Jan Cornillie

« Pauvre Allemagne: si riche et si désemparée dans la lutte contre la pauvreté »

Jan Cornillie Directeur du bureau d'étude du sp.a

Ces dernières semaines, l’Allemagne a connu un débat houleux sur les conséquences des réformes socio-économiques d’il y a 20 ans. Ces mesures ont fondamentalement changé l’État-providence allemand, quelques années après que Reformstau (obstruction de réformes) ait été élu mot de l’année et que l’Allemagne ait été traitée de malade de l’Europe. Aujourd’hui, la discussion porte sur les conséquences du nouveau Wirtschaftswunder.

Même si, à première vue, l’Allemagne semble en pleine forme économique, les chiffres cachent une réalité douloureuse. Le nombre d’Allemands qui vivent dans la pauvreté augmente rapidement. Si rapidement que les Allemands ne reconnaissent plus leur pays.

Alors qu’en Belgique, la hausse du coût du vieillissement fait toujours l’objet de discussions, l’Allemagne a réglé ce problème depuis longtemps. Au début du siècle, les réformes Riester du gouvernement écolo socialiste Schröder ont en effet fait baisser les pensions et rendu l’épargne-pension fiscalement attrayante.

Quinze ans plus tard, l’Allemagne se retrouve avec les pensions les plus basses par rapport aux salaires de l’UE après l’Irlande. Ajoutez à cela que beaucoup de séniors allemands n’ont pratiquement pas pu épargner pour leur pension. Du coup, la pauvreté s’envole parmi les personnes âgées, au point même que Horst Seehofer, leader du CSU bavarois conservateur déclare que la réforme Riester a échoué. Entre-temps, on a approuvé une petite hausse des pensions et en 2017, la majoration des pensions sera certainement un thème électoral, si pas le thème.

Travailleurs pauvres

Le chômage n’a jamais été aussi bas. Ce succès du marché du travail est attribué aux réformes Hartz, nommées d’après l’ancien directeur du personnel de Volkswagen qui a frayé la voie au gouvernement Schröder. Il a proposé l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les mini-jobs et la réforme drastique du système d’indemnités. Après un an de chômage, les Allemands retombent par la force des choses sur un salaire minimum payé partiellement en logement et en soins de santé. En outre, les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur une modération salariale en échange de boulots, mais pas sur un salaire minimum.

Le résultat de cette politique dix ans plus tard? Le chômage réduit de moitié et deux fois plus de travailleurs pauvres. Aujourd’hui, plus de 3 millions d’Allemands travaillent pour un salaire qui ne leur permet pas ou à peine de joindre les deux bouts. L’inégalité aussi a augmenté très rapidement : les salaires les plus bas baissent depuis dix ans alors que les salaires élevés continuent à grimper. Ces mesures ont favorisé l’apparition d’un marché de travail dual avec des billigjobs (jobs aux salaires bas) dans le secteur des services – surtout réservés aux migrants – et de meilleurs salaires dans l’industrie allemande.

Les taux d’intérêt de l’épargne à un cours plancher

Parlons finalement de l’épargne allemande. En Allemagne aussi, les taux d’intérêt de l’épargne ont atteint un cours plancher. Ces intérêts bas sont une très mauvaise nouvelle pour les employés qui comptent sur leur livret d’épargne pour compléter leur pension. L’explication allemande, c’est que la politique de taux bas de la Banque centrale européenne mange l’épargne allemande. Au point que le ministre allemand des Finances – pour l’Allemagne du moins – a brisé l’indépendance sacrée de la BCE et a demandé publiquement une hausse des taux. Wolfgang Schäuble a ajouté qu’il tient la BCE à moitié responsable de la montée du parti populiste de droite Alternative für Deutschland. Le président de la BCE Mario Draghi a immédiatement renvoyé la balle. Il a indiqué que les taux sont la conséquence de la croissance faible et non l’inverse. L’excédent de l’épargne allemand pèse sur la croissance de la zone euro. Cet excédent est précisément la conséquence de pensions trop faibles, de salaires bas, d’excès budgétaire et de trop peu d’investissements. Les Allemands ont du mal à comprendre que le taux bas découle des mêmes raisons qui ont mené au succès économique récent.

Il y a quelques années, l’ambassade néerlandaise m’a invité à débattre au sujet de l’économie belge, néerlandaise et allemande. J’ai alors proposé d’utiliser l’excédent budgétaire pour soutenir fiscalement les salaires bas. Un ambassadeur a protesté que cela ne fonctionnerait pas : les Allemands aiment épargner. Je lui ai répondu que les gens qui ont travaillent pour un salaire bas ne sont généralement pas allemands. Je lui ai demandé aussi s’il croyait que quelqu’un qui avait 100 euros de plus sur un salaire de 600 euros par mois épargnerait cet argent ?

Pauvre Allemagne, si riche, et si désemparée dans la lutte contre la pauvreté

Plus tard, j’ai fait la même proposition lors d’une réunion SPD (Socialdemokratische Partei Deutschlands) à Berlin. Malheureusement, là non plus je n’ai pas été approuvé. Pour les responsables politiques du SPD, utiliser une politique fiscale pour soutenir les salaires jure avec les principes de l’économie de marché sociale. Selon eux, ce n’est pas à l’état à améliorer les salaires. Pauvre Allemagne, si riche, et si désemparée dans la lutte contre la pauvreté.

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