© Reuters

Néonazis en Allemagne : des « loups solitaires » impossibles à détecter

Les révélations en Allemagne sur un trio de néonazis soupçonné d’une dizaine de meurtres racistes ont choqué. L’analyse de Stéphane François, historien et politologue spécialiste de l’extrême droite.

Les révélations sur un trio de néonazis soupçonné d’une dizaine de meurtres racistes en Allemagne ont secoué l’opinion. Surveillés dans les années 1990 après la découverte d’un atelier de fabrication de bombes artisanales à Iéna, dans l’ex-Allemagne de l’Est, les trois jeunes extrémistes étaient ensuite passés dans la clandestinité. Repérés à la suite d’un cambriolage, les deux hommes, Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos se sont données la mort au terme de leur cavale la semaine dernière. La femme, Beate Zschäpede, après avoir mis le feu à l’immeuble qu’ils occupaient à Zwickau, en Thuringe, dans l’ex-RDA, s’est rendue à la police. Stéphane François, historien et politologue spécialiste de l’extrême droite (voir son blog ici), analyse pour LEXPRESS.fr ce que l’on sait des milieux néo-nazis.

Qu’est-ce qui caractérise ce groupuscule?

Il ne s’agit pas d’un groupuscule mais d’individus isolés. Dans les milieux néonazis, il existe une multitude de très petits groupes qui ne réunissent souvent qu’une poignée d’individus, voire des individus isolés. Ils ont souvent une dimension pathologique. On peut rapprocher le cas de ce trio de celui d’Anders Behring Breivik, le Norvégien auteur des attaques qui ont fait 77 morts à Oslo en juillet dernier. C’est leur isolement même qui les rend dangereux. Ils sont impossibles à surveiller. Ils utilisent la tactique du « loup solitaire », dont le chercheur Nicolas Lebourg rappelait récemment qu’elle a vu le jour dans les années 1970, chez les néonazis américains. On peut surveiller les groupuscules néonazis, on peut les infiltrer, ce que font d’ailleurs les services secrets allemands, mais pas ces individus qui agissent isolément.

La plupart des attentats perpétrés par les miliciens d’extrême droite aux Etats-Unis (Oklahoma City-1995 et Atlanta- 1996) se rattachent au même terreau idéologique. Ils s’inspirent par exemple des Carnets de Turner, un roman d’anticipation qui décrit un coup d’État mené par des suprématistes blancs. L’ouvrage, interdit dans de nombreux pays, mais disponible sur Internet, est un vade mecum terroriste. Le traité du Rebelle ou le recours aux forêts (1951) d’Ernst Jünger faisait déjà référence à cette tactique: le partisan qui se cache dans la forêt (au sens propre ou figuré) devient un homme libre d’agir à sa guise. Il peut être abattu, mais il est également indétectable.

Ces meurtres racistes ont-ils un rapport avec les attentats du début des années 1990 en Allemagne?

Certainement. Les meurtres racistes et les attentats xénophobes qui se sont multipliés dans l’ex-Allemagne de l’Est à cette période trouvaient leur origine dans le profond choc provoqué par la réunification, par la mise au grand jour du décalage entre l’opulence de l’Ouest et l’effondrement de l’économie de l’Est. Une petite frange de laissés pour compte issue des milieux défavorisés s’est alors lancée dans une dérive raciste, en s’en prenant notamment aux immigrés turcs et aux foyers de travailleurs immigrés, installés en RDA à l’époque communiste.

Les groupuscules d’extrême droite sont toujours très présents en Allemagne de l’Est comme dans le reste de l’Europe. Il y a certes beaucoup de turn-over ; les militants se font plus discrets, en particulier sur leur apparence, mais ils sont toujours présents. L’émergence de ces mouvements est encore plus forte en Europe de l’Est et en Russie où ils ont pignon sur rue. Et la marge de manoeuvre des pouvoirs publics est malheureusement restreinte. L’interdiction de ce type de mouvements ne les fait pas disparaitre.

Peut-on lier ces dérives criminelles de quelques individus à la montée du populisme en Europe?


Les périodes de crise et les situations de détresse sociale favorisent le repli et les discours identitaires, soit dans l’expression politique pour les mouvements populistes qui connaissent un regain d’intérêt, mais aussi dans la dérive radicales de certains groupuscules. En France par exemple, la montée en puissance de l’extrême droite commence avec la crise de 1973. La peur de l’avenir entraîne la peur de l’autre, la volonté de revenir à une société fermée. Le climat d’exacerbation des sentiments antimusulmans au cours ces dernières années contribue en outre à conforter cette mouvance.

Au vu des perspectives économiques des prochaines années, on ne peut qu’être pessimiste sur la prolifération de ce type de discours, et de mouvements, tant pour les groupes politiques populistes que pour les groupuscules néonazis ou les « loups solitaires ».

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express.fr

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire