Au petit matin, le concert de klaxons ne tarde pas à éclipser le chant des oiseaux. Ici, la rue Paul-VI, embouteillée en permanence. © OLIVIER ROGEAU

Nazareth, là où tout a commencé

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Paisible hameau de Galilée au temps de Jésus, Nazareth est aujourd’hui la plus grande ville arabe d’Israël. Une minimétropole bruyante et surpeuplée, où les archéologues ont découvert les vestiges d’habitations vieilles de deux mille ans.

Même aujourd’hui, Nazareth est un délicieux séjour, le seul endroit, peut-être, de la Palestine où l’âme se sente un peu soulagée du fardeau qui l’oppresse au milieu de cette désolation sans égale. La population est aimable et souriante ; les jardins sont frais et verts…  » Ernest Renan décrit ainsi la  » ville  » de Joseph et Marie, telle qu’il l’a vue au printemps 1861, lors de son séjour au berceau de l’histoire chrétienne. Ses impressions de voyage, notées au crayon dans des calepins, donneront naissance à sa Vie de Jésus, la première biographie  » moderne  » du Nazaréen, et l’un des plus grands best-sellers du xixe siècle, publié pour la première fois en 1863.

On aimerait avoir connu la Nazareth de cette époque-là. Ou même la bourgade du début du xxe siècle : dans A la recherche de Jésus : d’Egypte en Terre sainte, ouvrage sorti en 1935, Paule Fleury-Divès campe le décor d’une  » cité blanche qui s’étage en amphithéâtre, encadrée de collines riantes, et présente un coup d’oeil charmant, une physionomie douce et paisible ; elle semble une perle dans un écrin de satin vert.  » Dans Terres saintes (éditions Odé, 1956), l’écrivain voyageur dominicain Maurice-Hyacinthe Lelong évoque encore une  » cité blottie dans son écrin de douces collines « ,  » bourgade dont le rythme est celui de la vie campagnarde « .

Au niveau inférieur de la basilique de Nazareth, les pèlerins se prosternent ou font des selfies devant la grotte où la mère de Jésus aurait vécu.
Au niveau inférieur de la basilique de Nazareth, les pèlerins se prosternent ou font des selfies devant la grotte où la mère de Jésus aurait vécu.© OLIVIER ROGEAU

Bruyante et embouteillée

Aujourd’hui, le visiteur en quête de rusticité bucolique en est pour ses frais. La  » perle dans un écrin de satin vert  » a laissé la place à une minimétropole bruyante et embouteillée de près de 80 000 habitants. S’y réveiller aux chants du coq, des merles et des tourterelles peut donner un moment l’illusion que rien n’a changé depuis des siècles. Mais le concert de klaxons ne tarde pas à éclipser celui des oiseaux. S’y mêle le son des cloches des églises et l’appel à la prière du muezzin. Principale artère commerçante de Nazareth, la rue Paul-VI, qui longe la vieille ville, est embouteillée en permanence. Des autocars y déversent leurs cohortes de pèlerins et de touristes venus du monde entier. Chaque soir, de longues files de voitures de  » navetteurs  » se forment à l’entrée sud de Nazareth, sur la route 60.  » A notre arrivée ici, il y a un an, nous avons eu du mal à nous habituer à la saleté des rues, confie un couple suisse responsable d’une guest house. Des bouteilles en plastique et autres détritus jonchent la voirie. En revanche, la ville est très sûre et les habitants, chrétiens ou musulmans, sont très accueillants.  »

L’existence même de Nazareth au temps de Jésus a longtemps été niée par certains historiens

La cité où Jésus a passé son enfance est dominée par des minarets, des clochers et le dôme conique de la basilique de l’Annonciation, la plus grande église du Moyen-Orient. Inaugurée en 1964 par Paul VI, elle a été érigée sur le site associé par la tradition chrétienne romaine au lieu où Marie aurait vécu. Des fouilles archéologiques y ont mis au jour les vestiges d’une église croisée du xiie siècle, posée sur une église byzantine du ve siècle, elle-même bâtie sur une structure plus ancienne qui pourrait être une synagogue judéo-chrétienne du iie siècle. Au niveau inférieur, les pèlerins défilent, se prosternent ou font des selfies devant la  » grotte de l’Annonciation « , présentée comme l’endroit où la Vierge aurait reçu la visite de l’archange Gabriel.

