Le Premier ministre Charles Michel lors d'un sommet européen avec Angela Merkel : la chancelière allemande Angela Merkel a été bombardée symboliquement " leader du monde libre" par le président américain sortant, Barack Obama. © THIERRY ROGÉ/PHOTO NEWS

Montée des populismes : quatre révolutions pour éviter le tsunami

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Face à la vague qui emporte tout aux Etats-Unis et en Europe, il est vital de changer le système en profondeur. Politiques, citoyens et médias : c’est le moment de mettre les mains dans le cambouis.

Il faut changer le système en profondeur. D’urgence. Après l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et à l’aube d’une année 2017 chargée de scrutins sensibles en Europe, l’heure est à la riposte. Et à l’introspection. Comment les peuples en sont-ils venus à rejeter de la sorte les élites ? Quelles réponses apporter à cette vague qui emporte tout sur son passage ? Il n’est plus un jour sans un bras d’honneur à l’ordre établi ou supposé l’être. La victoire éclatante de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite et du centre en France a, à nouveau, déjoué les pronostics des médias et des instituts de sondage. Partout, les langues se délient et les colères s’expriment. De nos jours, plus personne ne peut faire l’autruche : les piliers de nos démocraties tremblent sur leurs bases.

Une révolution politique

Richard Miller (MR) :
Richard Miller (MR) : « Nous avons besoin d’une plus grande efficacité politique. »© BELGAIMAGE, ID PHOTO AGENCY, SDP, SAMUEL SZEPETIUK

 » Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe, c’est une évidence « , reconnaît Richard Miller, député MR et administrateur délégué du centre Jean Gol, service d’études du parti. La priorité, selon lui ? Montrer que l’on peut répondre aux préoccupations des citoyens.  » Nous avons besoin d’une plus grande efficacité politique, c’est-à-dire d’une capacité à identifier les enjeux et à y répondre de façon structurelle, déclare-t-il. C’est ce que le gouvernement fédéral de Charles Michel essaie de faire. Il y a des indices positifs, mais il arrivera un moment où l’on jugera si l’activité économique est relancée, si le chômage a diminué.  » Un bilan vital, enchaîne-t-il, car au-delà de la vague qui a porté Donald Trump,  » des millions d’Américains ont aussi voté pour exprimer leur mécontentement de la politique d’Obama « .

Suffisant ? Zakia Khattabi, coprésidente d’Ecolo, coupe l’herbe sous le pied de la majorité actuelle. Et dénonce un contexte délétère :  » La révolution dont nous avons besoin, ce n’est pas combattre la vague populiste, mais bien tous les comportements qui l’alimentent ! Le dernier exemple en date qui fait le lit des démagogues et des populistes, c’est ce scandale d’état qu’est le Kazakhgate (NDLR : l’implication du MR dans un scandale lié à l’adoption, en 2011, de la loi sur la transaction pénale sous pression du président français Nicolas Sarkozy pour servir les intérêts du milliardaire Patokh Chodiev). Combien de citoyens ne me disent-ils pas leur écoeurement face à la classe politique traditionnelle, qui confond allègrement intérêts privés et publics ? Il faut des réformes profondes de notre système pour éviter à l’avenir les conflits d’intérêts, encadrer le lobbying, limiter les rémunérations des parlementaires qui exercent des fonctions privées…  »

Zakia Katthabi (Ecolo) :
Zakia Katthabi (Ecolo) : « Nous devons combattre les comportements politiques qui alimentent le populisme. »© BELGAIMAGE, ID PHOTO AGENCY, SDP, SAMUEL SZEPETIUK

Ce n’est pas encore assez.  » La seule réaction possible, c’est une refonte en profondeur des pratiques politiques et de l’orientation générale de la société, estime Edouard Delruelle, professeur de philosophie politique à l’université de Liège. Toute autre réaction de type pédagogique ou de sensibilisation ne serait que cosmétique.  » Pour cela, il convient de définir ce qui nourrit le populisme : un sentiment d’insécurité culturelle face à la globalisation et à ceux qui la représentent, les élites ( » Washington  » aux Etats-Unis,  » Bruxelles  » en Europe) ou les étrangers.  » Cette insécurité culturelle contient une dimension imaginaire forte, souligne le philosophe. Elle n’est pas forcément en corrélation avec une insécurité physique réelle, même si l’on ne peut négliger les effets du terrorisme ou de la violence sociale.  »

Les médias traditionnels se sont trompés au sujet de l'élection de Donald Trump, comme plus tard au sujet de la victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre en France. Une introspection s'impose.
Les médias traditionnels se sont trompés au sujet de l’élection de Donald Trump, comme plus tard au sujet de la victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre en France. Une introspection s’impose.© GETTY IMAGES

Son constat ? Les médias sociaux démultiplient les effets de cet imaginaire avec une dimension émotionnelle forte. Le populisme se nourrit en outre de la nouvelle fracture qui oppose les villes aux campagnes, ceux qui profitent de la mondialisation et ceux qui en souffrent – une fracture devenue aussi forte que le fossé gauche-droite d’antan.  » Aux Etats-Unis, le vote Trump est un vote des campagnes, constate Edouard Delruelle. En France, une confrontation Le Pen/Macron au second tour de la présidentielle française serait l’expression ultime de cette fracture. Je suis sûr que Marine Le Pen sera au second tour et y fera près de 50 %. Je n’exclus même pas qu’elle soit élue.  » La seule réponse possible consiste selon lui à  » reconstruire un pacte social entre les territoires et les populations « . Une nécessité d’autant plus grande pour la gauche, laminée par la mise en péril du modèle social hérité de la Seconde Guerre mondiale. En France, elle risque d’être absente du second tour de la présidentielle. Partout en Europe, la social-démocratie sombre.

Une révolution citoyenne

Plus qu’un parti ou une tendance, c’est cependant le cadre même de nos démocraties qui est remis en question par la colère qui gronde. Il doit être repensé.  » Le populisme marche parce qu’il donne l’impression que l’on peut apporter des réponses simples à des questions complexes, analyse Min Reuchamps, politologue à l’UCL. Une des répliques, c’est d’impliquer davantage les citoyens dans le processus de décision, même si la plupart des gens ne le souhaitent pas a priori. Ce volet participatif est essentiel pour repolitiser la société. Il faut ramener les citoyens dans la délibération directe avec des personnes qui ont une autre opinion qu’eux. Aux Etats-Unis, il était frappant de voir que deux mondes très polarisés se faisaient face et ne se parlaient pas. Or, il est important d’au moins comprendre l’autre.  »

Des expériences ont lieu en ce sens depuis plusieurs années, à l’image du sommet citoyen G1000 organisé par l’écrivain David Van Reybrouck en plein blocage du pays, en 2012. Celui-ci remettait au goût du jour l’antique tradition du tirage au sort pour composer cette assemblée. En cette ère du numérique roi, la démocratie ne peut plus se limiter aux seules élections.  » Les citoyens qui participent à ce genre d’expérience en sortent transformés, poursuit Min Reuchamps, qui a accompagné le processus. En délibérant d’une question spécifique, ils se rendent compte de la complexité des réponses à apporter.  » Le G1000 a essaimé vers d’autres initiatives ponctuelles autour du Pacte d’excellence qui va voir le jour dans l’enseignement, notamment.  » L’enjeu, c’est de renouveler la démocratie dans la sphère publique, mais aussi de l’introduire davantage encore dans la sphère privée, là où l’on passe la plupart de notre temps, commente le politologue. Dans les entreprises, dans les écoles et les universités, peut-être même dans les familles…  »

Philippe Leruth (Fédération internationale des journalistes) :
Philippe Leruth (Fédération internationale des journalistes) : « Le journalisme est un bien public. »© BELGAIMAGE, ID PHOTO AGENCY, SDP, SAMUEL SZEPETIUK

Paradoxalement, cette ère de grands bouleversements est peut-être propice à un renouvellement accéléré de nos modes de fonctionnement. Et à une réappropriation citoyenne des enjeux.  » La démocratie, c’est le conflit, expose Edouard Delruelle. Pendant de longues années, on a misé sur le consensus et le pragmatisme et ce faisant, on a mis un couvercle sur la marmite. Aujourd’hui, les gens se réapproprient la politique. Le récent débat initié par la Wallonie sur le traité de libre-échange avec le Canada (Ceta), c’était l’expression de cela. Si le populisme accélère un tel renouveau, ce n’est pas une mauvaise chose en soi.  » A condition, bien sûr, d’en sortir par le haut.

Les partis traditionnels sont conscients de la nécessité de bouger sur ces questions. Le président du PS, Elio Di Rupo, a mis le tirage au sort citoyen pour composer le Sénat et la démocratie participative au menu du Chantier des idées, la refonte programmatique du parti.  » C’est la démocratie en elle-même et ses institutions qu’il faut transformer, insiste l’Ecolo Zakia Khattabi. Les partis doivent être plus ouverts et transparents. On doit aussi pouvoir créer des mouvements hybrides – et localement, nous nous y employons – mais il faut surtout des dispositifs de démocratie participative et directs qui ouvrent les institutions, qui les obligent à se remettre en question.  » Le libéral Richard Miller se dit  » ouvert à des mécanismes de démocratie directe en complément de la démocratie représentative « . En insistant sur l’importance de l’enseignement :  » Je suis un vieux partisan du projet d’éducation à la citoyenneté, qui a enfin abouti en Communauté française. Il faut l’encourager, même si je regrette que l’on ait perdu dix ans avant de le mettre en oeuvre, et remettre l’accent sur l’apprentissage de l’histoire. C’est une priorité parce qu’on ne nait pas démocrate, on le devient.  »

Mais tout cela n’est-il pas, au fond, trop peu et trop tard ?

Une révolution médiatique

Edouard Delruelle, philosophe de l'Ulg :
Edouard Delruelle, philosophe de l’Ulg : « Il faut reconstruire le pacte social. »© BELGAIMAGE, ID PHOTO AGENCY, SDP, SAMUEL SZEPETIUK

Personne ne peut rester à l’écart de cette introspection.  » C’est tout le navire démocratique qui est attaqué, embraie Richard Miller. Et j’ai le sentiment que le quatrième pilier de la démocratie, le pouvoir médiatique, a une sérieuse réflexion à mener en lien avec l’évolution technologique. Une adaptation me semble nécessaire pour préserver un journalisme démocratique, de réflexion. C’est indispensable car le journaliste occupe encore une position de repère pour le citoyen. Cette réflexion doit être menée à l’intérieur du monde de la presse.  »

Philippe Leruth, journaliste à L’Avenir et président de la Fédération internationale des journalistes, ne conteste pas le constat.  » Les questions que l’on se pose après l’élection de Donald Trump sont celles que l’on se posait après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle française en 2002, souligne-t-il. Je regrette que, depuis, on ait désinvesti massivement dans les rédactions. Le travail d’investigation en profondeur en a souffert. On a par exemple constaté, après l’élection de Trump, que l’on connaissait bien mal l’Amérique profonde. Mais peut-être n’a-t-on pas eu le temps et les moyens de la sonder, de l’écouter ?  » Une solution, préconise Philippe Leruth, réside dans la création de ces consortiums de journalistes d’investigation qui naissent spontanément entre rédactions.  » Tout l’enjeu pour regagner la confiance du public, c’est de veiller à une information fiable et de qualité. Il ne faut pas avoir peur de dire que le journalisme est un bien public.  »

Suffisant ?  » On se trompe en croyant que l’on continuera à faire vivre des médias sur le simple fait d’expliquer des faits réels et de les vérifier, rétorque Damien Van Achter. Car à l’heure de Facebook triomphant, l’émotion et la subjectivité dominent.  » Professeur à l’Institut des hautes études des communications sociales (Ihecs), consultant et créateur de nouveaux formats numérique, ce chevalier des temps nouveaux juge que les médias traditionnels ne prennent pas assez la mesure de la révolution qui est à l’oeuvre. La réflexion doit être plus profonde, il faut réinventer le métier.  » Toute la question consiste à savoir quel rôle joue un média dans la nouvelle société numérique, développe-t-il. Cela, le site Breitbart News, qui a soutenu la candidature de Trump, l’a parfaitement compris : il a été créé pour porter une force politique au pouvoir, ce qui lui ramènera à terme de l’argent. Son arrivée en France, dans l’état actuel des choses, provoquerait un raz-de-marée.  »

