Moïse Katumbi. © Belga

Moïse Katumbi, cow-boy désarçonné

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’ex-gouverneur du Katanga apprend ce qu’il en coûte de défier le régime dont il a longtemps été un allié de poids. Mais qui se cache derrière l’homme d’affaires riche à millions, candidat à la présidentielle, vu avec bienveillance à Washington, Paris et Bruxelles ?

La politique au Congo est une voie hasardeuse. C’est la réflexion que se faisait déjà Moïse Katumbi à l’époque où le richissime homme d’affaires gouvernait la province du Katanga et était membre du parti du président Kabila. Le harcèlement policier dont est victime depuis des mois le candidat déclaré à la présidentielle et son inculpation, le 19 mai, pour un présumé « recrutement de mercenaires » n’auront fait que renforcer chez lui ce sentiment. « Sans sa carapace de gouverneur, Katumbi est nu, avait prévenu, dès l’an dernier, un ministre de Kabila. Quelqu’un qui a exercé ces fonctions a forcément des choses à se reprocher. » Pour autant, ce ne sont pas les dossiers financiers qui auront finalement servi à désarçonner le « cow-boy » katangais. L’accusation de recrutement de mercenaires en vue de fomenter un coup d’Etat ne brille pas par son originalité. Mais elle a fait ses preuves sous d’autres cieux quand un autocrate cherche à embastiller ou à pousser à l’exil un rival politique devenu trop dangereux.

La popularité et le grand train de Katumbi, jalousés à Kinshasa, avaient de longue date attisé les haines : le « chairman » a échappé à plusieurs tentatives d’attentat et craignait un empoisonnement, via la nourriture ou de la poudre étalée sur des poignées de portes. Le voilà rattrapé par le rouleau compresseur d’un régime dont il a longtemps été un allié de poids. Atteint, d’après ses proches, par des jets de gaz lacrymogène lors des échauffourées du 13 mai entre la police et la foule de ses partisans – venus l’accompagner à sa troisième convocation au palais de justice de Lubumbashi -, il a été hospitalisé, puis a pu quitter le pays pour l’Afrique du Sud, officiellement pour se faire soigner. Son départ précipité pour Johannesburg, le 20 mai, a été autorisé par les autorités, alors que l’opposant, visé par un mandat d’arrêt provisoire pour « atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat », encourt la prison à vie s’il est reconnu coupable.

Anciens militaires américains

L’affaire éclate le 24 avril dernier, avec l’arrestation de quatre (ou six ?) membres de la garde rapprochée de Katumbi lors d’une manifestation de l’opposition dispersée par la police. Les gros bras appréhendés sont congolais, excepté un certain Darryl Lewis, Américain de 48 ans, « consultant en sécurité ». Transféré le lendemain à Kinshasa, il aurait, selon les autorités, tenté de fuir à sa descente d’avion, à l’aéroport de N’Djili. Lors de son interrogatoire, il aurait d’abord prétendu être un ouvrier agricole venu au Katanga pour développer la culture du maïs à l’invitation de Katumbi, puis aurait reconnu être un ancien militaire sous contrat, envoyé ces dernières années en mission au Kosovo et au Burundi. D’après la firme privée américaine qui l’emploie, Darryl Lewis était chargé d’évaluer les besoins sécuritaires du rival politique de Kabila.

Le ministre de la Justice Alexis Thambwe laisse entendre que l’opposant a constitué une milice privée de « plus de 400 étrangers, anciens marines américains et commandos sud-africains, en situation irrégulière au Katanga ». Une histoire « montée de toutes pièces », réplique Katumbi, qui compare son sort à celui de Mandela et de Gandhi. Ces derniers jours, des journaux kinois proches du régime ont publié des éléments du « dossier », sans préciser leur source. D’après cette version des faits, dix anciens militaires américains, experts en « opérations spéciales, maniement d’armes et renseignement », auraient été identifiés dans l’entourage de Katumbi. Entrés en RDC avec un visa de voyage d’un mois, prolongé pour trois mois, ils se seraient présentés comme « touriste, fermier, professeur, logisticien, médecin, missionnaire, homme d’affaires… ».

L’opposant aurait recruté plusieurs de ces anciens marines via la firme américaine Jones Group International, en contact avec la société de gardiennage congolaise Pomba One Security. Leur mission ? Toujours d’après ce rapport, les objectifs, la logistique et le financement de l’opération, dénommée « Op Congo », n’étaient connus que du « cow-boy », nom de code de Katumbi.

Report de la présidentielle

L’ancien gouverneur voit dans les accusations portées contre lui le montage grossier d’un régime aux abois. Le raidissement du pouvoir s’inscrit, à tout le moins, dans un climat politique délétère en RDC. En cause : l’incertitude liée au probable report de l’élection présidentielle, prévue le 27 novembre prochain. Si Katumbi est plutôt bien vu dans les chancelleries occidentales, les pressions de la communauté internationale s’accentuent sur le président congolais afin qu’il respecte la Constitution et ne brigue donc pas un troisième mandat à la tête du pays. Mais le chef de l’Etat, qui entretient le flou sur son avenir politique, semble bien décidé à conserver le pouvoir au-delà du 19 décembre, terme de son mandat actuel. Dans un arrêt controversé, la Cour constitutionnelle vient de l’autoriser à rester en place tant qu’un nouveau président n’a pas pris ses fonctions. Or, selon la commission électorale, la présidentielle pourrait accuser un retard de quatorze à seize mois, le temps de revoir le fichier électoral et de trouver les financements.