A plus de 70 % musulmane

Sur le chemin qui grimpe à la basilique, un panneau a été installé, où figure un texte qui accuse les chrétiens d’être des  » associateurs « , d’associer au Dieu unique de pseudo-divinités, Jésus et Marie. Village juif au temps de Jésus, Nazareth est aujourd’hui la plus grande ville arabe d’Israël, à 70 % musulmane. Les autres habitants sont chrétiens, d’Eglises diverses : grecque-orthodoxe, grecque-catholique melkite, maronite du Liban, copte, anglicane, baptiste…

Très majoritaires sous l’Empire ottoman, les chrétiens représentaient encore 60 % de la population locale en 1949. L’arrivée de réfugiés palestiniens après la création de l’Etat d’Israël a changé la donne. Minoritaires depuis 1980, les chrétiens sont de moins en moins nombreux.  » Selon les dernières estimations, nous ne serions plus que 26 %, glisse un commerçant chrétien. Quand nos familles en ont les moyens, elles envoient leurs enfants aux Etats-Unis ou ailleurs.  » Minoritaires parmi les Arabes, eux-mêmes traités par les juifs comme des citoyens israéliens de seconde zone, les chrétiens se sentent doublement discriminés : par les juifs qui voient en eux des Palestiniens, et par les musulmans qui les considèrent comme une minorité éduquée à l’occidentale, étrangère au monde musulman et en voie de disparition au Moyen-Orient.

En dépit de l’échec du processus de paix israélo-palestinien et de la montée de l’islamisme radical dans la région, la coexistence entre chrétiens et musulmans est globalement pacifique à Nazareth. Un long conflit politico-religieux a néanmoins terni leurs relations : en 1999, Israël a donné son feu vert à la construction d’une grande mosquée en contrebas de la basilique de l’Annonciation, projet qui a provoqué, en signe de protestation, la fermeture sans précédent pendant deux jours des lieux chrétiens de Terre sainte. Les travaux ont été interrompus et les fondations ont été détruites en 2003, sur l’ordre d’un tribunal israélien. Des musulmans ont alors manifesté, certains ont été arrêtés, et le maire communiste de la ville, Ramez Jeraissé, s’en est pris aux autorités israéliennes, accusées de complaisance envers les actes de violence commis par les islamistes, et de semer la discorde entre chrétiens et musulmans.

Les fouilles archéologiques réalisées au pied de la basilique de Nazareth ont mis au jour des vestiges d'églises croisée, byzantine et des fondations d'habitations plus anciennes.
Les fouilles archéologiques réalisées au pied de la basilique de Nazareth ont mis au jour des vestiges d’églises croisée, byzantine et des fondations d’habitations plus anciennes.© OLIVIER ROGEAU

Le business d’abord

En décembre dernier, le maire actuel, Ali Salam, a décidé d’annuler les festivités de Noël en signe de protestation contre la reconnaissance, par Donald Trump, de Jérusalem comme capitale d’Israël. Mais il a vite renoncé à ce projet : les célébrations sont une source de revenus importante pour Nazareth, présentée par l’édile comme la  » ville de la paix et de la fraternité entre les religions.  »  » Nous avons subi de plein fouet la désaffection des touristes en 2014, année noire de la guerre menée à Gaza, rappelle le patron d’un restaurant de Nazareth. Nous sommes sortis du marasme par paliers. Le flux de visiteurs à destination d’Israël a enregistré une hausse de 25 % en 2017. Mais les commerçants de la ville craignent toujours une rechute brutale, qui ne manquera pas de survenir en cas de nouvelle flambée de violence dans la région.  »

En octobre 2015, Ali Salam a été la vedette des médias israéliens : devant les caméras de télévision, ce musulman a invectivé, en pleine rue, un député arabe israélien venu à Nazareth soutenir une manifestation au cours de laquelle de jeunes Palestiniens hostiles à Israël ont brûlé des pneus et des bennes à ordures, saccagé des rues, lancé des pierres et des bouteilles incendiaires sur la police. Le maire s’est plaint des pertes financières causées par ces émeutes : les clients juifs des localités voisines ne se rendaient plus dans les commerces de la ville.

