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Milos Zeman, un président tchèque provocateur, pro-russe et pro-chinois

Le Vif

Milos Zeman, vétéran de la gauche tchèque qui brigue un second quinquennat à la tête de l’Etat, lors premier tour d’une élection présidentielle ces 12 et 13 janvier, se voit souvent accusé de diviser la société en raison de son orientation pro-russe et pro-chinoise, et de son discours volontiers provocateur.

L’homme jovial de 73 ans, aux cheveux blancs et au sourire ironique, avait fait clairement savoir qu’il ne renonçait pas à son penchant pour la provocation après son installation en 2013 au Château de Prague, siège de la présidence. Peu après son inauguration, il se rend à Pékin, avant d’assister à un forum sur une île grecque organisée par un allié du président russe Vladimir Poutine, persona non grata aux Etats-Unis.

En mai 2015, il participe à Moscou aux cérémonies anniversaires de la victoire sur l’Allemagne nazie boudées par la plupart des dirigeants occidentaux. En septembre de la même année, il est le seul chef d’Etat européen présent à Pékin au défilé militaire de commémoration de la capitulation du Japon.

Le discours du président, qui se veut la « voix des non-privilégiés », est apprécié surtout par les habitants des villages et des petites villes et les travailleurs manuels, et contesté voire détesté par les milieux intellectuels de Prague et d’autres grandes villes du pays. Le mot « idiot » pour désigner ses opposants sort souvent de la bouche de celui qui s’en prend avec plaisir aux journalistes, taxés un jour de « fumiers ». Lors d’un autre déplacement en Chine, il n’hésite même pas à affirmer, en présence de Vladimir Poutine, qu’ils devraient être « liquidés ».

En phase avec une bonne partie de l’opinion tchèque, il qualifie l’afflux de migrants en Europe d' »invasion organisée » et se dit opposé à leur accueil, à l’origine selon lui d’un « bouillon de culture propice à des attaques terroristes ».

– ‘Embrasser les arbres’ –

Né le 28 septembre 1944 à Kolin près de Prague, cet économiste de formation fait déjà parler de lui avant la chute du régime totalitaire en 1989, en lançant des critiques acerbes à l’adresse de l’économie communiste. Après la « Révolution de velours », il forme avec Vaclav Havel et Vaclav Klaus, ses prédécesseurs à la présidence, le trio qui a le plus marqué l’évolution du pays.

Brièvement membre du parti communiste lors d’une période de dégel à la fin des années 1960, il fait renaître après 1989 le parti social-démocrate, avant d’être chef de la Chambre basse du Parlement (1996-1998) puis Premier ministre (1998-2002). A l’époque, il se fait déjà connaître par des propos controversés, par exemple en comparant le dirigeant palestinien Yasser Arafat au dictateur nazi Adolf Hitler.

En 2002, il se retire dans un village paisible loin de la métropole, pour « embrasser les arbres », mais ne cesse jamais de tirer les ficelles du pouvoir en coulisses. Brièvement sorti de sa réclusion pour briguer sans succès la présidence en 2003, il retourne en politique en 2010, à la tête d’un nouveau Parti des droits du citoyen.

En janvier 2013, il atteint le sommet en remportant la première présidentielle au suffrage universel direct, face au candidat de la droite Karel Schwarzenberg.

– ‘Virose’ ou ‘cuite’? –

Milos Zeman est marié à son ancienne secrétaire Ivana, de plus de vingt ans sa cadette, une passionnée d’armes, qui s’engage activement en faveur de sa réélection. Il est père d’un fils, David, issu de son premier mariage, et d’une fille, Katerina. Amateur de cigarettes, Milos Zeman affiche aussi sa passion pour la bière tout comme pour les alcools plus forts, dont la « slivovice », une eau-de-vie de prune locale. Il provoque une consternation des médecins en affirmant qu’il consomme « six verres de vin et trois verres de spiritueux » par jour.

En mai 2013, la télévision le montre titubant, le regard vitreux, à l’ouverture d’une exposition ayant suivi une réception à l’ambassade de Russie. La présidence a alors démenti les conjectures sur l’état d’ébriété du chef de l’Etat, évoquant une « virose ». Depuis, le mot « virose » est devenu un synonyme de la « cuite » dans le langage populaire. La démarche titubante et un air parfois absent ne cessent de susciter des interrogations sur l’état de santé de l’homme qui marche avec une canne, et qui souffre de neuropathie diabétique et d’ennuis d’audition, selon ses médecins.

