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Mali: les rebelles sont entrés dans Tombouctou

Après Gao, les rebelles touareg ont pénétré dans la principale ville du nord Mali encore sous contrôle des forces gouvernementales. Mais que se passe-t-il exactement au Mali ? Voici quelques éléments pour comprendre la crise qui secoue le pays.

La progression de la rébellion dans le nord du Mali s’accélère. Les rebelles touareg ont pénétré dans la principale ville du nord Mali encore sous contrôle des forces gouvernementales. Des miliciens arabes loyalistes ont pris position pour protéger la ville. Après avoir pris Kidal vendredi et Gao samedi, les rebelles touareg sont entrés dimanche à la mi-journée dans la ville de Tombouctou, dernière ville du nord-est du Mali encore sous contrôle gouvernementale.

« Oui, les rebelles sont arrivés dans Tombouctou. Au moment où je parle, je les vois (se diriger) vers une banque de la ville », a déclaré un habitant, interrogé au téléphone depuis Bamako, et dont le témoignage a été confirmé par plusieurs autres sources précisant notamment qu’il y actuellement peu de coups de feu.

« Les deux camps de Gao sont tombés entre les mains de différents groupes rebelles. Gao est entre leurs mains », a déclaré à l’AFP un conseiller du gouverneur, interrogé au téléphone depuis Bamako. « Nous contrôlons le camp qui est à la sortie de la ville », a indiqué à l’AFP un élu de la région, Mohamed Assale, rallié aux rebelles du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), principale composante de la rébellion. « Les rebelles islamistes contrôlent le camp 2 qui est à l’intérieur de Gao. Avec les islamistes, nous avons le même objectif, la lutte contre le pouvoir malien », a précisé cette source. Principale ville du nord Mali encore sous contrôle des forces gouvernementales, à environ 1000 km au nord-est de Bamako, Gao abritait l’état-major de l’armée pour toute la région septentrionale. Il s’agit d’une grosse prise pour la rébellion.

Selon des témoins, interrogés par l’AFP dans la nuit de samedi à dimanche, les portes de la prison civile ont été ouvertes de force par des inconnus, et plusieurs bâtiments publics ont été pillés par des civils. Les responsables de plusieurs ONG internationales basées à Gao ont quitté la ville, selon une source sécuritaire sur place. Le chef de la junte militaire au pouvoir depuis le 22 mars à Bamako, le capitaine Amadou Sanogo, avait ordonné samedi soir à l’armée de « ne pas prolonger les combats », laissant de facto la ville ouverte aux rebelles qui y avaient lancé des attaques dans la matinée. A un millier de kilomètres au nord-est de Bamako, Gao, environ 90.000 habitants, abritait l’état-major des forces gouvernementales pour toute la région Nord.

Les putschistes ont déjà dénoncé l’incapacité du régime déchu à la stopper… mais leur action nourrit un flou qui profite aux rebelles du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), analyse encore l’anthropologue André Bourgeot sur Slate Afrique. Acculée, la junte a appelé lundi dernier les rebelles touaregs à « cesser les hostilités », mais n’a visiblement pas été entendue. « Nous les exhortons à cesser les hostilités et à rejoindre dans les plus brefs délais la table de négociation », a déclaré sur la télévision publique son chef, le capitaine Amadou Sanogo. « Tout est négociable à l’exception de l’intégrité du territoire national et de l’unité de notre pays », avait-il affirmé alors.

Pourquoi ce putsch militaire?

Jeudi 22 mars, une partie de la junte militaire a renversé le président Amadou Toumani Touré. A quelques semaines seulement de l’élection présidentielle du 29 avril, l’autoproclamé Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) a voulu précipiter les choses… Le porte-parole de ces soldats, le lieutenant Amadou Konaré, l’a expliqué à l’antenne de la radiotélévision nationale dont les mutins ont pris le contrôle.

Le but de ces soldats menés par le capitaine Amadou Sanogo: « mettre fin au régime incompétent » qui se trouve dans « l’incapacité (de) gérer la crise au nord » du Mali depuis la mi-janvier. La rébellion touareg y connaît en effet un nouveau souffle depuis la mi-janvier: elle bénéficie du soutien d’hommes revenus de Libye, lourdement armés, après avoir combattu pour le défunt « Guide » libyen Mouammar Kadhafi. Elle est notamment aidée par des groupes islamistes armés, en particulier Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

« Voilà plus d’un mois que le malaise au sein de l’armée était palpable », notait un universitaire proche d’ATT dès jeudi. « Les effets collatéraux de la révolution libyenne (…) ont ébranlé une société politique fragile », soulignait Vincent Hugeux, grand reporter au service Monde de L’Express. Le putsch n’est donc pas une réelle surprise.

