Carte blanche

Nos régions et le traité transatlantique : une position-clé

La négociation des modalités du traité commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne, baptisé TTIP, se poursuit dans l’ombre. Le 11° round de négociation qui s’est terminé à Miami n’a pas constitué une étape décisive du processus. Le prochain calendrier, incertain, laisse de la place à une discussion politique plus ouverte, à tous niveaux. La Wallonie va y jouer un rôle primordial au cours des prochains mois.

La finalité de ce traité est cependant explicite puisqu’au dire des deux parties, il s’agit d’atteindre « le niveau de libéralisation le plus élevé possible » et de « réduire autant que possible les barrières non tarifaires » qui gênent les échanges. Les bénéfices attendus de telles dispositions sont une facilitation globale des marchés pour 350 millions d’Américains et un demi-milliard d’Européens. Qui croit vraiment à un résultat positif pour le bien-être de tous ? Les conseils des entreprises multinationales ont tous préparé au plan « technique » et restent en permanence dans les coulisses des négociations, en traquant toute disposition gênante pour leur activité et en inventant des dispositions pour éviter de nouvelles réglementations ou lois de régulation.

En Belgique, il se trouve peu d’avocats en faveur du TTIP, même si le gouvernement fédéral, dès son démarrage, a opté pour sa ratification, avant même de disposer du résultat négocié. Seule la FEB s’expose clairement et publiquement, avec un arsenal d’arguments structurés. Par contre, dans la société dite « civile », nombre de groupements s’opposent clairement à un traité jugé non démocratique et menaçant pour les conditions de vie. Alter-mondialistes, écologistes, syndicalistes, et jusqu’aux grandes mutuelles ont pris des positions très étayées allant dans le sens d’un arrêt du TTIP.

Outre les dispositions de commerce, le traité est appelé à trouver une formule de règlement des conflits. Celui-ci se ferait normalement par arbitrage privé (ISDS), tant pour les différends entre entreprises que pour les problèmes soulevés entre entreprises et pouvoirs publics. Devant la bronca suscitée par cette disposition choquante, la Commissaire européenne en charge du Commerce international, Cecilia Malmström, propose maintenant une formule hybride, non testée, associant la logique des juridictions classiques et la logique des arbitrages privés. Il s’agit d’un leurre doucereux car le montage Malmström impliquerait la réforme des conventions internationales sur l’arbitrage privé. De plus, cela n’a trouvé aucun écho aux USA.

L’Europe ne sait pas où elle va dans la négociation du TTIP, elle adopte la vision purement britannique d’un continent assimilé à un grand marché

Ceci traduit le fait que l’Europe ne sait pas où elle va dans cette négociation, si ce n’est qu’elle adopte progressivement la vision purement britannique d’un continent assimilé à un grand marché. La Commission laisse la négociation à ses hauts fonctionnaires, véritables irresponsables armés des instructions sectorielles des compagnies les plus importantes.

Les USA, qui ont toujours une visée géopolitique, viennent d’imposer un traité trans-Pacifique (TTP) excluant la Chine. Il n’est pas ratifié mais est déjà utilisé comme argument massue pour que l’Europe ne reste pas en marge du développement du commerce mondial.

Devant des enjeux d’une telle ampleur, on pourrait croire que toute action politique un tant soit peu volontariste est vouée à l’échec. Ce n’est pas le cas !

La Wallonie en position de grande responsabilité

La Région Wallonie a pris des positions claires et courageuses face à la négociation de ce traité TTIP. Elle l’a fait en connaissance de cause, et à temps, sur base d’auditions et de documentations fouillées. Compte tenu du fédéralisme belge, ces positions placent notre région en situation de mettre le TTIP en échec. Notre responsabilité est énorme.

A ce stade, il se trouve peu d’institutions parlementaires et/ou gouvernementales à avoir pris des positions aussi tranchées. L’Autriche est troublée, la Grèce a toujours une position anti-TTIP, mais est sous pression de la Commission européenne, la France politique se place de manière pathétique derrière les intérêts des multinationales d’origine française. Quant à l’Allemagne, probablement décisive dans le round final, elle attend des décisions juridiques de sa Cour constitutionnelle qui sera sans doute très indisposée par les abandons de souveraineté politique au profit d’une gestion de la société par le commerce. Chez nous, la Région de Bruxelles et la Communauté germanophone pourraient, avec la Wallonie, entraver le TTIP.

L’analyse politique du dossier devrait conduire tous les opposants wallons au TTIP à un soutien franc et sans ambiguïté de leur gouvernement régional. Cette action pourrait se traduire par la propagation dans tous les cercles amis, existant partout en Europe, des textes et positions de la Région Wallonie.

Elle devrait se concrétiser par la mise en évidence d’une Région qui prend la tête d’un mouvement de reconquête de l’Europe par elle-même, un mouvement qui lui redonne de l’identité. Contre une version de l’Europe « annexe des USA » et incapable de s’entendre sur autre chose que sur des concessions aux marchés.

La majorité au Parlement wallon se complète d’une majorité dans la représentation au Parlement européen (socialistes, humanistes -francophone et germanophone-, écologiste). Ces députés mènent un travail d’envergure dans leurs groupes respectifs ou en marge de ceux-ci.

3.300.000 signatures de soutien à la pétition contre le TTIP sont méprisées par la Commission européenne. Mais celle-ci ne pourra pas contourner la position d’institutions politiques représentatives et pleinement légitimes. En l’état actuel des choses, la Belgique n’adopte pas le traité TTIP, et l’Europe non plus, par voie de conséquence. C’est à la fois vertigineux et très encourageant.

La position de la Wallonie dans cette affaire ne doit pas être vue comme un repli. Elle sera vue comme une position de précurseurs qui entendent affirmer des valeurs sociales et humaines et les mettre dans une position supérieure à celle du commerce dans la hiérarchie des normes internationales.

Gérard Lambert – Économiste

Collectif Roosevelt Namur

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