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Mossoul, une offensive complexe aux intérêts parfois divergents

Le Vif

L’offensive contre Mossoul, le principal bastion de l’organisation Etat islamique (EI) en Irak, est une opération très complexe qui engage à divers degrés l’armée irakienne, des forces étrangères et des factions locales aux intérêts divergents sinon opposés.

La bataille est donc lancée mais personne ne peut prédire combien de temps il faudra à l’armée et la police irakienne pour pénétrer dans la deuxième ville du pays, en chasser les jihadistes qui se fondront sûrement en partie dans la population, et y restaurer durablement leur autorité.

Deuxième ville la plus peuplée d’Irak, Mossoul, chef-lieu de la province de Ninive (nord), était tombée sous la coupe de l’EI en juin 2014. C’est depuis cette ville que Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI, avait effectué une de ses très rares allocutions, quelques semaines après la proclamation du « califat » par le groupe terroriste.

« Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé », a déclaré le chef du gouvernement Haïder al-Abadi à la télévision nationale dans la nuit de dimanche à lundi. S’adressant aux habitants de la région de Mossoul, il a lancé: « Je déclare aujourd’hui le début de ces opérations victorieuses pour vous libérer de la violence et du terrorisme de Daesh », acronyme arabe de l’Etat islamique (EI).

Le Premier ministre a précisé que seules l’armée et la police irakiennes entreraient dans Mossoul, alors que de nombreuses autres forces participent à l’offensive préparée depuis des semaines pour reprendre la deuxième ville d’Irak, dont des combattants peshmergas kurdes et des milices sunnites et chiites.

Lancement retardé

Le lancement de l’offensive a été plusieurs fois annoncé puis retardé depuis que le Premier ministre Haider al-Abadi avait appelé, en mars 2016, ses troupes à libérer la province de Ninive. En raison de dissensions entre les différentes forces en présence mais aussi de querelles politiques à Bagdad au sein du gouvernement et du Parlement.

Avec l’appui essentiellement aérien des forces de la vaste coalition internationale anti-EI emmenée par les Etats-Unis, mais aussi de l’Iran par la présence de forces paramilitaires soutenues sur le terrain par l’armée iranienne, les forces loyalistes ont progressé pas à pas depuis mars pour se rapprocher de Mossoul, à partir de la base de Makhmour, à 20 km des lignes jihadistes. Tandis que les peshmergas, les forces de sécurité de la région autonome du Kurdistan irakien, progressaient au nord de Mossoul.

Momentanément détournées par la reprise à l’EI en juin de Fallouja, deuxième bastion des jihadistes, près de Bagdad, les forces irakiennes ont de nouveau réalisé une percée en juillet en s’emparant de la base aérienne de Qayyarah à une soixantaine de km de Mossoul, un verrou stratégique qui leur sert de base logistique vitale dans l’offensive déclenchée lundi.

Une multitude d’acteurs

Le nombre d’acteurs impliqués dans la bataille de Mossoul est vertigineux: l’armée irakienne, le fameux et redouté service du contre-terrorisme, la police fédérale et locale, les milices chiites dont beaucoup obéissent aux ordres de Téhéran, les peshmergas, la Turquie, les Etats-Unis et les pays de la coalition internationale…

Les troupes irakiennes pourront compter sur la couverture des avions de la coalition internationale et l’envoi de 600 soldats américains supplémentaires, portant à 4.600 le nombre de militaires dépêchés par Washington en Irak.

Des soldats turcs sont également présents sur une base militaire près de Mossoul et au Kurdistan. Leur présence est un des principaux éléments cités par les experts pour expliquer le retard du lancement de l’offensive: Bagdad exigeait leur retrait mais la Turquie veut absolument participer à l’offensive à divers degrés, soucieuse de limiter la montée en puissance des Kurdes à sa frontière et de restaurer une certaine influence passée sur la région de Mossoul et ses richesses, qu’elle considère comme son pré carré. Les peshmergas ont avancé au-delà des frontières de la région autonome du Kurdistan et Ankara s’inquiète aussi de voir les milices chiites pro-Abadi et sous influence iranienne avancer vers Mossoul, majoritairement sunnite.

L’avertissement de M. Abadi lundi en dit long sur ces contentieux: seules l’armée et la police irakienne seront autorisées à entrer dans Mossoul.