Où sont le président ATT et ses ministres?

Le sort du président déchu, silencieux depuis son éviction, est resté incertain plusieurs jours. La junte a assuré qu’il allait « très bien » et se trouvait « en sécurité », mais sans dire où il se trouvait. Il a affirmé en fin de semaine ne pas être prisonnier. On l’a dit protégé par des militaires loyalistes ou la garde présidentielle, peut-être dans une base proche de Bamako. Préparerait-il une contre-offensive comme l’a assuré son entourage… Cette option est peu probable selon une source cité par Libération, « mais il peut tenir longtemps dans sa caserne ».

Mardi dernier, l’ambassadeur de France Christian Rouyer « a pu s’entretenir par téléphone avec le président ATT, qui l’a rassuré sur son sort [et celui de ses proches] », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Bernard Valero, en refusant tout commentaire sur le lieu où se trouverait le président. Un entretien qui, selon Bernard Valero, a eu lieu lundi dernier.

Plusieurs membres du régime déchu ont été arrêtés et sont détenus au camp de Kati, QG du nouveau pouvoir, près de Bamako. Quatorze d’entre eux ont entamé dimanche une grève de la faim pour protester contre leur détention « arbitraire » par la junte, selon leur entourage. Parmi les détenus figurent le Premier ministre et des membres du gouvernement, mais aussi des candidats à l’élection présidentielle initialement prévue le 29 avril.

Les soldats mutins en quête de soutien

Plus d’une semaine après le putsch, la junte semblait toujours naviguer dans « l’improvisation permanente », selon Vincent Hugeux… Les militaires mutins espèraient une normalisation de la situation, en début de semaine dernière. « Les pillages et débordements des premiers jours ont cessé », mais l’ambiance reste tendue à Bamako, raconte l’envoyé spécial du Monde. « Cette nervosité s’explique. (…) La junte au pouvoir, composée de militaires dont les plus gradés sont des capitaines, (…) est de toute évidence inquiète pour l’avenir. »

En quête de soutien, le chef de la junte a « exhorté la classe politique malienne à vite nous rejoindre, sans délai, pour tracer le chemin le plus court de retour à un ordre constitutionnel ». Pour l’heure, seul le parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi) archi-minoritaire (trois députés sur 147 sièges à l’Assemblée… dissoute!) lui a apporté son soutien en créant le Mouvement populaire du 22 mars (MP22).

Mobilisation générale contre la junte

Le nouveau pouvoir s’est attiré la condamnation de la majeure partie de la classe politique malienne. Les principaux partis du pays ont créé dimanche un « Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FUDR) », pour dénoncer le coup d’Etat. Sur le plan international, la moisson des soutiens est tout aussi maigre… Le putsch a aussi été condamné par l’ensemble des nations. Les Etats-Unis ont même annoncé la suspension de plusieurs dizaines de millions de dollars d’aide au pays. Cette unanimité s’explique par le fait que le mouvement des mutins « conduit à un recul de la démocratie », comme le note l’anthropologue André Bourgeot interrogé par Slate Afrique.
Ce coup d’Etat semble « porteur de graves périls pour l’unité nationale du Mali », selon un africaniste de l’Elysée interrogé par L’Express, pour qui « ce putsch n’arrange rien pour personne. » La Cédéao, l’organisation de l’Afrique de l’ouest, a d’ailleurs haussé le ton, fixé un ultimatum pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au lundi 2 avril, et a placé 2000 hommes en alerte pour « préserver l’intégrité du Mali » alors que la rébellion progresse dans le nord.

Comment sortir de la crise malienne?

Un sommet extraordinaire a eu lieu mardi dernier à Abidjan sur la situation au Mali, afin de remettre le pays sur des « rails constitutionnels », comme le note l’International Crisis Group. Sur invitation du chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, patron en exercice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, qui regroupe 15 états, sept présidents ouest-africains ont fait le déplacement d’Abidjan pour trouver une « position commune ».
« Nous devrons prendre d’importantes décisions à l’occasion de ce sommet qui engage l’avenir de la démocratie », a déclaré le président ivoirien, en ouverture des discussions. « Il nous faudra adopter une position commune sans équivoque sur la double crise politique et militaire qui secoue le Mali. (…) Nous devons également mettre en oeuvre des stratégies pour lutter contre les fléaux et les menaces qui fragilisent notre sous-région » au-delà du cas malien.

LeVif.be avec Marie Simon (L’EXpress)

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