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Newt Gingrich, le sauveur de l’Amérique?

Newt Gingrich a la cote dans les derniers sondages pour la primaire républicaine de Caroline du Sud, ce samedi, même si les révélations de son ex-femme sur sa vie privée pourraient freiner cette remontée. Mais au fond, qui est-il?

A l’âge d’or, il y a près de vingt ans, lorsque sa « révolution conservatrice » ébranlait l’Amérique, Newt Gingrich se targuait parfois de « sauver l’Occident » ou de « changer l’axe de la planète ». Il était inévitable, sans doute, que l’ancien homme fort de Washington, légendaire président de la Chambre des représentants au Congrès entre 1995 et 1998, revienne un jour ou l’autre offrir sa vision, son bagou, ses idées fumeuses et son gigantesque ego à une nation minée par « Obama et sa dérive gauchiste ».

En mai 2011, pourtant, six mois avant qu’il ne se déclare officiellement candidat aux primaires républicaines, sa campagne semblait en loques avant d’avoir commencé. Tous les membres de son équipe avaient démissionné, lassés d’attendre son retour d’une croisière en Grèce avec Callista, sa chère troisième épouse. Fatigués, surtout, d’expliquer à leurs interlocuteurs sceptiques que ce républicain, plus haï de l’électorat centriste que George W. Bush et détesté de la moitié des membres de son propre parti, avait bel et bien la stature d’un présidentiable.

Seulement, voilà : Newton Leroy Gingrich a su, une fois encore, se réinventer par ses propres moyens. Considérables. Depuis son éviction du Congrès, après diverses incartades éthiques et un putsch de l’establishment républicain, ce rhéteur indomptable prospère sur Fox News et à la tête d’un petit empire multimédia qui gère ses 25 livres, dont le best-seller To Save America, une nuée de documentaires sur la défaite des rouges ou le péril islamiste, sans oublier ses énormes cachets de conférencier-prophète, éternel pourfendeur du poids excessif de l’Etat.

Les idées originales ne l’effraient guère
Et le miracle a eu lieu. Après huit débats télévisés entre les candidats aux primaires, le paria d’hier talonne désormais Mitt Romney, mormon milliardaire et ancien gouverneur du Massachusetts. Pas moins de 4 républicains sur 10, souvent à leur corps défendant, jugent que l’ancien caudillo du Congrès est seul capable de rivaliser d’éloquence et d’intellect avec Barack Obama.

De fait, Gingrich rappelle souvent qu’il serait le premier président américain titulaire d’un doctorat depuis Woodrow Wilson. Et les idées originales ne l’effraient guère. Quand ses rivaux se contentent de promettre une totale loyauté à Israël, l’ancien prof d’histoire-géo de l’université de Géorgie assène que les Palestiniens sont « un peuple inventé […], de simples Arabes issus de l’Empire ottoman, et des terroristes ». Auteur d’une thèse sur l’enseignement public belge au Congo, il propose aussi une innovante grille de lecture d’Obama : « Pour le comprendre, il faut se replonger dans les détails de la décolonisation kényane »… Devant les militants du parti réunis début décembre sous un préau de Tampa, en Floride, il usait d’arguments plus classiques, mettant en garde contre « un nouveau fascisme gay et séculier prêt à recourir à la violence pour nous imposer sa volonté ».

Une idéologie clefs en main pour les « nouveaux républicains » populistes On ne s’étonne pas que cet as de l’hyperbole ait rongé son frein, après son élection en 1979 dans une circonscription de Géorgie, au sein d’un Congrès dominé alors depuis trente ans par la majorité démocrate. Impatient, il ira jusqu’à demander conseil à Richard Nixon, en 1984, quant au meilleur moyen de rendre le Congrès à la droite. « Inutile de compter sur l’establishment du parti, lui glissa le stratège déchu. Il vous faut créer un mouvement, de toutes pièces. »

Dont acte. En six ans, l’inconnu entre par effraction dans l’Histoire. L’autorisation des premières caméras dans l’enceinte du Congrès lui offre l’occasion de se faire un nom en dénonçant en direct la prétendue corruption de pontes respectés du Parti démocrate. Son club de pensée, la Conservative Opportunity Society, livre bientôt une idéologie clefs en main à une nuée de « nouveaux républicains » populistes. Au fil d’un torrent de fax verbeux et de cassettes vidéo, le professeur Newt prône une baisse colossale des impôts sur les plus hauts revenus, le sarclage de l’aide sociale, le retour de l’ordre moral chrétien et un retrait américain quasi total des organisations internationales « pourries par la vermine tiers-mondiste ».

Ennemi juré de Clinton Ce pamphlet radical, le « Contrat avec l’Amérique », préfigure le revirement historique des élections parlementaires de 1994 et l’arrivée d’une majorité républicaine : 54 élus novices, dévoués et décidés à éradiquer la présidence Clinton. On se souvient de la suite: quatre ans de guerre budgétaire, le vote des lois pénales les plus impitoyables depuis le XIXe siècle, la réforme précipitée de l’assistance sociale et l’invraisemblable offensive de l’affaire Lewinsky.

