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Nucléaire iranien: « Mais dans quel but Donald Trump fait-il cela? »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La sortie des Etats-Unis de l’accord nucléaire iranien peut avoir de lourdes conséquences économiques en Europe, mais également fortement fragiliser la diplomatie internationale.

Le message du président américain Donald Trump était clair en sortant de l’accord nucléaire avec l’Iran, il veut à tout prix empêcher que ce dernier ne fourbisse une arme nucléaire.

Il a choisi pratiquement l’option la plus radicale en rétablissant l’intégralité des sanctions levées, mais aussi en annonçant des sanctions encore plus sévères.

En annonçant cette décision, Trump a précisé que les entreprises étrangères auront entre trois et six mois pour « sortir » d’Iran avant d’être frappées à leur tour par des mesures punitives leur barrant l’accès aux marchés américains.

Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie mondiale, car l’accord a eu d’importants effets économiques depuis qu’il a été signé il y a presque trois ans. Et ce n’est pas une bonne chose pour les affaires en Europe et encore moins pour les entreprises belges, qui entretemps ont développé de bonnes relations commerciales avec ce pays du Moyen-Orient.

Les entreprises belges ont en effet pu profiter de ce retour de l’Iran dans l’économie mondiale. Les exportations belges vers l’Iran ont augmenté ces trois dernières années. Aujourd’hui, en tout, on exporte 600 millions d’euros par an, c’est trois fois plus qu’avant l’accord. Historiquement, le pays a une longue relation avec l’Iran. C’est en effet la Belgique qui a construit la première ligne de chemin de fer là-bas et qui a aidés les Iraniens à développer leur réseau postal, rappelle la RTBF.

Les échanges de l’Union européenne avec l’Iran, qui ne représentaient que 7,7 milliards d’euros en 2015 ont, eux, quasiment triplé, pour atteindre en 2017 21 milliards d’euros.

« Cela a comme conséquence que les sanctions américaines peuvent aussi être d’application pour ces entreprises, si elles ont également des relations commerciales avec les Etats-Unis« , avertit Bart Kerremans, professeur en relations internationales et expert des Etats-Unis (KU Leuven) dans les colonnes du Morgen.

« La pression sur les entreprises belges sera assez forte. »

En Europe, l’incertitude est donc de mise. Le Premier ministre Charles Michel a rapidement dénoncé la décision du président américain de se retirer de l’accord nucléaire international avec l’Iran. « L’absence d’accord signifie plus d’instabilité ou la guerre au Moyen-Orient. Je regrette profondément le retrait de Donald Trump de (l’accord). Ses partenaires internationaux doivent rester engagés et l’Iran doit continuer de rencontrer ses obligations« , a commenté le chef du gouvernement dans un message sur Twitter.

Il n’est « pas acceptable » que les Etats-Unis se placent en « gendarme économique de la planète », a affirmé de son côté le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire sur la radio France Culture après la décision de Donald Trump de rétablir les sanctions visant l’Iran.

Bruno Le Maire juge que le retrait américain de l’accord nucléaire était « une erreur » pour la sécurité internationale, mais aussi du point de vue économique, le ministre a observé que cette décision aurait des « conséquences » pour les entreprises françaises, telles que Total, Sanofi, Renault, Peugeot ou le groupe hôtelier Accor. C’est surtout le secteur aéronautique qui sera fortement impacté. Airbus ayant enregistré des commandes de compagnies aériennes iraniennes (Iran Air Tour, Zagros Airlines) pour 100 avions au total, dont des A320neo, valorisés à près de 10 milliards de dollars.

« En deux ans, la France avait multiplié par trois son excédent commercial avec l’Iran », a souligné Le Maire. Or la décision américaine impose aux entreprises étrangères des « délais très courts de l’ordre de six mois » pour se retirer de l’Iran, a-il-noté. Cela va « poser des difficultés à toutes les entreprises européennes (…), mais plus important encore que le problème économique, c’est le problème de principe, d’avoir des sanctions extraterritoriales », a-t-il jugé.

L’Allemagne qui a vu ses livraisons progresser continument à partir de 2015 pour atteindre près de 3 milliards d’euros en 2017 devrait, elles aussi, cesser ses activités en Iran « immédiatement », a demandé mardi l’ambassadeur américain en Allemagne.

De quelle manière l’Europe peut-elle tirer son épingle du jeu? Là est toute la question. « Comment l’Europe peut-elle encore s’en sortir?« , s’inquiète David Criekemans, professeur en politique internationale à l’université d’Anvers dans De Morgen. « La pression sur les entreprises belges sera assez forte« , estime-t-il.

Un coup de pouce aux extrémistes

Outre ces possibles conséquences économiques, les experts se demandent aussi comment l’Iran va réagir de son côté. Pour Sico van der Meer, expert de l’Iran à l’Institut Clingendael aux Pays-Bas spécialisé dans les questions de diplomatie internationale, « le risque est élevé que l’Iran sorte de l’accord. On perd alors tout contrôle et le pays peut effectivement travailler réellement à un programme nucléaire. Trump aura alors atteint l’inverse de ce qu’il désirait faire. »

Par ailleurs, cette décision unilatérale venant des Etats-Unis peut aussi donner un coup de pouce aux extrémistes en Iran. Van der Meer avance dans le quotidien flamand: « Le Président iranien Hassan Rouhani a écopé de nombreuses critiques de la part des extrémistes, car ils n’avaient pas confiance en l’accord avec les pays occidentaux. Il semble donc qu’ils avaient raison. S’ils devaient prendre le pouvoir, cela créerait en Iran encore plus de ressentiments anti-occidentaux et davantage de conflits dans la région. »

Mais la plus grave des conséquences selon Van der Meer serait que le retrait de Trump mine la diplomatie internationale. « Quel pays voudrait encore conclure un accord avec l’Occident? Trump pense qu’il a la Corée du Nord à ses genoux, mais il n’y a encore rien de conclu concrètement. Et l’éclatement de l’accord nucléaire iranien va susciter la méfiance en Corée du Nord. »

On pourrait aussi se poser la question suivante : « Mais dans quel but Donald Trump fait-il alors cela?« . Principalement parce qu’il veut prouver à ses propres électeurs qu’il tient ses promesses de campagne et qu’il s’occupe de ce que Barack Obama lui a légué, est d’avis le professeur Kerremans.

Cela plaira en effet à une large majorité de ses partisans, déclare Van der Meer. « Dans son discours, il parle de missiles, du rôle de l’Iran et du Yémen en Syrie et des terroristes. Mais l’accord ne concerne pas ces sujets, mais bien un programme nucléaire. En faisant le gars qui n’en a jamais assez et qui met tout dans le même panier, il peut donner l’image d’un Iran corrompu et d’un président fantastique qui agit de manière déterminée. Cela fonctionne chez ses partisans. »

Les Européens sont dans tous les cas déterminés à sauver l’accord nucléaire iranien. Ils devraient poursuivre ce mercredi leurs concertations pour sauver le compromis de 2015.

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