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Nicolas Sarkozy pense tellement fort à son retour que cela s’entend

Le Vif

Nicolas Sarkozy avait assuré qu’on n’entendrait plus parler de lui en cas de défaite à l’élection présidentielle. A moins d’être sourd, il devient difficile de ne pas percevoir son envie de retour… Mais l’élection présidentielle de 2017 est encore loin.

Il est arrivé en retard, ne s’est pas installé à la place qui lui était réservée. Le 15 avril, Nicolas Sarkozyassiste aux obsèques d’Antoine Veil au cimetière de Montparnasse, à Paris, en présence de nombreuses autres personnalités. A l’issue de la cérémonie, il salue les uns et les autres. Au moment où sa main s’apprête à serrer celle de l’un de ses anciens ministres, Jean-Pierre Jouyet, l’ami de François Hollande, il tourne les talons. Est-il resté, n’en déplaise à ses proches qui voudraient croire à sa nouvelle sagesse, l’impétueux qu’il fut hier, le meilleur de ses ennemis?
Ce même jour, il se rend à Boulogne-Billancourt, au siège de la chaîne L’Equipe 21. Il a demandé que le secret autour de sa visite soit respecté. Ce passionné de sports prend du bon temps. Evoquant le talk-show du soir, il plaisante: « je ne serais pas le plus ridicule si j’étais invité! » Mais il fait aussi, toujours, de la politique. L’attribution de ce canal n’allait pas de soi pour le Conseil supérieur audiovisuel, et pour un peu l’ancien président décrirait maintenant jusque dans les moindres détails comment, depuis l’Elysée, il avait forcé la main de l’instance pour obtenir gain de cause.

La veille, comme au bon vieux temps, il a longuement discuté avec ses compagnons de quinquennat, Patrick Buisson et Jean-Michel Goudard. Certains de ses plus proches conseillers continuent à travailler pour lui. Camille Pascal lui présente des personnalités de la société civile et planche sur ses discours. C’est à lui que l’on doit la réminiscence du dicton « Faites comme à Liège, laissez pleuvoir », lâché le 27 mars, à l’occasion d’une remise de décoration à un ministre belge, par Nicolas Sarkozy lors de sa première apparition après sa mise en examen.

Il dégaine aussi vite que lorsqu’il était encore dans le métier. Le 31 mars, le Journal du dimanche (JDD) publie un écho: Jean-Pierre Raffarin y complimente François Fillon dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017. Dès le lendemain, le téléphone du sénateur de la Vienne sonne: il est convié dans les bureaux de l’ancien chef de l’Etat, rue de Miromesnil. L’ex-Premier ministre n’avait plus de nouvelles depuis qu’il avait livré son analyse sans concession du mandat dans un texte publié dans L’Etat de l’opinion (2013) – TNS Sofres (Seuil).

Un festival de piques contre François Fillon, « M. Egal »

Pendant sa petite traversée du désert consécutive à la victoire de Jacques Chirac, en 1995, Nicolas Sarkozy apprenait l’anglais. Avec, la suite le démontrerait, des résultats mitigés. Cette fois, il apprend une autre langue qui lui est tout autant étrangère, le silence. Avec des résultats là encore mitigés. La vraie-fausse interview dans Valeurs actuelles, en mars, a jeté un certain trouble. Lui-même n’a pas tout de suite su qu’en penser.

Deux semaines plus tard, il se déplace en Libye. Il a d’abord dit non, ne voulant pas réapparaître en public. Puis oui: il a même accepté de s’adresser au Parlement. « Je ferai un grand discours sur la Méditerranée. » Le voilà qui annule: pas d’allocution. Il ira à Tripoli et aussi, à l’improviste, à Benghazi – mais il ne quittera pas sa voiture, que la foule enthousiaste secoue.

Dans l’avion, il ne dit mot à Alain Juppé du rendez-vous qui l’attend quarante-huit heures plus tard à Bordeaux: une nouvelle convocation chez le juge Gentil, dans le cadre de l’affaire Bettencourt, dont il sortira mis en examen. Le jour J, avant d’entrer dans le bureau du magistrat, il rappelle Juppé pour le remercier de l’avoir accompagné dans son périple et ne l’informe pas davantage. Il n’a rien dit, à personne, pas même à son amie Isabelle Balkany.