La Nazareth du temps de Jésus, qui comptait une cinquantaine de maisons, est située en grande partie sous le souk actuel.
La Nazareth du temps de Jésus, qui comptait une cinquantaine de maisons, est située en grande partie sous le souk actuel.© OLIVIER ROGEAU

Nazareth Illit, faubourg mixte

Les juifs de la région habitent un faubourg moderne de la ville arabe, Nazareth Illit (Haute Nazareth), perché sur une colline. La construction de cette ville nouvelle a commencé en 1956. Créée dans le but de  » judaïser  » la Galilée, elle compte aujourd’hui plus de 40 000 habitants. La majorité des institutions et services gouvernementaux y ont été déplacés. En principe destinée aux juifs, la cité est, de fait, devenue mixte : les habitants arabes constitueraient aujourd’hui entre un quart et un tiers de sa population. Si les Arabes sont nombreux à s’y installer, c’est parce que leur ville natale, Nazareth, étouffe : la densité de population y est quatre fois plus élevée qu’à Nazareth Illit, dont la superficie est le double de la ville arabe.

Les habitants de la vieille Nazareth se plaignent du manque de services et d’infrastructures dans leur ville. De même, le prix des maisons et des appartements est plus modéré à Nazareth Illit, où il y a, estiment-ils, une meilleure qualité de vie, des quartiers plus propres et plus calmes, des terrains de sport et des loisirs pour les enfants. L’arrivée d’Arabes est mal perçue côté juif. Certains vendent leur maison, craignant que leur quartier devienne majoritairement arabe.

Un trou perdu

Difficile d’imaginer, en parcourant les rues encombrées de Nazareth, que cette ville était, au temps de Jésus, un village d’environ 300 habitants, d’une superficie de 4 hectares tout au plus. Bâti au flanc d’une des collines de l’ancienne tribu de Zabulon, au débouché de la plaine d’Yizréel (Esdrelon, sous sa forme grecque), il comptait alors une cinquantaine de maisons modestes, estiment les archéologues. Elles sont situées sous le quartier où se trouvent le souk actuel et la basilique de l’Annonciation. Seules subsistent les caves de ces habitations, des grottes spacieuses qui servaient d’entrepôts. Les fouilles ont permis d’exhumer des citernes, des silos, des celliers et des mikvaot, les bains rituels juifs utilisés pour les ablutions. Au sud-ouest du centre-ville, des fouilles sur les hauteurs ont mis au jour des tours de guet, des terrasses agricoles et un pressoir à vin (fouloir et cuve), datés du ier siècle par la poterie. Vigne, tour, cuve ? C’est la parabole des vignerons meurtriers (Marc 12, 1-12) qui s’anime !

Le nom de Nazareth est cité à de nombreuses reprises dans les Evangiles et les Actes des apôtres, parfois hellénisé en Nazara (Luc 2,4 et 4,16, Marc 1,9, Jean 1,46). Selon Matthieu, la Sainte Famille vient s’installer dans ce village de Basse Galilée au retour de la fuite en Egypte. En revanche, d’après Luc, Marie et Joseph, tous deux Galiléens, habitent déjà Nazareth au moment de l’Annonciation. L’évangile selon Jean, lui, précise que Jésus est  » fils de Joseph, de Nazareth « . Ironique, le disciple Nathanaël demande :  » Que peut-?il sortir de bon de Nazareth ?  » (Jn 1,46). Le patelin est donc un trou perdu. Dans le monde des lettrés de Jérusalem, le surnom  » le Nazaréen  » porté par Jésus le désigne comme un rural, un provincial.

