartenant à quelqu’un qui leur ressemble ou des papiers authentiques obtenus grâce à une administration corrompue », précise le même haut fonctionnaire. « Avec de vrais papiers, vous aurez beau vous faire contrôler cent fois, ça ne changera rien, vous circulerez sans difficulté. Il n’y a aucune parade, et c’est bien ça le problème. Une fois qu’on est entré à l’intérieur de Schengen, il n’y a plus de contrôles ».

« Contrairement à ce qu’on pense, il est très facile d’entrer et de sortir de l’UE sans se faire repérer », confiait jeudi à l’AFP le criminologue Christophe Naudin, spécialiste de la fraude documentaire. « On peut considérer les contrôles à l’entrée de Schengen comme quasi-inexistants ».

Selon lui, l’une des méthodes préférées des jihadistes internationaux est la substitution d’identité : la méthode dite du +look-alike+. « Il suffit de substituer au passeport de quelqu’un de recherché celui de quelqu’un qui ne l’est pas et qui lui ressemble. Il va passer les contrôles sans problème », assure-t-il.

La mise en oeuvre d’un « Passenger Name Record » (PNR) – un fichier européen des données personnelles des voyageurs aériens dont l’adoption par l’Europe est réclamée avec insistance par la France – « n’y fera rien », selon le haut fonctionnaire de l’Intérieur, estimant qu' »il sera une aide à l’enquête mais n’empêchera pas la circulation ».

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