Rachel Owens

Paradise Papers: « Il est inacceptable de devoir compter sur les fuites et les lanceurs d’alerte »

Rachel Owens Directrice du Plaidoyer de l'ONG Global Witness, Bruxelles

Les révélations des  » Paradise Papers  » jettent une fois de plus la lumière sur ces sociétés anonymes qui servent de véhicules à des activités criminelles menées en toute impunité.

Les fuites récentes autour d’activités offshore, baptisées « Paradise Papers », illustrent cette fois encore la manière dont des sociétés anonymes et des trusts servent de moyens d’échapper à l’impôt et de se livrer à des activités illicites. Alors que plupart des médias se sont jusqu’à présent intéressés aux aspects fiscaux, ces sociétés anonymes et trusts servent aussi, en toute discrétion, à blanchir de l’argent à des fins de corruption, de financement du terrorisme et du trafic d’êtres humains.

L’un des meilleurs moyens de faire face à ce problème consiste à lever le voile sur ce système et à pointer du doigt ceux qui se cachent derrière ces structures opaques. C’est pourquoi nous réclamons une transparence totale et demandons aux gouvernements de lever le secret endémique qui règne autour des bénéficiaires effectifs de ces sociétés et trusts, en rendant les informations les concernant disponibles dans des registres publics.

Une analyse de la Banque mondiale a révélé que 70% environ des cas de corruption impliquant des représentants gouvernementaux au plus haut niveau sont liés à ces sociétés et trusts fictifs utilisés pour dissimuler les noms des actionnaires et des propriétaires d’actifs toxiques.

Ces récentes révélations viennent souligner le faible rôle que joue l’Union européenne (UE), depuis le scandale des Panama Papers, dans la lutte contre le secret d’entreprise. Parmi les juridictions opaques exposées aux Paradise Papers figure l’île de Malte, pays membre de l’UE. Par son manque d’intervention, l’UE se rend complice de ce système toxique, qui fait peser une menace réelle sur l’économie et la sécurité de l’UE.

Toutefois, la publication de ces fuites est plus qu’opportune. Les négociations autour de la 5ème directive de lutte contre le blanchiment d’argent prévues aujourd’hui seront une occasion unique pour les 28 pays membres de l’UE d’aborder ce problème. L’une des questions-clés consistera à savoir jusqu’où rendre publiques les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et trusts. Certains parmi les plus grands Etats membres, l’Allemagne par exemple, s’opposent à plus de transparence en la matière.

A Global Witness nous sommes d’avis que les gouvernements des pays de l’UE doivent impérativement créer ces registres publics pour les sociétés, trusts et autres structures similaires. Et ce sans plus attendre, surtout si l’on veut que ces nouvelles règles s’appliquent aussi au Royaume-Uni, pays clé en matière de transparence des trusts, avant sa sortie de l’UE prévue en mars 2019.

Des pays ayant déjà bien avancé sur la question pourraient servir d’exemples à d’autres. Le Royaume-Uni, le Danemark et l’Ukraine, entre autres, disposent déjà de registres publics sur les bénéficiaires effectifs d’entreprises et nombreux sont ceux qui se sont engagés à suivre la même voie.

Cependant, la seule création de registres ne suffit pas ; encore faut-il que leur format soit utilisable. Le Royaume-Uni fait à cet égard figure de pionnier. Effectivement, l’accès au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés britanniques est gratuit et se présente sous un format de données ouvert. Ceci est essentiel, car cela permet à des organisations telles que Global Witness de comparer les données qui s’y trouvent avec d’autres ensembles de données, telles que celles révélées par les offshore leaks relatives aux paradis fiscaux, et de retrouver ainsi la trace de détournements de fonds publics dans le but ultime de mettre les acteurs de la corruption sur le banc des accusés.

Le scandale des Paradise Papers a jusqu’à présent révélé la manière dont de très riches particuliers parviennent à dissimuler leur fortune en domiciliant leurs avoirs dans des structures offshore leur permettant de la sorte de mener un train de vie des plus luxueux. Cependant, ces montages financiers nébuleux favorisent également des actes délictueux graves et très lourds de conséquences. Des sommes d’argent gigantesques, dont une grande partie appartient de plein droit à des nations parmi les plus pauvres du monde, sont détournées vers des paradis fiscaux grâce à des mécanismes de corruption, de fraude et d’évasion fiscales.

La République démocratique du Congo constitue une illustration parfaite de ce phénomène : pays riche en ressources naturelles, dont pourtant certains services de base, tels que l’éducation, la santé et les infrastructures routières souffrent d’un manque récurrent de financements publics. Les Nations-Unies le classent parmi les pays les plus pauvres du monde, où près de la moitié des enfants accusent des retards de croissance graves dus à des problèmes de malnutrition chronique.

Depuis 2010, nous dénonçons les transactions effectuées en République démocratique du Congo par Glencore, le géant minier milliardaire, en faveur de Dan Gertler, un ami proche du président Joseph Kabila. Sur une période 10 années de partenariat, Glencore a prélevé des fonds, accordé des prêts et octroyé des parts de marché, d’une valeur estimée à plus de 500 millions de dollars, à des entreprises offshore détenues par Gertler, lui permettant ainsi de réaliser un profit d’au moins 67 millions de dollars sans courir le moindre risque. Plusieurs de ces transactions n’avaient pas beaucoup de sens commercial pour Glencore, à moins que celles-ci n’aient servi à « récompenser » Gertler, l’ami du président.

Glencore et Gertler ont réfuté toute allégation de malversation dans le cadre de leurs accords sur le Congo. Ces nouveaux éléments laissent néanmoins penser que les relations qu’entretiennent Glencore et Gertler dépassent de loin ce qui était préalablement établi, de même qu’ils soulèvent la question d’éventuels faits de corruption. En quoi cela importe-t-il ? Le fait est que le Congo voit s’échapper des milliards de dollars, qui autrement pourraient être injectés dans des services publics, pour l’acquisition dans la plus grande opacité, via des sociétés installées dans des paradis fiscaux, de mines de cuivre sous-évaluées, mais néanmoins extrêmement rentables.

Paradise Papers: il est inacceptable de devoir compter sur les fuites et les lanceurs d’alerte

Afin de faire face au problème des sociétés-écrans et de la corruption, il faut de la transparence et exiger des responsables qu’ils rendent des comptes. Les gouvernements de l’UE doivent agir sur la question des sociétés opaques installées sur son territoire, en rendant publics les noms des propriétaires réels qui se cachent derrière celles-ci. Toutes les transactions entre Glencore et l’homme d’affaires Gertler doivent faire l’objet d’une enquête de la part des autorités compétentes, et ce dans toutes les juridictions concernées, y compris le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis et la Suisse. Nous devons également pouvoir nous appuyer sur des règles plus strictes pour lutter contre la criminalité en col blanc. Les régulateurs financiers doivent afficher une plus grande volonté de sanctionner les responsables au plus haut niveau et obliger ceux-ci à rendre des comptes. Le modèle actuel de fuites de documents sur lequel on se base, tels que les « Panama Papers » et les « Paradise Papers », pour dénoncer des faits de malversation et exiger des auteurs de ceux-ci qu’ils s’expliquent, n’est pas acceptable. C’est aux gouvernements que cette tâche incombe. Pour ce faire, ils doivent disposer d’une législation commune, forte et applicable au niveau mondial. Les négociations aujourd’hui constituent le cadre adéquat pour y parvenir, encore faut-il que l’UE s’assure de ne pas passer à côté de cette occasion unique.

Rachel Owens, Directrice du Plaidoyer de l’ONG Global Witness, Bruxelles

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