Thierry Fiorilli

« Neymar, Borsus, Trump, Jeanne Moreau,… et l’étoffe des héros »

Thierry Fiorilli Journaliste

A quoi se mesure la valeur d’un être ? L’envergure d’une personnalité ? L’amplitude d’une âme ? L’étendue d’une renommée ? Qu’est-ce qui distingue les mythes des célébrités ? Les monstres sacrés des sommités ? A partir de quand, de quoi, d’où devient-on légendaire ?

Est-ce une question de chiffres ? Prix d’une oeuvre, montant du contrat, nombre de tickets/ disques/livres vendus, nombre de spectateurs réunis, nombre de téléchargements, de vues, de likes, de gens qui vous connaissent, de territoires sur lesquels on n’est pas un illustre inconnu ?

Au creux de l’été, installés au balcon de nos petites contrées, on voit défiler les stars du moment. Des footballeurs confirmés pour lesquels des clubs seraient prêts à débourser, avec ou sans montage financier, un demi-milliard d’euros. Des anciens chefs de groupe de l’opposition parlementaire devenus ministres au fédéral puis ministres-présidents d’une Région à l’avenir soudain radieux. Des Premiers ministres de pays riquiqui qui traversent une passe euphorique et ne se privent pas de le faire savoir. Des groupes rock qui rejouent, trente ans plus tard, l’album de leur consécration en remplissant les stades. Des animateurs télé condamnés à 3 millions d’euros pour homophobie, mais qui négocient des contrats à 250 millions par an… Plus loin, il y a des Donald Trump, des Jeff Bezos, des Alicia Keys, des Jon Snow, des Daenerys Targaryen, des Paula Hawkins. Des vidéos par torrents. Des types et des filles qui ont un bon mot, une bonne tête, une bonne idée, un bon concept, un bon rôle, un bon moment et qui passent et repassent, en boucle, à la demande ou par notification imposée sur l’ordinateur ou le smartphone.

Jeanne Moreau ne s’est jamais intéressée à l’existentialisme à cause de la phrase de Sartre : u0022L’enfer, c’est les autresu0022. Pour elle, c’est une idée folle. L’enfer, c’est soi-même

Voilà ceux qui comptent, qu’on suit, qu’on lit, pour lesquels on se déplace, on paie, qui ont notre sort entre les mains… Ayant accédé à ce statut grâce à leur prospérité, pour presque tous. Les autres, grâce aux circonstances ou à leurs promesses de tout faire pour l’amélioration de notre quotidien. Ainsi naîtraient aujourd’hui les héros. Alors que meurent, à la pelle, à la chaîne, depuis deux ans, les mythes. Ceux qui n’ont pas eu recours qu’aux seuls slogans, aux langues de bois ou de coton, au Stratego ou aux saute-mouton pour obtenir quinze minutes, quinze heures, quinze mois ou même quinze ans de gloire plus ou moins universelle et plus ou moins rémunératrice. Juillet c’est ainsi consumé avec la disparition de deux d’entre eux. Sam Shepard et, surtout, Jeanne Moreau.

Jeanne Moreau et sa beauté très singulière, sa voix de cailloux, ses rôles défiant les tabous, ses résistances, ses combats, sa liberté, ses tourbillons. Son envergure et sa lucidité, comme elle le confiait à Télérama en janvier 2002 :  » A mes débuts, je croyais que tout le monde avait comme moi le goût de la beauté du geste, de l’aventure. J’ai vu qu’il y avait de la compétition, des crocs-en-jambe. Ça ne m’a pas démoralisée, parce que j’avais lu dans les livres que la vie n’était faite que d’ambiguïtés. Mais ma lucidité n’est pas toujours facile à vivre. Il y a des fois où je me barbe moi-même, je trouve que je suis trop dans la gravité, j’aimerais être oublieuse, insouciante, superficielle.  » Plus loin, l’actrice à l’étoffe de légende, expliquait même ne s’être  » jamais intéressée à l’existentialisme à cause de la fameuse phrase de Sartre : « L’enfer, c’est les autres. » Pour moi, c’est une idée folle. L’enfer, c’est soi-même.  »

A retourner voir nos héros modernes toujours défiler, et mesurant le regard consterné qu’on leur jette, difficile de contredire l’un des derniers vrais monstres sacrés que l’on pouvait encore, parfois, côtoyer. Etre lucide, c’est aussi souffrir.

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