Lors de l'Euro 2016, le 11 juin, le match Russie-Angleterre voit leurs supporters s'affronter au stade Vélodrome, à Marseille. © Burak Akbulut/Getty Images

Plongée au coeur des hooligans russes ultranationalistes, dont même Poutine a peur

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Ils promettent un « festival de violence » lors du Mondial russe. Et menacent de s’en prendre aux Anglais, leurs modèles devenus leurs ennemis.

La Coupe du monde organisée en Russie fait planer sur le football l’ombre d’une résurgence de la violence aveugle. On pensait le hooliganisme pratiquement éradiqué des stades, depuis les mesures de sécurisation prises après les drames survenus dans les années 1980-1990, dont celui du Heysel. L’Euro 2016, en France, a réveillé de tristes souvenirs, avec ces batailles rangées entre supporters anglais et russes, dans les rues de Marseille. Dans un documentaire de la BBC, en février dernier, des leaders hooligans russes jurent désormais de transformer le Mondial en un  » festival de violence « , cet été.

 » La Coupe du monde étant un enjeu tellement important en termes d’image pour le pouvoir de Vladimir Poutine, tout sera mis en oeuvre pour éviter les débordements, estime Ekaterina Gloriozova. C’est sa réputation qui est en jeu.  » Cette chercheuse de l’ULB vient de décrocher, en mai, son doctorat avec un travail consacré au hooliganisme en Russie. Elle se veut rassurante :  » Lors de mes derniers reportages de terrain, à l’été 2016, j’ai rencontré des hooligans moscovites qui me disaient déjà ressentir le durcissement des autorités à leur égard. Ils comptaient bien se tenir à carreau, certains me disaient même qu’ils songeaient à quitter le pays durant la Coupe du monde pour ne pas être associés au moindre incident. Ils me promettaient un Mondial paisible. J’ai surtout le sentiment que ceux qui promettent un « festival de violence » veulent se faire de la publicité.  » Pourtant, il y a des raisons d’être inquiet.

L’expression violente d’une frustration

Le hooliganisme russe a le vent en poupe. Il est le reflet d’une société où l’idéologie nationaliste est devenue un ciment pour ressouder des communautés orphelines du communisme et déchirées par l’éclatement de l’Union soviétique.  » Dans les années 1990, les supporters russes se sont fortement inspirés du hooliganisme anglais et en ont importé les éléments les plus radicaux, dont la symbolique de type skinhead, comme un effet de mode, explique la doctorante. Le nationalisme s’est frayé une place dans leurs rangs, en raison du contexte : c’était une période où il y avait un rejet très prononcé des idéologies associées au communisme et à l’extrême gauche. Les sentiments xénophobes se répandaient. Le nationalisme a fait l’objet d’un consensus entre le discours du pouvoir et les aspirations du peuple, après la grave crise économique des années 1990. Il a apporté des réponses à l’aspiration d’un retour à l’ordre.  » La sous-culture hooligan en est devenue le symbole avec sa valorisation de la violence, de la masculinité et de l’héroïsme guerrier.

Hors du pays, Vladimir Poutine la démonstration de force

Très tôt, le pouvoir russe comprend qu’il doit accorder une attention particulière aux supporters de football.  » Dès le début des années 2000, des stratégies de négociation ont été mises en place, souligne Ekaterina Gloriozova. Des supporters ont aussi été utilisés pour disperser certains meetings de partis d’opposition ou d’écologistes.  » Le pouvoir oscille entre laxisme volontaire et répression calculée. Il s’inquiète de la capacité de mobilisation de ces supporters, après la guerre en ex-Yougoslavie, où ils ont joué un rôle de premier plan, et à l’heure où des révolutions populaires renversent le pouvoir dans des Etats postsoviétiques comme la Géorgie ou l’Ukraine. En coopérant, le régime maintient un contact et évite que ces mouvements bien organisés, qui savent affronter les forces de l’ordre, ne se retournent contre lui.

En raison de préoccupations sécuritaires, le pouvoir négocie aussi le déplacement de ces compétitions de hooligans vers les forêts et les campagnes.  » C’est le résultat d’un pacte tacite entre services de sécurité et supporters, résume la doctorante de l’ULB. Les autorités ont accepté de fermer les yeux en échange d’une pacification des villes. Avant, il y avait de grands affrontements à Moscou ou Saint-Pétersbourg. Les jours de match, les hooligans détruisaient tout sur leur passage. Les autorités ont voulu montrer qu’elles prenaient la mesure de ces actions spectaculaires qui préoccupent à juste titre l’opinion publique.  » Désormais, ces batailles se déroulent loin des foules. Mais on en parle toujours autant. Et leurs combattants sont vénérés. Comme des héros.

Un ennemi commun : le Caucasien

Le hooliganisme russe n’est pas un mouvement homogène, loin s’en faut. Mais il est devenu un monde à part entière, dont les liens avec le football ne sont plus forcément évidents.  » A partir de la fin des années 2000 et du début des années 2010, il y a eu une unification des clubs de supporters sur une base ethnique, poursuit Ekaterina Gloriozova. Les clubs perçus comme russes – ceux de Moscou, de Saint-Pétersbourg ou des régions – ont atténué leurs rivalités et élaboré un discours commun pour s’opposer aux clubs caucasiens, devenus les adversaires prioritaires. La figure du « Caucasien » est devenue un repoussoir pour les supporters, comme elle l’est devenue dans le nationalisme en général.  » Voilà l’ennemi dont tout discours populiste a besoin.

En décembre 2010, les événements de la place du Manège, non loin du Kremlin, symbolisent cette évolution. La violence des hooligans est déclenchée, cette fois, par le meurtre d’un supporter du Spartak de Moscou, Egor Sviridov, 28 ans, commis le 6 décembre à la périphérie de la capitale par un groupe de jeunes  » originaires du Caucase du Nord « . Plus de 5 000 personnes se rassemblent. Des actes de violence à connotation xénophobe ont lieu, attaques contre la police à la clé. C’est la consécration de cette union sacrée contre  » le Caucasien « . Et si le gouvernement russe annonce une série de mesures pour retisser le lien social, la haine persiste. Qui témoigne, aussi, d’une défiance des supporters à l’égard du pouvoir.

 » La politique, dans le sens de la politique partisane, est rejetée par les supporters, relève la chercheuse. Ils aiment se présenter comme indépendants d’un milieu qu’ils considèrent comme sale, compromettant, dont les divisions menacent l’unité nationale. Ces hooligans considèrent que leur attitude est citoyenne, qu’elle vise à défendre leurs droits en tant que Russes menacés par une invasion et à dénoncer les problèmes de ce qu’ils appellent « l’ethno-criminalité ».  »

Les nationalistes russes, aujourd’hui, cultivent en outre  » un rapport très compliqué à l’Occident « .  » En ce qui concerne les Anglais, on est passé d’une admiration et d’une fascination absolue dans les années 1990, avec des drapeaux britanniques dans les stades, à un rejet total, conclut Ekaterina Gloriozova. Les événements de Marseille ont surpris tout le monde parce qu’ils ne rentraient pas dans la logique des affrontements de hooligans. Dans tous les entretiens que j’ai eu pour ma thèse, ils me décrivaient les Anglais comme des alcooliques, des vieux… Marseille, à leurs yeux, c’était surtout un coup d’éclat pour se faire de la publicité.  » Et se faire reconnaître à l’extérieur comme les garants de la puissance retrouvée de la Russie, célébrés comme tels dans les médias. Hors du pays, Vladimir Poutine apprécie la démonstration de force. Sur son territoire, le président l’adorerait sans doute moins.

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