Mohammed ben Salmane © AFP

Mohammed ben Salmane, un réformateur à la poigne de fer

Le Vif

Devenu prince héritier en juin au terme d’une ascension fulgurante, Mohammed ben Salmane, 32 ans, s’est assigné pour mission de réformer le royaume ultraconservateur, tout en affichant une poigne de fer dans le contexte de crise ouverte avec le Qatar voisin.

Samedi, quelques heures après la création d’une commission de lutte contre la corruption dont il a pris la tête, l’Arabie a assisté à l’arrestation de 11 princes et de dizaines de ministres actuels ou anciens, ainsi qu’au limogeage de puissants responsables militaires, une purge sans précédent.

Ces derniers mois, celui que l’on surnomme « MBS » a lancé plusieurs chantiers de réformes qui marquent le plus grand bouleversement culturel et économique de l’histoire moderne du royaume, dont la moitié de la population (31 millions) a moins de 25 ans.

Attaché à desserrer le carcan des milieux religieux sur la société, il promettait fin octobre une Arabie « modérée », pratiquant un islam « tolérant et ouvert ».

Si elle pourrait déclencher une opposition des conservateurs, cette vision a connu un début de concrétisation: les femmes ont obtenu en septembre le droit de conduire, une décision historique dont il est considéré comme l’inspirateur. Les cinémas vont bientôt ouvrir et des Saoudiennes ont célébré la fête nationale mêlées aux hommes. Du jamais vu.

Cet assouplissement n’aurait pas été possible, selon des experts, sans l’arrestation en septembre de dizaine de religieux et d’intellectuels. Des mesures perçues comme une démonstration de force du prince Mohammed pour renforcer son emprise politique, mais dénoncées par des organisations de défense des droits de l’Homme.

Il a réussi à avoir « un pouvoir et une influence extraordinaires en très peu de temps », note Frederic Wehrey, de l’institut Carnegie Endowment for International Peace à Washington. Un diplomate occidental confirme sa « forte influence » sur son père, le roi Salmane, 81 ans.

D’abord nommé vice-prince héritier le 29 avril 2015, le jeune prince a été l’inspirateur d’un vaste programme de réformes économiques de son pays, certes le premier exportateur du pétrole, mais trop dépendant de cette ressource.

Baptisé « Vision 2030 », ce plan a transgressé un tabou en proposant de vendre en bourse moins de 5% du géant pétrolier Aramco et de se doter aussi d’un fonds souverain de 2.000 milliards de dollars (1.777 milliards d’euros), le plus grand du monde.

– ‘Agressif et ambitieux’ –

Né le 31 août 1985, l’homme à la barbe noire et à la calvitie naissante travaille 16 heures par jour et dit que sa mère l’a élevé strictement.

Ayant la réputation d’un réformateur pressé, Mohammed ben Salmane était second dans l’ordre de succession, position qu’il avait décrochée avec une série de responsabilités économiques et militaires lorsque son père a accédé au trône en janvier 2015.

Devenu prince héritier, il cumule aussi les postes de vice-Premier ministre, ministre de la Défense, conseiller spécial du souverain et, surtout, il préside le Conseil des affaires économiques et de développement, organe qui supervise Saudi Aramco, première compagnie productrice de pétrole au monde.

En tant que ministre de la Défense, Mohammed ben Salmane a supervisé les opérations militaires lancées au Yémen par Ryad, qui a pris la tête en mars 2015 d’une coalition de pays arabes et islamiques pour combattre des rebelles chiites, accusés de liens avec l’Iran.

Sous le roi Salmane, le royaume a adopté une politique étrangère plus offensive et une posture plus visible, n’hésitant pas à « se frotter » à l’allié américain, notamment après l’accord nucléaire avec l’Iran.

La crise frontale avec le Qatar, accusé de soutien au « terrorisme » et mis au ban par Ryad et plusieurs de ses alliés, démontre cette nouvelle politique.

Diplômé de droit de la King Saud University, « MBS » est père de deux garçons et de deux filles, et n’est pas partisan de la polygamie en vigueur dans son pays.

« Il a la réputation d’être agressif et ambitieux », a déclaré Bruce Riedel, ancien officier de la CIA qui dirige le Brookings Intelligence Project à Washington.

Il était devenu en 2009 conseiller spécial de son père, qui était à l’époque gouverneur de Ryad, avant de diriger le cabinet princier en 2013 quand son père est devenu prince héritier.

En avril 2014, Mohammed ben Salmane était devenu secrétaire d’Etat et membre du gouvernement, avant sa nomination comme ministre de la Défense et chef du cabinet royal le 23 janvier 2015, jour où son père a succédé au roi Abdallah, mort à 90 ans.

