Saad Hariri © Belga

Mieux comprendre la crise libanaise, une crise qui risque de durer

Muriel Lefevre

Saad Hariri est pour l’instant à Paris, mais devrait retourner d’ici peu au Liban pour clarifier sa position. Depuis sa démission surprise du 4 novembre, annoncée depuis Ryad, l’inquiétude monte sur la stabilité du Liban, pays au coeur d’un bras de fer entre L’Iran et l’Arabie Saoudite. Quelques clés pour mieux comprendre une crise qui est tout, sauf anodine.

Depuis son indépendance en 1943, le Liban s’est retrouvé souvent malgré lui confronté à la géopolitique complexe et mouvementée du Moyen-Orient. Par exemple, l’afflux massif de réfugiés après la création de l’État d’Israël ou encore la récente guerre en Syrie ont eu des influences notables sur le pays. Un pays que d’aucuns qualifient d’ « avion sans pilote » et qui est extrêmement vulnérable aux guerres plus ou moins froides que se livrent les grands acteurs au Moyen-Orient.

Mais c’est surtout depuis 2005, et l’assassinat dans un attentat à Beyrouth de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, père de Saad Hariri, que l’instabilité institutionnelle est devenue chronique. Cet attentat a en effet mis fin à la tutelle syrienne qui existait depuis la fin de la guerre civile de 1975-1990. Le Liban semblait pourtant avoir retrouvé un semblant de « normalité » institutionnelle depuis le compromis qui a permis l’élection de Michel Aoun, il y a un an et la formation du gouvernement de Saad Hariri. Néanmoins les tenants de la ligne dure contre l’Iran reprochaient à Saad Hariri de cohabiter avec le parti chiite et de permettre l’expansionnisme iranien. Un compromis dont le Hezbollah est le seul gagnant selon eux.

Démission surprise

La crise libanaise a donc débuté par la démission surprise de M. Hariri annoncée à Ryad le 4 novembre 2017. Le Premier ministre libanais est ensuite resté en Arabie saoudite jusqu’à son arrivée, accompagné de son épouse, samedi à Paris où il a été reçu par le président français.

Le fait qu’il reste en Arabie Saoudite avait également soulevé de nombreuses questions. Le président libanais Michel Aoun avait accusé les Saoudiens de le retenir en « otage », ce que l’intéressé a démenti à plusieurs reprises. Détenteur de la nationalité saoudienne, M. Hariri, 47 ans, possède une résidence à Ryad où sa famille est installée.

Sa démission n’a donc rien d’anodin et a en réalité replacée le pays au coeur du bras de fer entre l’Arabie saoudite sunnite, considéré comme un important soutien de M. Hariri, et l’Iran chiite, grand allié du Hezbollah libanais.

Le Hezbollah un état dans l’état

Si la situation inquiète autant les Libanais et les observateurs, c’est aussi la dureté des propos de Hariri qui a accusé l’Iran de « mainmise » sur son pays au travers de son allié du Hezbollah au moment où Ryad, soutenu par les États-Unis, fulminait contre les ingérences prêtées au rival iranien dans la région. Le Hezbollah est aussi un ennemi juré d’Israël. Son chef Hassan Nasrallah a affirmé le 10 novembre détenir « des informations selon lesquelles l’Arabie saoudite a demandé à Israël d’attaquer le Liban », une accusation reprise par le président iranien Hassan Rohani.

Or même ceux qui sont les plus critiques envers le Hezbollah admettent que toucher à ce dernier au Liban risque de menacer l’ensemble du pays. On dit du Hezbollah au Liban qu’il est comme un État dans l’État et avec une puissance militaire autonome. Il est aussi très ancré parmi les chiites qui représentent un tiers de la population libanaise. Si ce parti est à nouveau une cible pour l’Arabie saoudite l’Arabie c’est aussi parce qu’il apparaît plus fort que jamais au Liban en venant au secours de Bachar el-Assad en Syrie.

« La classe politique libanaise est passée maîtresse dans l’art d’instrumentaliser les tensions géopolitiques pour polariser l’opinion publique selon des lignes de clivages confessionnelles et perpétuer ainsi sa mainmise sur des institutions étatiques asservies à des objectifs clientélistes. » précise encore le Figaro.

Une telle escalade fait craindre que la dissuasion réciproque qui empêchait tout embrasement s’effrite. La montée en puissance de l’Iran et le fait que Trump remet en question l’accord nucléaire changent la donne et font craindre une guerre israélienne contre le Hezbollah. Une guerre qui pourrait se révéler très meurtrière pour le Liban et mettre toute la région à feu et à sang. Proche de M. Aoun, Gebrane Bassil, le ministre des affaires étrangères libanais a d’ailleurs prévenu lors d’une visite à Berlin qu’en cas d’ingérence étrangère, son pays risquait de connaître le même sort que la Syrie voisine.

Retour au Liban

M. Hariri a confirmé ce week-end qu’il regagnerait Beyrouth dans « les jours prochains et participerai(t) à la fête nationale » le 22 novembre. « Et de là-bas, je ferai connaître ma position, après m’être entretenu avec le président Michel Aoun », a-t-il dit dans une brève déclaration en français. « Vous savez que j’ai présenté ma démission et on en discutera au Liban », a-t-il précisé ensuite en arabe. Pour l’instant, sa démission n’est pas reconnue au Liban et on n’en connaît toujours pas les motivations exactes. Comme le précise encore le Figaro la démission a eu des effets contradictoires sur l’image du président Libanais Aoun: « d’un côté, l’humiliation porte durablement atteinte à son image, au point que certains prédisent la fin de sa carrière politique. De l’autre, le regain de popularité dont il est l’objet, savamment encouragé par le Hezbollah, qui a joué à son avantage la carte du patriotisme bafoué des Libanais, est potentiellement un nouvel atout pour lui. » Il n’est donc pas impossible que ce dernier accepte la démission Hariri et le charge de former un autre gouvernement. Enfin si Ryad est d’accord.

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