Parler, se taire. Le week-end suivant, la question se pose avec vigueur tant il est ulcéré par son sort judiciaire. S’il renonce à participer au 20 Heures de TF1, c’est le stylo à la main que l’avocat Sarkozy relit l’interview au JDD de Me Herzog, qui assure sa défense.

Qu’il est difficile de se transformer en muet du sérail ! Dès le 7 août 2012, il avait publié un communiqué sur la Syrie. Après l’intervention française au Mali, les parallèles dressés avec l’opération en Libye le font bondir. Il n’a pas oublié le conseil que lui avait donné la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton pour s’assurer du soutien des Etats-Unis: « vous appelez Barack Obama et vous ne lâchez pas le téléphone jusqu’au moment où il vous dira oui, ça mettra une demi-heure, une heure… » Cela avait mis une heure.

Alors il canarde François Hollande pour ne pas avoir su construire une alliance autour de la France. « Aller au Mali, c’est une connerie! » remarque-t-il devant Alain Juppé. « Tu aurais été à sa place, tu aurais fait exactement la même chose! » lui rétorque son ancien ministre des Affaires étrangères. « Ce n’est pas vrai, réagit-il. D’ailleurs, il y avait en Libye un pouvoir légitime. »

Non, il n’a pas changé au point de ne pas toujours vouloir avoir le dernier mot. Non, il n’a pas changé au point d’avoir laissé dans un placard élyséen le sens de la formule qui tue. Non, il n’a pas changé au point de dire du bien de François Fillon. La petite phrase de son ancien Premier ministre dans un entretien au Monde, en février (« Nous sommes tous au même niveau »), lui est allée droit au coeur. Ce fut ensuite un festival de méchancetés et de piques ironiques sur « M. Egal ». Alors il a beau assurer à ses visiteurs: « je sais bien que je dois changer! Tu crois que je serai le même qu’en 2013? », c’est à ce moment-là qu’en général un ange passe. L’ange parfois a les traits de sa femme, Carla, qui joue un rôle moteur dans sa tentative de retour.

Les élus qui sollicitent un rendez-vous sont vite reçus

Nicolas Sarkozy n’a pas besoin de la faiblesse des autres pour se sentir fort. Pour un Hervé Morin qui n’a pas donné suite, combien se précipitent dans son bureau ? Il reçoit la terre entière. « Je vais faire le maximum », répond l’ami Brice Hortefeux à tous les élus, si peu importants soient-ils, qui le sollicitent pour décrocher un petit rendez-vous avec le grand chef. « Faire le minimum » eût suffi: à peine trois jours et la date est déjà calée. Le 26 mars, il s’entretient avec quatre députés élus pour la première fois en 2012. Fidèle à ses habitudes, il use aussitôt du tutoiement, que ne lui rendent pas ses visiteurs, trop impressionnés. Les présentations sont vite interrompues: « je vous connais très bien! » L’ex est briefé. Rode ses formules: « ce n’est pas un projet qu’il faut au pays, mais un progrès. »

Gaz de schiste, OGM, recherche fondamentale seraient les clefs d’un miracle français. Découvre « le charme de la conversation », même s’il dit à chacun ce qu’il souhaite entendre. Dézingue les populaires du camp d’en face: « Valls est mort. Avec les manifs antimariage, les heures supplémentaires des policiers vont flamber, et il n’y a plus d’argent. » Ne lésine pas sur les compliments. « La dernière fois que tu es passé à la télé, tu n’avais pas de cravate, c’était mieux! » dit-il à Eric Woerth, qu’il a fini par revoir alors que les deux hommes avaient évité de se croiser tant que l’affaire Bettencourt suivait son cours.

De son mépris pour son successeur, il ne se montre jamais économe. Et pour appuyer son jugement, il affirme le partager avec d’autres grands de ce monde: il cite les noms d’Angela Merkel et de José Manuel Barroso. François Hollande, l’unique objet de son ressentiment. Nicolas Sarkozy évoque encore aujourd’hui les trois personnalités qu’il lui avait demandé, en vain, de recaser, lors de la passation de pouvoir.