Gingrich, ennemi juré de Clinton, lui voue pourtant une fascination certaine, trouvant dans les origines modestes et l’enfance chaotique du président un reflet de son propre destin. Sa mère, ouvrière dans l’armement, et son père, mécanicien et pilier des bars de Philadelphie, ont 16 et 19 ans lorsqu’ils conçoivent le petit Newt, en 1942. Leur mariage dure… quelques jours, s’achevant le matin où papa, chagriné par sa gueule de bois, passe maman à tabac.

Newt tentera pourtant jusqu’à l’adolescence de reprendre contact avec un géniteur qui l’a répudié pour s’éviter le versement des pensions alimentaires. Le nouveau mari de sa mère, le colonel Bob Gingrich, surnommé « Stone Face » (Visage de pierre) par ses subordonnés de la base de Fort Benning, en Géorgie, n’a rien d’un mentor chaleureux pour le gamin, affligé de pieds plats et d’une myopie sévère qui lui interdisent tout avenir militaire.

Des vacances sur la Lune pour la classe moyenne
Au moins lui offre-t-il une expérience décisive: muté avec toute sa famille en France, près d’Orléans, en 1958, il emmène Newt et ses demi-soeurs visiter Verdun. La vue des milliers de squelettes de l’ossuaire du champ de bataille marque à jamais l’adolescent de 15 ans, autant que le commentaire de son beau-père: « Ce ne sont pas les militaires qui sont responsables de ça, mais les hommes politiques. » Les auteurs de cinq biographies et de dizaines de gloses psychanalytiques ont cru déceler dans cet épisode le big bang des ambitions newtiennes. Son beau-père, à la personnalité écrasante, lui assignait-il ainsi, sans le savoir, un plan de carrière supérieur à celui des armes ? Un destin de défenseur de la civilisation ?

Au Congrès, son pessimisme paranoïaque, ses envolées wagnériennes contre les dealers de drogue, l’école laïque et l’armée chinoise ne sont tempérés que par sa passion pour la radieuse aventure futuriste. Influencé par les livres de science-fiction d’Isaac Asimov, le roi du roman de gare intersidéral, le président de la Chambre propose un crédit d’impôt pour que « tout enfant pauvre puisse s’offrir un ordinateur portable ». En séance publique, il imagine aussi des colonies sur la Lune pour les vacances de la classe moyenne américaine.

Personnalité caractérielle
Plus que son imaginaire, c’est la personnalité caractérielle de ce fana de John Wayne qui lui joue parfois des tours. Fin 1995, Gingrich exprime sa colère au retour d’un voyage officiel avec Bill Clinton: on l’a relégué à l’arrière de l’avion. Quelques semaines plus tard, le président suggère que le blocage des négociations budgétaires, qui provoque la fermeture de toutes les administrations de Washington, sont des représailles puériles à cet affront. L’opinion et le parti se lassent, avant même les premiers scandales.

Aujourd’hui, la droite républicaine et les électeurs évangélistes lui pardonneraient sans doute les manigances fiscales et électorales qui lui ont valu un blâme du Congrès et une amende de 300 000 dollars, en 1997. En revanche, ils ne peuvent digérer… Callista. Son actuelle épouse était son assistante dans les années 1990 et sa maîtresse, surtout, à une époque où le président de la Chambre, alors marié, menait une campagne acharnée pour la destitution de Clinton en raison de ses frasques avec Monica Lewinsky… Il a longtemps trompé aussi sa première femme, Jackie, mère de ses deux filles, avec Marianne, bientôt promue deuxième épouse. Et personne, dans sa circonscription, n’a oublié les circonstances de sa séparation. En 1981, l’indélicat avait présenté à Jackie les papiers du divorce à l’hôpital, où elle venait de subir une opération contre le cancer.

« Ce genre de souvenirs pourrait lui coûter les primaires décisives en Caroline du Sud, à la fin janvier, constate Hank Sheinkopf, consultant électoral démocrate. La droite chrétienne sudiste devra faire son choix entre l’affreux et l’abominable: un mormon comme Mitt Romney ou un coureur de jupons comme Gingrich. »
Dans le doute, Romney dépense déjà des millions en spots de pub pour dénoncer l’hypocrisie de son principal rival. Il est vrai que Gingrich tire des millions de dollars de son activité de consultant lobbyiste, quitte à monnayer son imposant carnet d’adresses à Washington, auprès de grosses entreprises aux intérêts parfois éloignés de son programme.

L’ancien boutefeu du Congrès voudrait faire la preuve de sa nouvelle maturité et de sa capacité à transiger. Son parti et les électeurs américains doivent maintenant décider s’ils souhaitent vraiment redécouvrir Newt Gingrich.

De notre correspondant Philippe Coste

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