Les commerçants arabes de Nazareth vendent des objets pour toutes croyances, dont des menorah juives.
Les commerçants arabes de Nazareth vendent des objets pour toutes croyances, dont des menorah juives.© OLIVIER ROGEAU

Aucune trace de la synagogue

Village agricole, Nazareth dépendait de Japhia, une place militaire qui contrôlait la route de Sepphoris – la grande ville antique située à sept kilomètres au nord de Nazareth (lire ci-dessous) – à Jérusalem. Le village n’était, il y a deux mille ans,  » ni un gîte d’étape, ni une ville marché, ni un petit centre administratif « , remarque Marie-Françoise Baslez, spécialiste des origines du christianisme, auteure de Bible et Histoire (Folio, 2005). De fait, les archéologues n’y ont découvert aucune trace de route pavée, d’inscription ou de bâtiment public datant du ier siècle.

Dans son évangile, Luc raconte pourtant que Jésus a prêché, au début de sa mission, dans une synagogue de Nazareth,  » la ville où il a grandi « . Le même épisode est rapporté par Marc et Matthieu, qui ne précisent pas le nom du lieu, mais indiquent que le Galiléen est  » dans sa patrie « . Un pèlerin du vie siècle, l’Anonyme de Plaisance, prétend même avoir vu, dans le hameau, le banc sur lequel Jésus se serait assis et le rouleau du prophète Isaïe lu par lui dans la synagogue !

Le « mont du Précipice »

 » A ce jour, aucune synagogue du ier siècle avant ou de notre ère n’a été trouvée dans des villages comme Nazareth ou Bethsaïda « , indique Jürgen Zangenberg, spécialiste des débuts du christianisme à l’université de Leyde (Pays-Bas), et coauteur de Jésus de Nazareth. Etudes contemporaines (Labor et Fides, 2017).  » Mais cela ne signifie pas qu’il n’y en avait pas « . De fait, les archéologues n’ont longtemps découvert que des vestiges de synagogues urbaines, notamment de l’autre côté du Jourdain. Toutefois, en 2016, ils ont mis au jour une première synagogue d’époque hérodienne (ier siècle) en Galilée rurale, à Tel Rechesh, près du mont Thabor.

L’évangéliste Luc conclut son récit sur la prédication de Jésus dans la synagogue de Nazareth par une scène de grand tumulte : indignés par la fin de son discours messianique, les fidèles auxquels il s’est adressé  » le mènent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas « . Tandis qu’on projette de le jeter dans le vide,  » lui, passant au milieu d’eux, s’en alla.  » (Lc 4, 29-30). Or, notent certains exégètes, il n’y a pas de falaise de cette sorte à Nazareth, située dans un creux de vallée. Il y a bien, au sud de la ville, une petite colline appelée le  » mont du Précipice « , lieu d’un pèlerinage annuel. Mais cette identification repose sur une tradition médiévale et le  » mont  » est situé à deux kilomètres de la cité.

Le « mythe » de Nazareth

Est-ce à dire que l’incident se serait déroulé ailleurs ? L’existence même de Nazareth au temps de Jésus a longtemps été niée par de nombreux historiens, la bourgade n’étant pas mentionnée une seule fois dans l’Ancien Testament. Elle n’est pas citée non plus par saint Paul, dont les écrits datent du milieu du ier siècle. Dans son autobiographie, l’historien juif romain Flavius Josèphe raconte avoir séjourné en 52 à Japhia et ne dit mot de Nazareth, située à deux kilomètres de là. Rédigé à partir du iie siècle, le Talmud de Jérusalem, qui liste les villes de Galilée comme Magdala, n’évoque pas non plus le village. Il n’apparaît dans les sources officielles qu’à partir du iiie siècle. Des érudits en ont tiré argument pour mettre en cause les données fournies par les évangiles. Ainsi, en 2008, un auteur américain, René Salm, a publié The Myth of Nazareth : the Invented Town of Jesus, livre qui a fait grand bruit. Aujourd’hui encore, des sites athées, musulmans et autres défendent la thèse d’une ville créée par la théologie.

