Vladimir Poutine © Reuters

« Ne sous-estimez pas Poutine, il est en train de réinitialiser l’Europe »

Quel est le projet du président russe, Vladimir Poutine, pour les pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, tous trois membres de l’OTAN et de l’UE? Certains observateurs prédisent une escalade dangereuse pour les années à venir, mais selon Katlijn Malfliet (KU Leuven), Poutine n’ira pas jusque-là, même si « Poutine tente de revoir le rôle de l’OTAN en Europe. Et il semble avoir trouvé un partenaire en Donald Trump. »

« Ne sous-estimez pas Poutine, il est en train de réinitialiser l’Europe »

Quel est le projet du président russe, Vladimir Poutine, pour les pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, tous trois membres de l’OTAN et de l’UE? Certains observateurs prédisent une escalade dangereuse pour les années à venir, mais selon Katlijn Malfliet (KU Leuven), Poutine n’ira pas jusque-là, même si « Poutine tente de revoir le rôle de l’OTAN en Europe. Et il semble avoir trouvé un partenaire en Donald Trump. »

Devons-nous craindre un conflit militaire entre l’OTAN et la Russie dans les états baltes ? Début novembre, le ministre russe de la Défense, Sergueï Koujouguétovitch Choïgou, a annoncé que Moscou a renforcé son armement à la frontière occidentale du pays en réponse au développement des forces de l’OTAN. Il n’a pas donné de chiffres spécifiques, mais selon certaines informations, il s’agirait de 30 000 hommes supplémentaires. L’OTAN souhaite envoyer 4 000 soldats dans les pays baltes en réaction au potentiel militaire renforcé.

Les troubles dans les états baltes, et par extension dans l’OTAN, ne sont pas nouveaux. Ce n’est pas un secret que le président russe Vladimir Poutine tente de fissurer l’UE ou l’OTAN et les pays baltes sont tous les trois membres de ces deux organisations.

« Troisième Guerre mondiale »

La revue influente américaine Foreign Policy n’est guère optimiste. Dans une opinion intitulée How World War III could begin in Latvia (Comment la Troisième Guerre mondiale pourrait commencer en Lettonie) l’auteur Paul Miller, qui avait également annoncé l’invasion de l’Ukraine, prédit que les deux prochaines années, Poutine va attiser une révolte dans la région. La Lettonie et l’Estonie possèdent en effet une forte minorité de Russes ethniques.

« La Russie bloquera toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais se proposera comme gardien de la paix », écrit-il. « Les pays d’Europe de l’Est comme la Pologne mettront le fameux Article 5 sur la table (une attaque contre un allié est une attaque contre tous les alliés) et les États-Unis détermineront la direction à prendre. Si on n’invoque pas l’article 5, la garantie de protection mutuelle (et donc toute l’alliance) s’avérera dénuée de sens. Géopolitiquement, on reviendra à 1939, et le rêve de Poutine d’un occident fragmenté et de la voie ouverte vers l’Europe deviendra réalité. « Dans l’autre cas, si l’Article 5 est invoqué, la Russie le considérera comme une déclaration de guerre, avec comme conséquence que le président américain Donald Trump se trouvera confronté à une décision importante : la défense de la Lettonie vaut-elle le risque d’une nouvelle guerre mondiale ? »

Foreign Policy souligne que Poutine a réussi à compromettre les ambitions de l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine en occupant des parties du pays – l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et la Crimée. En plus, depuis la fin de la Guerre Froide, le moment n’a plus jamais été aussi favorable pour la Russie d’étendre sa sphère d’influence : alors que l’Europe craque en conséquence du Brexit de la crise des réfugiés, l’entrée de Trump à la Maison-Blanche remet en question la volonté de l’Amérique d’assurer la défense de ses alliés.

Quel regard Malfliet porte-t-elle sur les manoeuvres de Moscou? « Tout comme en Géorgie et en Ukraine, il s’agit pour Poutine d’assister ses compatriotes russes », déclare Malfliet. « Dans le passé, Moscou a signalé clairement qu’elle ne cédait pas les pays baltes – pensez par exemple aux cyberattaques contre l’Estonie d’il y a quelques années. »

« Le Kremlin prouve aussi qu’il fait ce qu’il veut. Regardez la Crimée : personne n’empêche la Russie d’annexer la péninsule ukrainienne – c’est un fait accompli. Plus récemment, il y a eu l’ingérence supposée dans les élections présidentielles américaines. En plus, les Russes sont maîtres dans l’art de semer la confusion et le doute. Ainsi, ils ont toujours démenti leur implication dans le conflit en Ukraine de l’Est alors que tout indique qu’ils soutiennent bel et bien les séparatistes pro-russes dans la région. »

Déstabiliser

Mais c’est une autre paire de manches que de risquer une confrontation militaire avec l’OTAN. Déjà rien que parce que les Russes sont déjà militairement actifs sur deux autres fronts, en Syrie et en Ukraine de l’Est. Malfliet : « Pour moi, on n’ira pas jusqu’à une Troisième Guerre mondiale. La Russie veut, en premier lieu, augmenter la pression et montrer qu’elle ne lâchera pas les états baltes ».

Pourtant, il ne faut pas sous-estimer la position de Poutine, prévient-elle. « Ce qu’on oublie souvent, c’est que la Russie a étendu son emprise sur le monde en secret- et qu’elle l’accroît encore. Stratégiquement, la situation se présente à merveille pour Poutine. Il décide de ce qui se passe – pensez à la guerre en Syrie. Il est suffisamment fort pour éviter une guerre avec l’OTAN ».

Comme l’écrit aussi The Economist, « la Russie ne souhaite pas de guerre contre l’Amérique, sa rhétorique sert surtout à impressionner, mais elle représente une menace pour l’ordre et la stabilité ». Poutine essaie d’éviter que les anciens pays de l’Union soviétique échappent à la sphère d’influence russe en les déstabilisant – comme il l’a fait en Ukraine. Malfliet : « Pour lui, il s’agit surtout de démanteler l’espace de sécurité et de défense de l’UE. Il souhaite réinitialiser l’Europe et revoir le rôle de l’OTAN au sein de l’Europe. Il existe un beau terme pour ça : la deconstructocratie – déconstruire ce qui existe. »

Trump

« En ce sens, il a d’ailleurs un allié en Trump, qui se demande aussi quel rôle son pays et l’OTAN doivent jouer en Europe. Qui sait, ils arriveront peut-être à un nouveau pacte à Yalta (d’après la Conférence de Yalta en 1945, NDLR), qui reconnaît la sphère d’influence de la Russie dans ses pays voisins ».

La semaine dernière, Poutine a déclaré dans un discours à la tonalité étonnamment positive qu’il est « prêt à collaborer » avec le gouvernement de Trump. « Moscou veut se faire des amis, pas des ennemis », déclare le leader du Kremlin. « Nous ne souhaitons pas de confrontation avec quiconque et nous n’avons jamais voulu cela. Nous avons une responsabilité partagée pour assurer la sécurité internationale ».

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