Gérald Papy

« On était très très loin, à Dortmund, des débordements de hooligans que le football réserve épisodiquement »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La place que lui réserve désormais le quotidien L’Echo est un indicateur implacable que le football est définitivement entré dans une nouvelle ère.

L’attaque terroriste dont a été victime l’équipe du Borussia Dortmund le soir de son quart de finale de la Ligue des champions confirme aussi, par la plus ignoble des manières et après l’attentat au stade de France en prélude à la sinistre soirée parisienne du 13 novembre 2015, ce nouveau statut acquis par le sport déjà le plus populaire de la planète. De plus en plus vitrine de l’économie mondialisée et d’un nationalisme soft ou conquérant, il s’expose, à son corps défendant, à la stratégie mortifère des terroristes dont le leitmotiv en Europe est de briser le vivre-ensemble. Dès lors, pourquoi pas aussi dans les tribunes et parmi les  » beaufs  » qui les peuplent, c’est-à-dire ceux présumés les plus enclins à nourrir des réactions simplificatrices de rejet ?

Les supporters de foot, en vérité, sont le reflet plus ou moins fidèle des sociétés. Et en l’occurrence à Dortmund, Allemands et Monégasques ont montré, plus encore peut-être qu’à Paris ou à Bruxelles après les attentats, qu’il ne fallait pas nécessairement partager les mêmes opinions, fussent-elles aussi  » futiles  » que la fidélité à un club, pour faire preuve de solidarité à l’égard de l’autre. Encouragements aux joueurs aux maillots jaune et noir par les supporters de Monaco, accueil d’urgence de ceux-ci par leurs  » coreligionnaires  » de la Ruhr, profond respect lors du match reprogrammé le lendemain… On était très très loin, ce soir-là, des débordements de hooligans comme à Lyon ou à Bastia, que le football réserve de manière récurrente.

Ainsi, l’esprit de Dortmund peut-il renverser l’image que certains se plaisent à retenir de ce sport trop populaire pour mériter leur intérêt. Le dédain d’une élite à l’égard de cette passion brute et débordante, le philosophe Jean-Claude Michéa a tenté de le décrypter dans un petit essai intitulé Les Intellectuels, le peuple, et le ballon rond (Climats Flammarion, 64 p.)  » Cette intelligence populaire, qui descend au fond des choses comme on descend à la mine, l’intelligentsia n’a guère les moyens de la reprendre à son compte. Parce qu’il lui est impossible – dans sa masse – de comprendre en quel sens et de quelle façon le football a été, et peut être encore, une source privilégiée de la créativité populaire, l’intelligentsia ne peut pas non plus comprendre en quoi la disparition programmée de cette créativité menace de priver les classes populaires d’un des fondements majeurs de leur identité.  » Le cas des intellectuels n’est peut-être pas aussi désespéré qu’il n’y paraît, conclut pourtant Jean-Claude Michéa, pariant sur leur force à surmonter leurs plus vénérables préjugés. L’esprit de Dortmund devrait y contribuer.

On peut nourrir la même espérance à l’égard de ces milliardaires du football qui en détiennent aujourd’hui les plus beaux fleurons. Certes, on perçoit bien la fracture de plus en plus criante entre deux mondes clos que peuvent symboliser, par exemple, la visite un peu condescendante du plus fortuné des clubs, Manchester United à Anderlecht en Europa League et la valeureuse et sympathique épopée de la Royale Union saint-gilloise dans l’antichambre morose de l’élite du championnat belge. Pourtant, même les plus affairistes des magnats du sport roi, qataris, russes ou chinois, sont bien obligés de reconnaître et donc de prendre en considération que l’âme d’un club, dont sont garants par excellence ses supporters, est aussi une arme de séduction, y compris économique.

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