Thierry Fiorilli

« Obama, Clinton… Les Américains ne se font plus d’illusions sur la force des symboles »

Thierry Fiorilli Journaliste

Huit ans après Obama, il se pourrait que les USA voient gagner une nouvelle fois un candidat symboliquement fort. Après le premier afro-américain élevé à la fonction suprême des USA, la première femme présidente pourrait bientôt être intronisée. Pourtant, ces symboles forts ne sont plus vraiment un argument puissant. Les véritables vainqueurs sont les populistes comme Donald Trump, incarnations du « parler vrai » contre les « élites » de l’establishment.

Ce sera donc la photo-finish qui les départagera. Ou le pile ou face. Les sondages annoncent en tout cas que le 45e président des Etats-Unis n’émergera, ce 8 novembre, que d’un cheveu. Pour autant, et compte tenu du fait que les sondages sur les intentions de vote se sont pratiquement tous trompés, partout, ces dernières années, le succès, tout étriqué qu’il soit, n’aura pas le même goût pour le vainqueur selon que s’impose finalement Hillary Clinton ou Donald Trump. La victoire du milliardaire, plus que celle de l’ex-First Lady, aurait rang de triomphe. Parce qu’il y a quelques mois à peine, l’imaginer s’installer à la Maison-Blanche équivalait, aux yeux de beaucoup, à divaguer gravement.

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Or, le voilà toujours en course. Lui,  » le bouffon « ,  » le fou furieux « ,  » le gros porc « , le  » pire qu’Hitler « ,  » l’horreur « , le  » harceleur sexuel « … Il est bel et bien en position de s’installer aux commandes de la première puissance mondiale. Sans coup d’Etat. Sans scrutin truqué. Juste parce qu’il a suffisamment d’électeurs derrière lui. Et, s’il accède à la fonction suprême donc, davantage que sa rivale.

Dans les faits d’ailleurs, le vainqueur des présidentielles US, c’est déjà Donald Trump. Ce et ceux qu’il incarne. Et qu’on retrouve, en aussi grand nombre, toujours croissant, en Europe comme aux Etats-Unis. Les contre tout, les convaincus par les théories du complot, les laissés-pour-compte (autant les vrais que ceux qui se considèrent comme tels), les gens qui ont peur, qui veulent qu’on réplique par la force, qu’on élimine tout ce qui gêne, ceux qui aimeraient que leur pays retrouve sa grandeur, ceux qui dénoncent les droits et libertés des autres pour mieux multiplier et protéger les leurs. Ceux qui ont fait que, cette année, en Grande-Bretagne, le Brexit a bien eu lieu. Ceux qui ont choisi, il y a un peu plus de vingt ans, en Italie, Silvio Berlusconi, le maintenant au poste de Premier ministre jusqu’il y a encore cinq ans. Ceux qui, depuis, ont permis aux populistes, d’extrême droite ou d’extrême gauche, venus de nulle part ou jusque-là confinés à la marge, de déferler, du nord au sud et d’est en ouest. Aux niveaux local, national et continental. Pêle-mêle, Pim Fortuyn, Geert Wilders, les Le Pen en France, le Vlaams Belang, le PTB, Beppe Grillo, Jobbik, Syriza… Ceux qui résument les gouvernements démocratiques traditionnels à un establishment politique souvent corrompu et toujours menteur. Ceux qui ne voient plus que ça, qui se le répètent, en boucle, entre eux, sur le Web et les réseaux sociaux. S’autonourrissant à l’infini de leurs propres convictions.

C’est, en grande partie, ce qui explique le nouveau chemin de croix d’Hillary Clinton, parfaite incarnation de cette élite cible des candidats  » au parler-vrai « . Une battante prodigieuse, toujours debout après avoir essuyé mille tempêtes. Un symbole, elle aussi, de tabous qui tombent, de verrous qui sautent : elle serait la première femme présidente de l’histoire des Etats-Unis ! Mais comme le résumait en nos colonnes (Le Vif/L’Express du 21 octobre dernier) la féministe de gauche Nancy Fraser,  » cette dimension est effacée par le précédent Obama. Lui était le premier président noir d’un pays bâti sur l’esclavage et la discrimination raciale. Or, sous sa présidence, les indices de pauvreté et l’espérance de vie des Afro-Américains se sont détériorés. Les Américains ne se font plus d’illusions sur la force des symboles.  »

Pas plus les Américains que tous les autres, à vrai dire. C’est ce qui explique la progression des snipers politiques. De façon au fond très paradoxale : eux-mêmes sont toujours le symbole de régressions.

Il semble écrit qu’il va nous falloir, un jour ou l’autre, repasser par là. Un peu partout.

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