La présente lourdeur du climat fait les choux gras de Nicolas Sarkozy, qui reprend ses habitudes : une actualité, il accourt, de Nice à Londres © J. Pachoud/AFP

Nicolas Sarkozy part à la reconquête de la présidence

Cette fois, c’est (re) parti ! Officiellement candidat à la primaire depuis ce lundi, l’ancien président lance les grandes manoeuvres en cette fin d’août. Sa combativité est intacte, l’actualité le sert et le choeur de ses fidèles est là. Mais saura-t-il convaincre qu’il a compris son échec de 2012 ?

 » Ce sont des histoires différentes et, en même temps, c’est toujours moi.  » Nicolas Sarkozy se prépare à écrire une nouvelle page de sa vie. 2007, le temps de la fascination. Le 14 janvier de cette année-là, de quoi parle un juppéiste lorsqu’il croise un autre juppéiste ? De… Nicolas Sarkozy, et même pas en mal : c’est dire s’il se passe quelque chose d’inhabituel. Au Palais des expositions de la porte de Versailles, à Paris, le député Benoist Apparu discute avec Edouard Philippe et Vincent Le Roux, deux autres fidèles du maire de Bordeaux. A la tribune, le candidat à l’élection présidentielle prononce un discours mémorable. Les trois hommes se regardent :  » Putain, il l’a fait. Il a un truc, ce mec.  » Ce mec s’appelle Sarkozy : dans quatre mois, il entrera à l’Elysée et il impressionne alors jusqu’à ses ennemis de l’intérieur.

 » Ce sont des histoires différentes…  » La magie d’hier a laissé la place à la compétition d’aujourd’hui. Benoist Apparu porte la parole d’Alain Juppé pour la primaire de novembre.  » Nicolas est désormais trop dans lui-même, il ressemble à Louis de Funès, il se singe souvent. Tant qu’il n’a pas fait son deuil de 2012, il ne pourra plus me bluffer et ne sera pas capable de reproduire un moment comparable à celui de 2007.  »

L’ancien président fait face à ses multiples concurrents, sûr de sa force, sûr de leurs faiblesses

2012, le temps de la chute. Au soir de sa défaite, le 6 mai, dans les appartements privés de l’Elysée, Nicolas Sarkozy évoque Clemenceau,  » un type exceptionnel, qui n’a jamais été président « . Mais, dès le lendemain matin, il appelle son ancien ministre Brice Hortefeux pour lui demander de constituer une association qui défende son bilan. Il a toujours vécu avec l’idée qu’il pourrait faire autre chose que de la politique, il est systématiquement retombé du même côté. C’est son histoire. Et maintenant qu’il songe à la grande Histoire, moins qu’à Clemenceau, il pense à ceux qui ont voulu être après avoir été. Redevenir président après avoir été chassé du pouvoir, le rôle n’a jamais été pris.

 » La vérité, c’est que je crois qu’il va y arriver.  » En ces premiers jours de juillet, Brice Hortefeux, l’ami de toujours, retrouve le sourire. 2016, le temps de la reconquête. L’ancien président fait face à ses multiples concurrents, sûr de sa force, sûr de leurs faiblesses. Devant les élus de son parti qu’il rencontre pendant ses déplacements en province, il se moque volontiers de ses anciens ministres devenus des rivaux –  » des gens qui se bousculaient autour de moi quand j’étais à la tribune, j’en avais des bleus « .  » Personne n’a su prendre ma place après 2012, alors qu’elle était vacante, confie-t-il. Chirac ne m’a pas laissé la sienne quand il a préparé son départ du pouvoir.  » Pas sûr que François Fillon, qui estime, sans avoir vraiment tort, que Nicolas Sarkozy a torpillé sa candidature à la présidence de l’UMP il y a quatre ans, partage l’analyse.  » Fillon est à contre-image, c’est le gendre idéal qui a trahi. Juppé est à contre-image, lorsqu’il recule, aussitôt, il perd son calme et me critique. Ma contre-image, c’est que, jusqu’au bout, je suis allé à une petite fête départementale, militant parmi les militants.  »

Le 12 mai, l'ancien ministre de l'Intérieur visite Sorhea, une entreprise spécialisée dans la protection des lieux sensibles.
Le 12 mai, l’ancien ministre de l’Intérieur visite Sorhea, une entreprise spécialisée dans la protection des lieux sensibles.© J. Pachoud/AFP – R. Meigneux/AFP

D’abord distancé par Alain Juppé dans les intentions de vote, Nicolas Sarkozy s’est replacé dans son sillage. Bouger, en permanence : ce n’est pas à 61 ans qu’il va commencer une carrière de moine bouddhiste. Le dimanche 26 juin, il reçoit un SMS : l’investiture de son copain Patrick Balkany pour les législatives de 2017 suscite déjà deux retraits de promesses de dons. Dès le surlendemain, le maire de Levallois, soumis à haute pression, jette l’éponge. L’ex-chef de l’Etat retrouve ses réflexes devant l’actualité. Il court à Londres quatre jours après le vote du Brexit.  » Il a pris tous les trains « , reconnaît Benoist Apparu.