L’Arabie saoudite depuis l’accession du roi Salmane au trône

Le roi Salmane d'Arabie Saoudite.
Le roi Salmane d’Arabie Saoudite.© AFP

Les principales étapes depuis l’accession au trône en 2015 du roi Salmane en Arabie saoudite où a eu lieu une vaste purge au sein des cercles du pouvoir, selon des médias.

– ‘Deuxième génération’ –

Le 23 janvier 2015, Salmane procède, dès son intronisation, à des nominations clés qui marquent l’entrée des princes de « deuxième génération » dans l’ordre de succession. Il désigne l’un de ses fils, Mohammed ben Salmane, ministre de la Défense. Surnommé MBS, il sera finalement propulsé prince héritier à 31 ans en juin 2017.

– Guerre au Yémen –

Le 26 mars 2015, l’Arabie saoudite lance une opération militaire au Yémen à la tête d’une coalition de pays arabes et musulmans pour empêcher les rebelles chiites Houthis, accusés d’être soutenus par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble de ce pays voisin. Les rebelles tiennent notamment la capitale Sanaa depuis septembre 2014.

La coalition a été critiquée pour des « bavures » à répétition ayant fait nombre de victimes civiles lors de frappes aériennes.

– Rupture avec Téhéran –

Le 2 janvier 2016, l’Arabie saoudite exécute 47 personnes condamnées pour « terrorisme », dont le dignitaire chiite Nimr al-Nimr, figure de la contestation contre le régime saoudien sunnite. Cette mise à mort suscite de violentes manifestations en Iran. Le lendemain, Ryad rompt ses relations diplomatiques avec Téhéran après l’attaque de son ambassade en Iran.

– ‘Vision 2030’ –

Le 25 avril 2016, le Conseil des ministres approuve un vaste plan de réformes, appelé « Vision 2030 », destiné à diversifier l’économie saoudienne, trop dépendante du pétrole.

Depuis la chute des prix du brut à la mi-2014, Ryad a dû fortement réduire ses dépenses publiques.

Initié par Mohammed ben Salmane, ce plan prévoit notamment de vendre en Bourse une partie du géant pétrolier Aramco pour dégager des ressources. Le prince dévoile une série de méga-projets censés stimuler la croissance et l’emploi: cité de divertissements rivalisant avec Disney à Ryad, gigantesque zone de développement présentée comme l’équivalent de la Silicon Valley.

Depuis décembre 2016, les pays de l’Opep, emmenés par l’Arabie saoudite, et d’autres producteurs non membres du cartel dont la Russie, appliquent un accord de réduction de la production d’or noir.

– Contrats avec Washington –

Les 20 et 21 mai 2017, le président américain Donald Trump choisit l’Arabie saoudite pour son premier déplacement à l’étranger.

Washington et Ryad annoncent des contrats excédant 380 milliards de dollars, dont 110 pour des ventes d’armements américains à Ryad visant à contrer les « menaces iraniennes » et combattre les islamistes radicaux.

– Crise avec le Qatar –

Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite et plusieurs de ses alliés rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar, l’accusant de soutenir des groupes « terroristes » et lui reprochant ses liens avec l’Iran, accusations rejetées par Doha.

Le royaume interrompt les liaisons aériennes et maritimes avec le Qatar et ferme la seule frontière terrestre de l’émirat.

– Campagne d’arrestations –

En septembre 2017, les autorités procèdent à une série d’arrestations de religieux influents et d’intellectuels. Human Rights Watch et Amnesty international dénoncent une « campagne de répression » contre des dissidents.

– Les femmes bientôt au volant –

Le 26 septembre 2017, l’Arabie saoudite, dernier pays au monde interdisant aux femmes de conduire, annonce qu’elles pourront prendre le volant à compter de juin 2018.

Elles pourront aussi bientôt entrer dans trois stades, mais restent soumises à la tutelle d’un homme pour faire des études ou voyager.

– Promesse de modération –

Le 24 octobre, Mohammed ben Salmane promet une Arabie « modérée » et « tolérante », en rupture avec l’image d’un pays considéré comme l’exportateur du wahhabisme, une version rigoriste de l’islam ayant nourri nombre de jihadistes.

– Purge sans précédent –

Onze princes et des dizaines de ministres, anciens et actuels, ont été arrêtés samedi soir, selon des médias. Les chefs de la Garde nationale saoudienne, une force d’élite intérieure, et de la Marine ont été limogés. Une purge qui doit permettre au prince héritier, qui dirigera une commission anticorruption, de consolider son pouvoir.

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