Myriam Leroy

Polémique « Hanouna »: C’est le moment de… (re)lire « La chambre de Giovanni »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

« Mhmmm, j’aime bien les maçons. T’as une belle truelle ? » Le 18 mai, au lendemain de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie (!), l’animateur d’une des quotidiennes les plus vues de France se lançait en direct dans un hallucinant canular téléphonique d’un autre temps, piégeant de jeunes gays qui croyaient répondre à une véritable annonce coquine.

Cyril Hanouna, peinant à réfréner son hilarité, s’adressait à eux en imitant ce qu’il pense manifestement être une voix d’homo (on ne vous fait pas un dessin), à grand renfort de gestuelle de  » grande sotte  » et de plaisanteries salaces de harceleur de cour de récré.

L’affaire fit grand bruit et quelques annonceurs profitèrent du bad buzz pour s’en faire un good en abandonnant l’émission. Hanouna, se revendiquant d’abord de Charlie pour se draper dans la vertu de la liberté d’expression, finit par faire  » amende honorable « . Dans une lettre ouverte, il insinua que le problème n’était pas tant son  » sketch  » que l’homophobie de la société et la fragilité de sa cible.

Voilà qui fait immédiatement penser à En finir avec Eddy Bellegueule, récit cruel des humiliations d’un jeune homo de province, et de sa douloureuse mais salvatrice extraction sociale. Et voilà qui donne aussi envie d’offrir à Cyril Hanouna ce classique un peu oublié de la littérature gay, La Chambre de Giovanni, de James Baldwin. Le James Baldwin du saisissant documentaire I Am Not Your Negro de Raoul Peck, qui ne portait pas qu’une parole militante de la cause noire mais endossait aussi le singulier profil de l’activiste homo à une époque qui le tolérait à peine.

Réagissant au canular homophobe de Cyril Hanouna, Charlie Hebdo n'a pas ménagé l'animateur de TPMP.
Réagissant au canular homophobe de Cyril Hanouna, Charlie Hebdo n’a pas ménagé l’animateur de TPMP. © SDP

Publié en 1956, La Chambre de Giovanni met en scène David, un Américain en villégiature à Paris tandis que sa fiancée est en goguette en Espagne. Une nuit, dans un bar interlope, il fait la rencontre du serveur. Giovanni est beau, Giovanni est vif, Giovanni a un sens de la provocation qui émoustille. David ne le sait pas encore, mais il est cramé, foutu, happé par le jeune homme. Son ami Jacques lui dit :  » Tu as… combien ? Vingt-six, vingt-sept ans ? J’ai pratiquement deux fois ton âge et, laisse-moi te dire, tu as de la chance. Tu as de la chance que ce qui est en train de t’arriver t’arrive maintenant et pas à quarante ans ou plus, quand il n’y aurait aucun espoir pour toi et que tu serais simplement détruit.  » Vieil homo, Jacques connaît bien les jeunes garçons et leurs sortilèges.

David, muré de barrières mentales, commence par se dérober à cet amour naissant. Il refuse d’accueillir son appétit pour un autre homme, mais celui-ci s’impose rapidement à lui. Leur liaison sera brève, intense, d’une incandescente et tragique beauté. Dans l’espace réduit de la chambre de bonne qu’occupe cet aspirant Gatsby qu’est Giovanni, David, citoyen d’un pays où l’homosexualité est encore interdite, fait l’éprouvante (et érotique) expérience de la collision des sentiments avec les conventions qui lui ont très tôt pétri le cerveau.

Cependant, au-delà d’un roman sur la difficulté d’être homosexuel (et c’est justement en ça qu’il est intéressant à soumettre à ceux qui pensent encore en termes de  » ils  » et de  » nous « ), La Chambre de Giovanni est simplement l’histoire d’un amour entravé. Un amour banal en somme, comme peuvent le vivre les couples adultères, les amoureux d’extractions sociales incompatibles, et tous ceux qui ont un jour éprouvé la brûlante morsure du désir pour l’habitant d’une planète mal alignée avec la leur. Amer et sublime.

La Chambre de Giovanni, par James Baldwin, Rivages Poche. 208 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire