© Derek Goodwin

Peter Singer: « Renvoyez les boat people et allez chercher des réfugiés dans les camps »

Le Vif

« Les Européens devraient se poser la question suivante: faut-il donner le droit de résidence à celui qui traverse la mer et qui réussit à atteindre la côte plutôt qu’à celui qui attend dans un camp en Jordanie ou au Liban ? »

Né en 1946 à Melbourne, Peter Singer est le fils d’émigrés viennois. Depuis plusieurs années, ses idées sur l’interruption de grossesse et l’assistance active aux mourants suscitent la polémique. Dans son nouveau livre intitulé The Most Good You Can Do il propose un regard rationnel et réaliste sur la pitié, la miséricorde et l’engagement caritatif. Singer souhaite optimaliser les coûts et les bénéfices de façon à ce que les moyens disponibles soient utilisés pour améliorer le bien-être d’un maximum de gens. Pour lui, ce n’est pas le sentiment mais la raison qui doit déterminer notre comportement éthique.

Ainsi, Singer estime que si nous devons décider et que nos possibilités sont limitées, ce qui est généralement le cas, il faut intervenir de manière réfléchie. « En général, à moyens égaux, il vaut mieux sauver un grand nombre de vies qu’un petit. Et il vaut mieux sauver les jeunes que les personnes âgées. « Si j’avais été capitaine du Titanic, j’aurais donné priorité aux jeunes de vingt ans, simplement parce qu’il leur reste plus de temps à vivre et donc plus de potentiel d’avenir. Dans la réalité, le droit de vie est bafoué à chaque minute.

L’accueil de réfugiés sauve des vies. Des milliers de boat people se noient en essayant d’atteindre l’Europe ou l’Australie. Votre patrie, l’Australie, mène une politique stricte de no-entry. Tous, sans exception, sont renvoyés.

Singer: Ce n’est pas toute la vérité. L’Australie ne laisse entrer personne qui atteint ses plages de façon illégale. Cependant, proportionnellement au nombre d’habitants, elle accueille un contingent important de réfugiés par voie légale. Peut-être qu’elle pourrait en héberger plus. Cependant, la question éthique qui se pose, et les Européens aussi doivent se la poser, est la suivante : faut-il donner le droit de résidence à celui qui traverse la mer et qui réussit à atteindre la côte plutôt qu’à celui qui attend dans un camp en Jordanie ou au Liban ? Je trouve plus justifié de les renvoyer et d’aller plutôt chercher des réfugiés dans les camps en respectant des critères objectifs et réfléchis.

Pour vous, il faut tenter de sauver un maximum de vies et rendre le monde plus viable pour le plus grand nombre. En même temps, vous êtes le point de mire de critiques et de polémiques parce que sous certaines conditions, vous excusez le meurtre d’une vie « indigne d’être vécue », telle que celle d’un nouveau-né lourdement handicapé. Pour vous toutes les vies ne sont-elles pas sacrées ?

Singer: Je ne crois pas que toutes les vies humaines se valent, peu importe la qualité de vie. En soins intensifs, les médecins et les proches de patients décident de débrancher des appareils et de mettre fin à des vies. Pourquoi les parents d’un nouveau-né atteint de lésions irréparables, causées par d’importantes hémorragies cérébrales par exemple, n’auraient-ils pas le droit de décider de sa mort ? Entre l’avortement d’un embryon, atteint de lésions génétiques, et la mise à mort d’un nourrisson gravement handicapé, il y a une sorte de frein psychologique. D’un point de vue éthique, la distinction est faible, même négligeable. La question éthique décisive doit être : la qualité de vie de cet enfant est-elle misérable au point qu’il vaut mieux ne pas le laisser vivre ? Il s’agit finalement d’un soulagement de la souffrance. C’est pourquoi il est scandaleux de me comparer aux euthanistes nazis comme on l’a fait en Allemagne.

Le souvenir des pratiques nazies a éveillé la méfiance de l’opinion publique allemande contre toute forme d’assistance aux mourants.

Singer: Je comprends. Par contre, ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on m’empêche de parler et qu’on se dérobe à une discussion argumentée. N’oublions pas que la liberté d’expression figure parmi les premiers droits bafoués par les nazis.

Source : Der Spiegel

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