Le climat risque de devenir insurrectionnel, alors que la chasse aux opposants et le recul des libertés au Congo inquiètent déjà les organisations de défense des droits de l’homme. Le 5 mai, au lendemain de l’annonce de sa candidature à la présidentielle, la résidence de Katumbi à Lubumbashi est encerclée par les forces de l’ordre. A la demande de l’ex-gouverneur, qui craint d’être arrêté, les casques bleus de la Monusco prennent eux aussi position aux abords du domicile, et les policiers se retirent. De tels actes d’intimidation, l’ancien allié de Kabila ne cesse d’en subir depuis sa sortie fracassante de décembre 2014. De retour dans la capitale du Katanga après un long séjour à Londres, le gouverneur s’était lancé, devant la foule de ses supporters venus l’accueillir, dans une métaphore politico-sportive : pas question selon lui d’accorder un « 3e penalty injuste » à Kabila (un 3e mandat, après les scrutins douteux de 2006 et 2011).

L’homme traqué

La rupture avec le régime est consommée et le bras de fer se durcit : en juin 2015, Luzolo Bambi, conseiller du président Kabila en matière de « bonne gouvernance », dépose, au nom du chef de l’Etat, une plainte contre Katumbi pour « fraude douanière » et « détournement des deniers publics ». Elle n’a pas eu de suite, mais l’affaire visait, selon certains observateurs, à faire comprendre au Katangais que son ambition de devenir candidat à la présidentielle pouvait lui coûter cher. Le Rubicon est franchi pour de bon le 29 septembre 2015, quand l’homme d’affaires quitte le PPRD, parti de la majorité présidentielle. Le même jour, il a perdu son poste de gouverneur, à la suite du démembrement de la province minière. Aucune des quatre nouvelles entités territoriales n’aura à sa tête l’un de ses proches : leurs candidatures ont été invalidées.

Une vie d’homme traqué commence alors pour l’ex-allié du régime. Le jet privé de Katumbi ne peut plus ni décoller ni atterrir au Congo. Fin janvier 2016, deux chaînes de télévision acquises à sa cause sont fermées par la justice. Quelques jours plus tôt, un minibus percute violemment son 4×4 à hauteur du siège conducteur. Après l’accident, le chauffeur, qui semble avoir agi de manière délibérée, aurait, selon Katumbi, été récupéré par des agents des services de renseignement.

Le ballon et la croix

Les attaques ciblent aussi ses origines. On lui reproche, à mots couverts, d’être métis : son père, Nissim Soriano, est un juif séfarade originaire de Rhodes. Entre les deux guerres mondiales, il a fui l’île grecque, alors occupée par l’Italie fasciste, pour s’établir au Katanga, près du lac Moero, où il a épousé une princesse de l’ethnie bemba, arrière-petite fille du roi Msiri. A sa mort, l’un de ses fils, Raphaël Katebe Katoto, reprend la pêcherie familiale, qui devient bientôt le principal fournisseur de la Gécamines, l’entreprise d’Etat, en poissons frais et séchés. Moïse s’initie aux affaires auprès de son demi-frère, et tous deux s’enrichissent dans la sous-traitance minière.

Katumbi, né en 1964 à Kashobwe, a fait ses classes dans un pensionnat tenu par des bénédictins belges. Resté fidèle à leur enseignement, le candidat à la présidentielle évoque Dieu et les Evangiles dans ses discours et ne cache pas que sa foi influence son projet pour le pays. Aux commandes, depuis 1992, du Tout-Puissant Mazembe, le club de football emblématique de Lubumbashi, cinq fois vainqueur de la Ligue des champions d’Afrique, Katumbi impose à ses joueurs la lecture d’un passage de la Bible dans les vestiaires. Son épouse, Carine, une Belge d’origine burundaise, est elle-même une fervente catholique. Or, l’influente Eglise catholique congolaise s’est prononcée pour la défense de la Constitution. Le président Kabila, lui, bénéficie du soutien de l’Eglise du Christ au Congo, d’obédience protestante, et des Eglises de réveil.

Le temps des bonnes affaires

Les attaques les plus insistantes contre Katumbi visent toutefois l’opacité de son business. L’industriel a, comme d’autres opérateurs économiques au Katanga, bâti sa fortune lors de la privatisation des fleurons de la Gécamines. En 2007, la revente à la société canadienne Anvil Mining de ses droits d’exploitation sur la mine de Kinsevere, acquise pour un million de dollars, lui en a rapporté plus de 60. En 2015, il a revendu pour un prix non communiqué sa société, Mining Company Katanga (MCK), au groupe français Necotrans. Katumbi était très proche d’Augustin Katumba Mwanke, l’éminence grise de Kabila (mort en 2012), originaire lui aussi des rives du lac Moero, et cité dans un rapport de l’ONU sur le pillage des richesses du Congo.

Beaucoup, au Katanga, ont vanté le dynamisme, la générosité et les efforts du gouverneur pour redresser sa province. La production de cuivre et le budget du gouvernement provincial ont bondi entre 2007 et 2014. Mais d’autres sources relèvent que ses initiatives – distribution de tracteurs, d’ambulances, de matelas pour les hôpitaux… – étaient improvisées et ont manqué de suivi. « Très paternaliste, Moïse a un sens inné de la communication, voire de la manipulation », assure l’un de ses détracteurs, qui dénonce un populisme arrosé de dollars et de champagne.

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