Il sait que François Hollande le suit à la trace, en France comme à l’étranger. Il n’a pas vraiment partagé le sens de l’humour présidentiel au Salon de l’agriculture (un enfant: « Je n’ai jamais vu Sarkozy! » ; le chef de l’Etat: « tu ne le verras plus! ») et a trouvé que la presse, comme toujours dans son esprit, ne faisait pas payer au socialiste le juste prix de ce qu’il a considéré comme l’inélégance suprême: se moquer de lui. « Il est en train d’alimenter son moteur d’une haine irrationnelle et absolue vis-à-vis de Hollande, comme il l’avait fait avec Jacques Chirac entre 2002 et 2007, note François Baroin. C’est un moyen de préparer son retour, le cas échéant. »
Putain, quatre ans! Dit autrement: patience et longueur de temps… « Tu veux que je fasse comme ton Chirac ? Que je me fasse écrire un bouquin », avait-il lancé à Jean-Louis Debré la première fois qu’il avait mis les pieds au Conseil constitutionnel. Songe-t-il à écrire? Il laisse les responsables de l’opposition débattre de son bilan, ou plutôt éviter de le faire, tétanisés par son ombre. « Le droit d’inventaire, je le ferai moi-même », a-t-il glissé à l’un de ses visiteurs. « Si on avait été parfaits, on aurait gagné », a-t-il reconnu devant un autre, songeant davantage à son quinquennat qu’à la campagne de 2012.

A chaque sortie, il se retrouve face à une muraille de mains tendues ou d’appareils photo. Comme ce jour où il s’arrête chez le célèbre pâtissier de la place du Trocadéro, Carette. Le temps qu’on lui prépare une boîte de macarons – le grand modèle -, il se prête de bonne grâce à la pose. Il savoure cette popularité, celle-là même qui s’est émoussée un an seulement après son élection et qu’il n’a jamais retrouvée jusqu’à sa défaite. « Est-elle proportionnelle à son éloignement? » s’interroge perfidement un ténor de droite.

Après le passage de Nicolas Sarkozy chez Michel Drucker, dans un Vivement dimanche consacré aux 80 ans de Jean-Paul Belmondo, Isabelle Balkany a reçu des dizaines de tweets de soutien. Elle les lui a égrainés au téléphone, il n’en a pas perdu une miette: « qu’est-ce qu’ils sont sympas, les gens! » C’est parce qu’il compte bien que les gens soient de plus en plus sympas qu’il estime, comme l’a dit son porte-parole officieux, Brice Hortefeux, que « les primaires, c’est secondaire ». « Pour réussir en politique, il faut avoir raison avant les autres. Si vous avez besoin d’avoir l’aval des militants, c’est que vous n’avez pas réussi à vous imposer comme chef », a-t-il expliqué à un interlocuteur.

Revenir… mais quand et comment?

Il n’a pas été loin de plonger dans le business. Inquiets des répercussions aux yeux de l’opinion, ses amis se sont précipités pour le dissuader de participer à l’aventure d’un fonds qatari, ils ont obtenu gain de cause. Aujourd’hui, l’ancien président pense tellement fort « je vais être obligé de revenir » que cela finit par s’entendre. Mais l’épée de la justice persiste à planer au-dessus de sa tête. S’il est décidé à ne pas parcourir de nouveau tout le chemin politique qui mène de la base au sommet, il cherche une voie originale. Pour tenter de réussir là où tout le monde, avant lui, dans la Ve République, a échoué.

Il sait pourtant, il sait mieux que personne, lui qui avait promis d’arrêter en cas d’échec, que la politique fait perdre la raison. En 2002, il avait confié, après avoir observé Jacques Chirac à l’instant où celui-ci apprenait son score au second tour de la présidentielle, 82%: « J’ai croisé son regard, c’était celui d’un fou. »

Par Eric Mandonnet et Benjamin Sportouch

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