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Merkel entame un quatrième mandat dans la douleur

Le Vif

La chancelière allemande Angela Merkel va enfin être reconduite mercredi dans ses fonctions, un quatrième mandat qu’elle attaque affaiblie et avec six mois de retard face aux défis populiste et de la réforme de l’UE.

Les députés élus le 24 septembre doivent l’élire chancelière en début de matinée. Puis elle prêtera serment, avant un premier conseil des ministres de ce gouvernement rajeuni et quasiment paritaire vers 17H00 (16H00 GMT).

La cérémonie marquera la fin d’un longue quête de majorité. Au final, c’est la coalition sortante et mal-aimée réunissant conservateurs (CDU/CSU) et sociaux-démocrates (SPD) qui est reconduite. Jamais depuis l’instauration de la démocratie, l’Allemagne n’avait eu besoin d’autant de temps pour se trouver un gouvernement.

Mme Merkel devra aussi diriger un pays profondément bouleversé par l’essor historique de l’extrême droite, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) étant depuis les législatives la première force d’opposition du pays avec 92 députés. Ce mouvement a su capitaliser sur les déçus du centrisme de la chancelière et ceux outrés par sa décision en 2015 d’ouvrir le pays à des centaines de milliers de demandeurs d’asile.

– ‘Clarté’ en Europe –

Pour nombre d’observateurs, elle attaque donc probablement à 63 ans son dernier mandat. Et certains lui prédisent même une fin prématurée, Mme Merkel ayant été malmenée ces dernières années jusque dans ses rangs conservateurs. Le SPD a quant à lui prévu un bilan d’étape de la coalition dans 18 mois.

« C’est tout a fait possible que cette coalition ne tienne pas quatre ans », résume sous couvert de l’anonymat un proche de la chancelière.

Le ministre désigné des Finances et poids lourd social-démocrate, Olaf Scholz a d’ailleurs reconnu que ce gouvernement n’était pas le fruit d' »un mariage d’amour ». Mais il a promis que les alliés étaient « en situation de travailler ensemble et de gouverner convenablement ».

En Europe, on espère en tout cas que la première puissance économique du continent sera vite en ordre de bataille. Angela Merkel doit en effet rassurer ses partenaires sur sa capacité à agir alors que l’Union européenne (UE) est ébranlée par le Brexit, le repli sur soi de certains membres et la popularité croissante des partis anti-système.

La réforme de l’UE figure d’ailleurs en haut de la feuille de route du nouvel exécutif allemand. Angela Merkel, flanquée du nouveau ministre des Affaires étrangères, le social-démocrate Heiko Maas, a promis de se hâter pour redonner à l’Allemagne une « voix forte » en Europe.

Dans les prochains jours, elle ira à Paris pour discuter avec le président français Emmanuel Macron de ses propositions de réforme de l’UE, notamment la mise sur pied d’un budget dans la zone euro, accueillie avec peu d’enthousiasme par Berlin.

« Nous n’arriverons certainement pas à détailler chaque facette des 20 prochaines années de la zone euro, mais nous allons pouvoir apporter de la clarté sur ce qu’on considère comme la prochaine étape », a promis Mme Merkel lundi, en amont du Conseil européen des 22 et 23 mars.

Affaiblie mais toujours là

Après la crise migratoire, l’essor de l’extrême droite et six mois d’imbroglio politique, Angela Merkel n’a plus, à l’aube de son quatrième mandat, l’aura d’une chancelière insubmersible. Mais elle est encore bien là. Depuis l’automne, rien ne s’est passé comme prévu. D’abord, sa famille politique conservatrice (CDU/CSU) a enregistré lors des élections législatives de septembre un score historiquement bas. Puis, il lui faut six mois, du jamais vu dans l’histoire d’après-guerre, pour former un gouvernement et au final reconduire l’impopulaire coalition sortante avec les sociaux-démocrates (SPD). Le débat sur l’après-Merkel est lancé. La présidente désignée du SPD, Andrea Nahles a ainsi ironisé récemment sur « le crépuscule des déesses ». Le chef des libéraux Christian Lindner veut croire, lui, qu' »après douze années, la méthode Merkel arrive à son terme ».