Damien Van Achter, professeur à l'IHECS :
Damien Van Achter, professeur à l’IHECS : « Nous devons mener une guérilla médiatique. »© BELGAIMAGE, ID PHOTO AGENCY, SDP, SAMUEL SZEPETIUK

Damien Van Achter se dit  » surpris  » de la rapidité avec laquelle la bulle populiste explose. Mais il préfère y voir une  » opportunité « .  » C’est un appel à de la création de sens et de richesse intellectuelle, qui générera tôt ou tard des richesses financières, s’enthousiasme-t-il. Mais cela ne se fera pas dans les mêmes structures que ce que l’on a connu jusqu’ici.  » S’il devait créer un média aujourd’hui, en partant de rien, il l’imposerait  » là où le débat a lieu « , sur les réseaux sociaux, au coeur de Facebook, dans les commentaires des forums.  » Nous devons mener une guérilla, lâche-t-il. Les journalistes ont perdu la conscience du fait qu’ils sont une force de combat et de proposition. Sans cela, quelle est encore leur raison d’être ?  »

Les médias classiques, ajoute le professeur de l’Ihecs, ont ouvert un champ infini permettant de réagir sur Internet, mais ils ont laissé ce terrain en friche.  » Or, la nature déteste le vide, ce terrain est désormais occupé par une minorité très active de fachos et de cons.  » C’est dit : les journalistes doivent  » mettre les mains dans le cambouis « , arrêter de croire qu’ils peuvent prêcher les solutions depuis leur chaire de vérité et relayer des alternatives crédibles.  » Il faut challenger le populisme avec du positif ! Je suis convaincu que le rôle d’un média, c’est de se mettre au service de communautés existantes. La force de l’alternative réside dans la créativité des individus.  » Dans un coin de sa tête, il y a l’exemple du documentaire Demain qui a attiré plus d’un million de spectateurs dans les salles françaises et belges en relayant des initiatives citoyennes. Un condensé de simplicité volontaire.

Le G1000, organisé par l'écrivain David Van Reybrouck en 2012, a remis le tirage au sort citoyen au goût du jour.
Le G1000, organisé par l’écrivain David Van Reybrouck en 2012, a remis le tirage au sort citoyen au goût du jour. © TIM DIRVEN/REPORTERS

 » Il faut éviter le ton « donneurs de leçons » qui est souvent celui des médias ou d’intellectuels comme moi, prolonge le philosophe Edouard Delruelle. Lorsque les élites se mobilisent, il y a désormais un risque réel que cela accentue le ressentiment des peuples.  »

Une révolution européenne

Reste à définir le cadre dans lequel ces révolutions doivent prendre place. La nation, plus que jamais, a le vent en poupe avec le repli sur soi américain annoncé par Donald Trump, l’Europe des Etats annoncée par François Fillon ou le retrait de l’Union européenne promis par Marine Le Pen, sur le mode du Brexit. Après le séisme américain et pour peser sur le débat français, des intellectuels ont relancé  » l’appel du 9 mai  » qui plaide en faveur d’un renforcement de la démocratie et de la culture européenne, d’une création de la défense européenne, de l’achèvement de la zone euro ou encore de la mise en place d’un Erasmus des collégiens. Parmi les signataires, des Belges d’horizons divers comme l’ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, l’écrivain David Van Reybrouck, le philosophe Philippe Van Parijs ou le directeur du Palais des beaux-arts de Bruxelles, Paul Dujardin.

 » Il faut une approche globale du problème au niveau européen « , insiste le libéral Richard Miller, qui plaide pour la mise en place d’une commission de renouveau démocratique. Zakia Khattabi (Ecolo) est en phase :  » Nous avons besoin de plus d’Europe pour affronter les défis qui se posent à nos populations, influer sur la mondialisation et faire en sorte que la politique reprenne le dessus sur une économie débridée. Le pays européen qui pèse le plus lourd ne représente que 5 % de l’économie mondiale et à peine 1 % de la population mondiale… C’est en démocratisant les structures européennes et en améliorant leur fonctionnement que l’on recouvrera notre souveraineté, certes partagée, face aux intérêts privés des multinationales et à ceux dont les actions s’inscrivent au mépris du bien-être des générations futures.  »

Ces belles promesses endigueront-elles le tsunami populiste ?

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