 » Sarkozy dira ce que les gens veulent entendre  »

Il aime de moins en moins ce que devient la politique. Ses impératifs de transparence, son exigence de modestie

L’été est meurtrier, au sens tragique du mot. Nicolas Sarkozy multiplie les messages. Après le drame sur la promenade des Anglais à Nice, sa présence à la cathédrale Sainte-Réparate pour l’hommage aux victimes est remarquée –  » geste juste « , convient un soutien d’Alain Juppé. Quand un prêtre est égorgé, le 26 juillet, dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray, il prononce une allocution solennelle et martiale, moins d’une heure après que François Hollande s’est exprimé, puis martèle son message dans une interview et lors d’un déplacement en province, tandis que son rival bordelais se trouve coincé à l’autre bout du monde, en visite en Nouvelle-Calédonie. Il en profite pour montrer qu’il ne laissera passer aucune approximation de langage chez les autres, bien qu’il ne soit pas le moins généreux en la matière.  » Moi, j’ai refusé de dire que l’attentat de Nice aurait pu être évité « , indique-t-il le 28 juillet, en référence à une phrase d’Alain Juppé.

L’ancien ministre français de l’Intérieur est convaincu que ses propositions et son identité personnelle correspondent le plus à l’air, terrifiant, du temps. Pendant l’été, un patron de la téléphonie mobile lui raconte le vécu dans les boîtes qu’il dirige : ces salariées qui mettent le voile dès qu’elles ont terminé leur période d’essai ; ces toilettes pour handicapés transformées en salle de prière. Nicolas Sarkozy affichera sa volonté de  » marquer un coup d’arrêt  » lorsqu’il abordera ces sujets : il proposera l’interdiction du voile à l’université comme dans l’entreprise.  » L’homme d’Etat est là pour guider, pas pour suivre, pointe un ancien ministre. Sarkozy dira ce que les gens veulent entendre.  »  » Sa capacité manoeuvrière n’a jamais été remise en cause, ajoute un conseiller d’Alain Juppé. Ce qui l’est, c’est sa capacité à séduire des gens nouveaux ou des gens déçus. Il n’a convaincu aucun électeur, il a simplement retrouvé une partie de ceux qu’il avait perdus.  »

Omniprésent dans la vie politique depuis plus de dix ans, le candidat doit parvenir à renouveler ses propositions et sa personnalité.
Omniprésent dans la vie politique depuis plus de dix ans, le candidat doit parvenir à renouveler ses propositions et sa personnalité.© W. Dabkowski/Zuma/REA

Jusque dans le cercle de ses collaborateurs, plusieurs se sont éloignés.  » Ça fait un peu de peine, un homme qui perd pied. Il n’a jamais été aussi grand que lorsqu’il a travaillé avec moi.  » Voilà son ancien conseiller spécial, Henri Guaino, qui se lance dans la course à la primaire –  » Il n’est pas rattrapable « , confiait l’ancien président à un ami, début juillet. Déjà, un autre de ses proches, Frédéric Lefebvre, qui fut son conseiller aux affaires parlementaires, s’était porté candidat. Après un rendez-vous entre les deux hommes en mars, Nicolas Sarkozy, qui en a pourtant beaucoup vu, avait appelé, interloqué, un collaborateur :  » Tu sais qui je viens de recevoir ? Lefebvre ! Il a évoqué deux ou trois projets dont il ne veut pas me parler, puis il a regardé sa montre et m’a dit qu’il devait filer prendre un avion pour accueillir Hollande aux Etats-Unis comme député des Français de l’étranger. Je n’oublierai pas.  »

Des retrouvailles programmées… avec les centristes

Il y en a un autre qu’il n’oubliera pas : c’est François Bayrou, l’homme de toutes ses détestations, celui dont une partie de son électorat considère – à tort – qu’il porte, plus que Marine Le Pen, la responsabilité de l’échec de 2012.  » Tu veux encore nous faire perdre ou, cette fois, c’est différent ?  » : en juin, Brice Hortefeux reprend langue avec le président du MoDem. Celui-ci sera candidat si Alain Juppé ne gagne pas la primaire et il sait déjà comment revenir dans la partie sans se renier. Les centristes auront un rôle à jouer dans tous les cas de figure, notamment si le second tour oppose Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Personne à droite ne pourra, selon François Bayrou, adopter une attitude comparable à celle de Jacques Chirac en 2002, qui avait refusé d’élargir sa majorité. Les retrouvailles seraient ainsi programmées.  » Nicolas Sarkozy sait qui je suis, je sais qui il est.  »