D’ailleurs, sous la pression de frondeurs de son propre parti, la chancelière de 63 ans a dû commencer à préparer sa succession. D’un côté, elle nomme une proche, Annegret Kramp-Karrenbauer, comme numéro deux du mouvement, pour préparer un « renouveau ». De l’autre, elle intègre au gouvernement son détracteur en chef, le jeune et ambitieux Jens Spahn.

– ‘Mama Merkel’ –

C’est à la fin de l’été 2015 que tout a basculé. Angela Merkel prend alors la décision historique d’ouvrir son pays aux centaines de milliers de demandeurs d’asile syriens, irakiens ou afghans qui traversent l’Europe à pied après avoir risqué leur vie en mer.

Malgré les inquiétudes de l’opinion, elle promet de les intégrer et de les protéger. « Nous y arriverons! », dit-elle aux Allemands.

Jusqu’alors, cette docteure en chimie qui porte toujours le nom de son premier mari n’avait guère pris de risque politique, surfant sur la prospérité née des impopulaires réformes de son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder.

Elle cultive l’image d’une femme prudente, voire distante, sans aspérité et qui aime les pommes de terre, l’opéra et la randonnée.

Pour expliquer sa décision sur les migrants, prise sans vraiment consulter ses partenaires européens, les « valeurs chrétiennes » reviennent sans cesse.

Ce logiciel, elle le tient de son père, un pasteur austère parti volontairement vivre avec sa famille dans l’Allemagne de l’Est communiste et athée pour prêcher l’évangile. Angela Merkel y grandit, s’accommodant du système mais sans perdre la foi.

Fin 2015 donc, la chancelière est émue et émeut avec ses selfies en compagnie de migrants reconnaissants. Celle qui fut parfois dépeinte en nazie pour son inflexibilité financière face à la Grèce se transforme en « Mama Merkel » des réfugiés.

Un an plus tard, après le séisme Donald Trump, certains médias et politiques la proclament même « leader du monde libre ».

En réalité, la médaille montre déjà son revers. Les migrants inquiètent, la peur de l’islam et des attentats s’installe, et l’électorat conservateur se détourne en partie vers la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). En septembre 2017, ce parti qui a fait du slogan « Merkel doit partir » un leitmotiv fait une entrée historique au Parlement, brisant un tabou de l’après-guerre.

La réputation de la chancelière prend encore un coup en décembre lorsqu’il ressort qu’elle n’a jamais présenté de condoléances aux familles des victimes de l’attentat au camion bélier de fin 2016 à Berlin. Le tueur, agissant au nom du groupe Etat islamique, était un demandeur d’asile.

– Coriace et sous-estimée –

En Europe aussi, la politique migratoire de la chancelière a conduit à son affaiblissement. Tout comme elle refuse la « mutualisation des dettes », une coalition de partenaires lui refuse de « mutualiser » ses migrants.

Mais Mme Merkel a des ressources, rebondissant à chaque coup dur pour au final atteindre ses objectifs.

« Quand on négociait des nuits entières (pour former le gouvernement), tous les collègues avaient les paupières lourdes qui se fermaient par moment. Sauf Angela Merkel. Elle fleurit à l’aube après avoir dirigé 20 heures de pourparlers », raconte, admiratif, le chef des conservateurs bavarois, Horst Seehofer.

Elle reste donc l’animal politique singulier et redoutable que les grands noms de l’Allemagne contemporaine avaient sous-estimé. A commencer par le chancelier Helmut Kohl, son père politique qui la qualifiait de « gamine ». En 2000, profitant d’un scandale, la débutante sans charisme écarte son mentor et chipe le parti conservateur à tous les hiérarques masculins.

Cinq ans plus tard, elle bat aux législatives le chancelier Schröder. Incrédule, celui-ci proclamera pourtant à la télévision que la « vraie perdante est Frau Merkel ».

« C’est une coriace, à la montagne comme dans la politique », souligne dans Die Welt la légende de l’alpinisme Reinhold Messner. « Ce ne sera facile pour personne de la démolir », résume ce proche.

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