En 2014, les Palestiniens manifestent contre la guerre menée par Israël à Gaza. Une année noire pour le tourisme dans la région, où l'on craint les conséquences économiques de nouvelles tensions.
En 2014, les Palestiniens manifestent contre la guerre menée par Israël à Gaza. Une année noire pour le tourisme dans la région, où l’on craint les conséquences économiques de nouvelles tensions.© MARTIN LEJEUNE/BELGAIMAGE

Des scientifiques ont estimé que les évangélistes avaient mal interprété le mot  » nazaréen  » pour désigner le prophète galiléen. Jésus aurait, en réalité, été  » nazôréen « , de l’hébreu nazir,  » consacré  » à Dieu. Son nom ne serait donc pas lié à son appartenance à un village, mais renverrait à une secte juive, celle des Nazoréens.  » Cette hypothèse était principalement fondée sur le fait qu’à Nazareth on ne trouvait pas de trace archéologique datant du temps de Jésus « , remarque Christine Pedotti, auteure de Jésus cet homme inconnu (XO éditions, 2013).  » Aujourd’hui, ces théories ne sont plus à l’ordre du jour. A l’occasion de fouilles récentes, des maisons datant du ier siècle ont été découvertes ainsi que des citernes qui récupéraient l’eau de pluie.  »

La maison de Jésus retrouvée ?

En novembre 2009 ont en effet été dégagés, dans l’enceinte d’un ancien couvent, les vestiges d’une maison du temps de Jésus qui comportait  » deux pièces et une courette « , précise Yardena Alexandre, la directrice des fouilles. En mars 2015, Ken Dark, un archéologue britannique de l’université de Reading, a annoncé la découverte, dans le couvent des soeurs de Nazareth, d’une autre habitation du ier siècle, taillée au flanc de la colline calcaire. Elle comportait plusieurs pièces et des escaliers, avec un sol originel en craie. Des morceaux de vaisselle ont été retrouvés. Ken Dark affirme qu’il pourrait s’agir de la masure où Joseph et Marie ont élevé Jésus, déclaration qui a enflammé le Web. Seule certitude : les vestiges ont été incorporés dans des églises anciennes, signe que le lieu a très tôt été vénéré. Selon l’historien François Molliet, guide conférencier en Galilée, l’habitation n’est pas aussi modeste qu’on le dit :  » Faite de pierre et de mortier, elle est plutôt cossue. Joseph était un notable. Les évangiles le qualifient de tekton, mot grec mal rendu par le terme « charpentier ». C’était plutôt un architecte, l’artisan qui coordonnait les autres corps de métier.  »

Où est le Cana des Noces ?

Nazareth, là où tout a commencé
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A six kilomètres au nord-est de Nazareth, la ville arabe de Kafr Cana, 19 000 habitants, est une halte obligée pour les autocars de pèlerins. Le lieu est présenté comme celui du premier miracle accompli par Jésus : la transformation de l’eau en vin au cours d’un mariage auquel ont aussi été invités Marie, les frères de Jésus et ses disciples, épisode propre à l’évangile de Jean (Jn 2, 1-12). Le village s’est développé autour de deux églises, la latine (1879) et l’orthodoxe grecque (1886). Les touristes y sont comblés : on leur montre deux vieilles jarres de pierre qui auraient servi à Jésus lors des fameuses noces. Elles datent en fait du xixe siècle. Sur place, les visiteurs – ils sont plus de 200 000 par an – ont coutume d’acheter des bouteilles-souvenirs de  » Vin du mariage de Cana  » (photo), et des couples mariés renouvellent leurs voeux.

Au xviie siècle, le Vatican a officiellement reconnu Kafr Cana comme le lieu du miracle. Cette localisation est pourtant très douteuse. Dès le ive siècle, saint Jérôme et d’autres situent l’événement à Khirbet Qana, à quatorze kilomètres au nord de Nazareth, là où passait la route romaine reliant la ville antique de Sepphoris au lac de Tibériade. Dans ce lieu sauvage, difficile d’accès, subsistent les ruines d’un village fortifié. En 1998, des archéologues américains y ont mis au jour les vestiges d’un atelier de verre soufflé, de pressoirs à huile et d’une synagogue de la fin du ier ou du début du iie siècle. Le site a été vénéré jusqu’au temps des croisades, époque à laquelle Kafr Cana, plus accessible, a commencé à lui faire concurrence.