Tactiques

Comment reprendre Mossoul aux jihadistes ? Dans ses dernières heures, la bataille se réduira certainement à des combats rapprochés rue par rue, face aux 3.000 à 4.500 combattants de l’EI selon les estimations de la coalition internationale, dans une ville qui compte encore 1,5 million d’habitants pour lesquels l’ONU redoute un drame humanitaire.

Les forces irakiennes, si elles suivent la même tactique qu’à Tikrit et Ramadi, respectivement reprises en mars 2015 et février 2016, vont encercler la ville avant de lancer l’assaut final. Les forces d’élite du contre-terrorisme pourraient être de nouveau en première ligne.

Avant de gagner l’épicentre jihadiste, les forces irakiennes devront percer sur plusieurs dizaines de kilomètres le territoire sous contrôle de l’EI.

Les forces anti-EI auront face à eux des jihadistes ayant eu deux ans pour préparer la défense de leur dernier grand bastion. Il est très probable qu’ils utilisent des snipers, des voitures piégées et minent le terrain pour ralentir l’avancée des troupes irakiennes.

Forces en présence

Un large éventail de forces irakiennes et internationales sont engagées dans l’offensive lancée pour la reprise de Mossoul. Cependant toutes ne joueront pas un rôle direct dans les combats pour la reconquête de de la deuxième ville d’Irak.

Groupe Etat islamique

Les jihadistes lourdement armés ont eu plusieurs années pour peaufiner la défense de la cité où a été autoproclamé leur califat à cheval entre l’Irak et la Syrie. Après s’être emparé de larges pans du territoire au nord et à l’ouest de Bagdad à la faveur d’une offensive en 2014, l’EI a perdu ces deux dernières années du terrain face aux forces irakiennes.

Service de contre-terrorisme (CTS)

Les forces d’élite du CTS, à la réputation solide, ont été à la pointe de la majeure partie des batailles engagées contre l’EI. Constamment appelées à contribution dans l’effort de guerre, elles ont payé un lourd tribut.

Armée

Boostée par sa formation assurée par des conseillers américains, l’armée irakienne a tourné la page des débâcles face aux jihadistes en 2014. Elle joue désormais un rôle important dans les opérations menées contre l’organisation ultra radicale.

Police

Elle rassemble des forces spéciales, la police fédérale paramilitaire, ainsi que des policiers locaux. Beaucoup de ces hommes ont quasiment eu un rôle de combattant dans la guerre antijihadistes.

Coalition

La coalition internationale anti-EI conduite par les Etats-Unis frappe depuis 2014 l’EI en Irak et en Syrie, où le groupe jihadiste sévit également. Elle fournit entraînement, armes et équipements aux forces locales. Des milliers d’hommes de la coalition ont été déployés en Irak, surtout pour des missions de formation.

Peshmergas

Les forces de sécurité de la région autonome du Kurdistan irakien (nord) doivent en théorie rendre des comptes à Bagdad, mais en pratique elles mènent librement leurs opérations contre les jihadistes dans le nord du pays.

Hachd al-Chaabi (Mobilisation populaire)

Organisation créée en 2014 qui regroupe une myriade de groupes paramilitaires dominés par des milices qui répondent officiellement du Premier ministre irakien. Les groupes les plus puissants, comme Ketaëb Hezbollah (Brigades du Parti de Dieu) sont souvent décrits comme patronnés par l’Iran.

Ces milices ont été aux avant-postes pour stopper la progression de l’EI et le chasser de villes qu’il avait conquises. Mais elles se sont rendues coupables de nombreuses exactions, comme des exécutions sommaires ou des enlèvements.

Forces iraniennes

L’Iran fournit conseil et assistance dans la lutte contre l’EI, notamment par le soutien financier de milices sur le terrain. Le général Qassem Soleimani, un des hauts responsables des Gardiens de la révolution, l’armée d’élite de l’Iran, a maintes fois été photographié au cours de la guerre.

Forces turques

Déployées sur une base militaire près de Mossoul, de laquelle elles ont mené des attaques à l’artillerie contre le groupe jihadiste, les troupes turques sont également présentes au Kurdistan. Elles ne sont pas les bienvenues, selon Bagdad.

La prise de Mossoul pourrait prendre des semaines

L’offensive lancée par les forces irakiennes pour reprendre la ville de Mossoul au groupe Etat islamique (EI) pourrait durer des semaines et « possiblement plus », a par ailleurs indiqué un haut commandant américain.