Cinq choses à savoir avant la présidentielle tchèque

La République tchèque est membre de l’Union européenne depuis le 1er mai 2004 tout en restant en dehors de la zone euro.

– Indépendance en 1993 –

En 1918, les Slaves de l’Ouest s’émancipent de la tutelle austro-hongroise. Le nouveau pays composé de Slovaques et de Tchèques prend le nom de Tchécoslovaquie.

En février 1948, le « coup de Prague » communiste fait tomber le pays dans le giron de l’URSS.

Après l’épisode du « printemps de Prague » (1968), débute en novembre 1989 la « Révolution de Velours » qui met fin à la domination soviétique et porte le dissident et dramaturge Vaclav Havel à la présidence du pays.

Le 1er janvier 1993, la partition du territoire donne naissance à deux Etats distincts: la Slovaquie (République slovaque) et la Tchéquie (officiellement baptisée République tchèque) dont Vaclav Havel devient, en février 1993, le premier président.

– Nouveau Premier ministre –

Depuis 2013, le chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans. Premier président élu de cette manière Milos Zeman, pro-russe, pro-chinois et hostile à l’immigration, brigue un second mandat.

Milos Zeman a désigné, le 6 décembre 2017, le milliardaire populiste Andrej Babis comme Premier ministre. Ce « Trump tchèque » a formé un gouvernement minoritaire comprenant des experts sans-parti, M. Babis ayant échoué à mettre sur pied une coalition.

– Reprise économique –

Fortement dépendante de l’industrie automobile et des exportations vers la zone euro, l’économie tchèque, sortie d’une longue crise en 2013, affiche une croissance solide qui devrait atteindre 4,5% en 2017 et 3,4% en 2018, selon la banque centrale tchèque.

Le taux de chômage est tombé à son plus bas niveau en deux décennies, s’établissant à 3,5% en novembre 2017.

– UE, Otan, Schengen –

Premier pays de l’ex-bloc communiste à être admis à l’OCDE en novembre 1995, la République tchèque a adhéré en 1999 à l’Alliance atlantique et a rejoint l’UE en 2004. Membre de l’espace Schengen, le pays est resté en dehors de la zone euro, gardant la couronne tchèque comme monnaie.

– Prague, joyau architectural –

Privé d’accès à la mer, ce pays d’Europe centrale comptant 10,6 millions d’habitants est entouré par la Pologne, la Slovaquie, l’Autriche et l’Allemagne.

Haut lieu du tourisme, sa capitale Prague abrite un centre historique inscrit en 1992 au patrimoine mondial de l’Unesco.

Les principaux rivaux de Milos Zeman

Jiri Drahos, académicien et « anti-Zeman ».

Chimiste et patron de l’Académie des Sciences entre 2009 et mars 2017, âgé de 68 ans, il occupe la deuxième place dans les sondages, derrière M. Zeman. Candidat préféré des pro-européens et des grandes villes, cet homme à lunettes aux cheveux blancs séduit par son élégance et ses manières délicates. La différence avec le langage de l’actuel locataire du Château de Prague est abyssale.

Michal Horacek, amateur de jeux et de poésie

La biographie de l’homme qui sillonne le pays depuis l’annonce de sa candidature en novembre 2016 pour « rencontrer et écouter les gens », est rocambolesque: chassé de l’université de Prague en plein régime communiste dans les années 1970 pour avoir contrefait un document nécessaire pour pouvoir traverser le rideau de fer et se rendre aux Etats-Unis, il se fait pendant un temps maître-nageur ou magasinier, mais gagne de l’argent surtout comme bookmaker et spécialiste de jeux de cartes.

Mirek Topolanek, libéral pragmatique

L’unique concurrent de Milos Zeman à avoir derrière lui une carrière politique, l’ex-chef du parti de droite ODS et Premier ministre entre 2006 et 2009, âgé de 61 ans, n’annonce sa candidature que 48 heures avant la date butoir en novembre, en réaction, selon lui, à certaines démarches du chef de l’Etat qu’il désapprouve fortement.

Pavel Fischer, boy-scout et diplomate

Proche collaborateur de Vaclav Havel en 1995-2003 puis ambassadeur en France en 2003-2010, il reproche à Milos Zeman d’avoir donné à la République tchèque une « réputation catastrophique » à l’étranger.

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