L' »atelier de Joseph » et le « puits de Marie »

Les cavités du sous-sol de l'église Saint-Joseph sont présentées comme l'atelier de charpentier de Joseph et Jésus.
Les cavités du sous-sol de l’église Saint-Joseph sont présentées comme l’atelier de charpentier de Joseph et Jésus.© OLIVIER ROGEAU

Le rapprochement entre les lieux de Terre sainte vénérés par les chrétiens et les récits évangéliques ont rarement un fondement historique. Il en est ainsi des cavités que l’on peut observer dans le sous-sol de l’église Saint-Joseph de Nazareth, présentées comme l’atelier de charpentier de Joseph. De même, la ville compte plusieurs  » puits de Marie « . Pour les catholiques, le seul et authentique est celui désigné par l’impératrice Hélène, mère de Constantin – venue en Terre sainte en 326-328 -, et situé dans les fondations de la basilique de l’Annonciation. L’Eglise orthodoxe d’Orient, elle, considère que l’Annonciation a eu lieu à cinq cent mètres de là, à l’emplacement de la source qu’aurait fréquentée la mère de Jésus. Cette  » fontaine de la Vierge  » se trouve dans une crypte, sous l’église grecque-orthodoxe Saint-Gabriel, érigée en 1767. A trente mètres de là, une autre fontaine, ancien lieu de rencontre des villageois, dont l’eau vient de la même source, a été rénovée en 2000, mais ses trois bouches sont aujourd’hui fermées et ne font plus partie du parcours des pèlerins.

Jésus a-t-il travaillé à Sepphoris ?

Située à sept kilomètres au nord de Nazareth, la ville antique de Sepphoris (Tsippori en hébreu) est l’un des sites archéologiques majeurs en Israël. Les fouilles, commencées en 1998 et toujours en cours, ont mis au jour un quadrillage de rues pavées, des vestiges de colonnades, d’aqueducs, d’échoppes, de bains publics, de villas romaines et de maisons juives. Un théâtre de style grec d’une capacité de 4 000 places a été en partie creusé dans une pente de colline. Après la mort d’Hérode le Grand, en -4, la cité devient l’épicentre d’une rébellion de miséreux conduits par Judas de Gamala. La répression romaine est féroce : les légions de Varus ravagent Sepphoris. La ville est refondée par Hérode Antipas, qui en fait le siège de sa tétrarchie, au point qu’elle est alors connue dans toute la Palestine comme le  » joyau de la Galilée « , selon l’historien juif du ier siècle Flavius Josèphe. Les chantiers de reconstruction exigent l’utilisation d’une abondante main-d’oeuvre, ce qui donne du travail aux villages des environs. Joseph et son fils apprenti Jésus, artisans itinérants comme l’étaient les charpentiers, ont-ils proposé leurs services ? Probable. Mais les textes sont muets.

Il est étrange que Sepphoris, ville de 12 000 à 24 000 habitants toute proche du hameau de Nazareth, ne soit pas citée une seule fois dans les évangiles. Jésus a pourtant dû y passer souvent quand il empruntait la route reliant Nazareth à Magdala, la seule ville des bords du lac de Tibériade avant la construction, par Antipas, en 21 de notre ère, de Tibériade, elle-même ignorée par les évangélistes. Ce silence vise à montrer que Jésus  » est un homme des campagnes, qu’il partage la culture et les soucis des paysans et des petits artisans, monde que l’on retrouve dans ses paraboles « , estime Daniel Marguerat, spécialiste suisse du christianisme primitif. Flavius Josèphe, lui, souligne l’hostilité de la population rurale à l’encontre des gens de Sepphoris et de Tibériade. Une tradition apocryphe considère néanmoins Sepphoris comme la ville de Joachim et Anne, les parents de la vierge Marie. C’est pourquoi les croisés y ont érigé une église.

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