« Cette opération pour reprendre le contrôle de la deuxième ville d’Irak va probablement durer des semaines, possiblement plus », a mis en garde le lieutenant général Stephen Townsend, nouveau commandant de la coalition internationale antijihadistes dirigée par les Etats-Unis.

« La bataille s’annonce longue et difficile mais les Irakiens se sont préparés et nous nous tiendrons à leur côté », a-t-il assuré.

Depuis la prise de Mossoul par l’EI il y a plus de deux ans, les Etats-Unis dirigent une coalition internationale, composée aujourd’hui de plus de 60 pays, qui combattent les jihadistes en Irak et en Syrie.

Cette coalition mène principalement des frappes aériennes et fournit entraînement, armes et équipements aux forces locales. Des milliers d’hommes ont également été déployés en Irak, surtout pour des missions de formation.

Selon M. Townsend, la coalition a formé et équipé plus de 54.000 membres des forces irakiennes.

Le spectre d’une crise humanitaire

Enfin, la bataille pourrait déclencher une crise humanitaire sans précédent susceptible de jeter sur les routes des centaines de milliers de civils aux prémices de l’hiver, craignent les Nations unies.

Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, Stephen O’Brien, s’est dit « extrêmement préoccupé par la sécurité de 1,5 million de personnes vivant à Mossoul qui pourraient être touchées par les opérations militaires ».

Celles-ci, lancées par le Premier ministre Haider al-Abadi, visent à reconquérir la deuxième ville du pays capturée en 2014 par le groupe Etat islamique (EI) et qui est le principal bastion irakien de l’organisation ultraradicale, dont le territoire ne cesse de s’amoindrir.

« Nous faisons tout notre possible pour que toutes les mesures soient prises dans le cas du pire scénario humanitaire. Mais nous craignons qu’il y ait encore beaucoup à faire », admet Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak.

« Dans le pire des cas, nous allons littéralement vers la plus grande opération humanitaire dans le monde en 2016 », et selon l’ONU un million de personnes pourraient être déplacées en quelques semaines.

Manque de fonds

« Il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150.000 personnes à la fois », souligne Mme Grande.

Le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) espère pouvoir disposer de 11 camps d’ici la fin de l’année avec une capacité de 120.000 personnes, tandis que les autorités irakiennes pensent pouvoir en accueillir 150.000 dans d’autres camps.

Mais certains seront situés dans des zones actuellement contrôlées par l’EI, ce qui signifie qu’ils devront être construits pendant l’opération.

Les civils fuyant Mossoul ne pouvant probablement rien apporter avec eux, les produits de première nécessité comme la nourriture, l’eau ou les vêtements devront leur être fournis. « Beaucoup d’entre eux devraient quitter Mossoul avec pour seules affaires des vêtements sur le dos », prévient Becky Bakr Abdulla, du Conseil norvégien pour les réfugiés.

Malgré l’ampleur massive de l’opération humanitaire nécessaire pour aider les personnes fuyant Mossoul, le financement est un problème majeur: sur les quelque 367 millions de dollars (334 millions d’euros) requis, moins de la moitié a été fournie par les bailleurs de fonds.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé qu’elle allait construire des « sites d’urgence » qui fourniront un abri et des services de base pour 200.000 personnes, précisant toutefois qu’elle avait besoin de davantage de fonds.

Boucliers humains

De plus, ces déplacements massifs de population pourraient être aggravés par l’arrivée de l’hiver et exposer les civils sans abri aux nuits glaciales du désert.

Les habitants de Mossoul seront en première ligne au cours des combats, pris au piège entre les tirs, les frappes aériennes et les bombardements, et pourraient aussi être utilisés comme boucliers humains par l’EI.

« Si Daech (acronyme arabe de l’EI) entoure les quartiers civils de bombes, s’ils placent des snipers à des endroits stratégiques, les habitants pourraient devenir des boucliers humains », avertit Mme Grande.

Sur les trois grandes villes irakiennes reprises à l’EI, seule Fallouja avait une population comparable à celle de Mossoul. L’opération militaire avait provoqué un exode massif de sa population, des dizaines de milliers de civils se trouvant déplacés ou entassés dans des camps surpeuplés.

Le sort des habitants fuyant Mossoul pourrait être plus clément. « Avec un peu de chance, les organisations humanitaires seront en mesure de leur fournir l’aide nécessaire, pour qu’ils ne passent pas d’un enfer à un autre », espère M. Abdulla.

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