Et Nicolas Sarkozy sait également qui il est, conscient qu’on change d’autant moins… que l’on dit changer. Pendant une réunion interne des Républicains, en juin, Nathalie Kosciusko-Morizet chuchote avec son voisin, sarkozyste bon teint, qui lui délivre un conseil :  » Tu devrais aller voir Nicolas.  »  » Pas question. Normalement, quand ça va mal, on est agressif, et quand ça va bien, on est tout miel. Avec lui, c’est l’inverse et, comme il va bien en ce moment…  » Le président du parti choisit précisément cet instant de la discussion pour passer une soufflante au député Hervé Mariton, autre candidat. CQFD. Mais l’autorité qu’il est censé incarner ne cesse désormais d’être contestée – c’est l’effet primaire.  » Pour mémoire, il voulait imposer son projet à tout le monde, ouvrir peu de bureaux de vote, empêcher le vote électronique à l’étranger, etc. : la réalité, c’est qu’il a reculé à chaque fois et qu’à l’arrivée il n’a rien imposé du tout « , se réjouit un juppéiste.

Nicolas Sarkozy part à la reconquête de la présidence
© M. Bureau/AFP – P. Rossignol/Reuters

Se renouveler, renouveler sa personnalité comme ses propositions, reste le défi majeur pour un homme au coeur de l’actualité depuis plus de dix ans. L’idée d’organiser un référendum le jour du second tour des législatives, en juin 2017, par exemple, il l’avait déjà en 2012. Dans l’entre-deux-tours, au cours d’une réunion avec ses principaux conseillers, il s’était interrogé sur l’opportunité d’annoncer une consultation populaire sur l’immigration ou sur l’introduction d’une dose de proportionnelle aux législatives, pour assurer aux électeurs du Front national qu’ils seraient mieux représentés à l’Assemblée. Puis il avait renoncé, tant l’exercice était délicat juridiquement et sensible politiquement. Il veut de nouveau invoquer l’article 11 de la Constitution, même si la pratique référendaire n’a pas forcément la cote auprès de ses électeurs : lors de la consultation interne sur les institutions réalisée par les Républicains, en juin, c’est la question sur un recours accru à cette méthode  » pour associer les Français aux grandes décisions publiques  » qui a obtenu le moins bon score (moins de 70 % de réponses positives).

Faire fi des  » arguties juridiques  » et agir rapidement

Cette fois, la réduction du nombre de parlementaires et d’institutions indépendantes, mais aussi le très impopulaire retour au cumul des mandats seraient au programme. La droite française a enclenché des propositions de loi au Sénat sur ce dernier point pour que l’Assemblée nationale élue en juin 2017 s’en saisisse aussitôt et que les nouveaux députés, qui disposent d’un mois pour choisir, puissent garder deux mandats.  » C’est du cambriolage législatif ! « , a glissé l’ancien président de la Commission des lois de l’Assemblée, Jean-Luc Warsmann (LR), à son président de groupe, Christian Jacob, en lui démontrant l’inconstitutionnalité évidente de la manoeuvre. Le 26 juin, Nicolas Sarkozy annonce donc qu’il organisera un triple référendum en juin 2017, s’il est élu. Or, certains de ces sujets relèvent de lois organiques et s’inscrivent difficilement dans un calendrier aussi serré. Il fait fi des  » arguties juridiques  » – au risque de décevoir de nouveau – et présente la rapidité d’action comme l’une des réponses à la crise de confiance entre responsables politiques et citoyens.

Le paradoxe, c’est que, par ailleurs, Nicolas Sarkozy aime de moins en moins ce que devient le débat public. Le  » tous pareils « , la propension à le mettre dans le même panier – celui des présidents ayant échoué – que François Hollande, le font sortir de ses gonds.  » Attends, l’ami, parfois vous avez un problème de mémoire et c’est vrai que ça m’énerve « , réagit-il, à la fin de juillet, face un agriculteur picard qui renvoie droite et gauche dos à dos. Il aime même de moins en moins ce que devient la politique. Ses impératifs de transparence, son exigence de modestie. A un président de région qu’il raccompagne à sa voiture après l’avoir reçu pour le déjeuner, il lance en découvrant le véhicule :  » Tu n’as pas trouvé plus petit ?  » Nicolas Sarkozy continue de mordre, il est encore, toujours, en campagne.

Par Éric Mandonnet

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