© Thinkstock

Mafia: la solitude des repentis

Ils sont les antihéros de la lutte contre le crime. Les « collaborateurs de justice », ex-mafieux dont les témoignages sont souvent décisifs, se disent abandonnés par l’Etat italien.

Il rêvait d’une autre vie, loin de la Sicile, de ses flots de haine, d’argent sale et de sang. Il a fini miséreux, inutile, désespéré. Fin juillet, Francesco Marino Mannoia, 60 ans, célèbre repenti de Cosa Nostra, a tenté de mettre fin à ses jours en absorbant une surdose de médicaments. La chimie, c’était le truc de cet ancien raffineur de cocaïne à la solde des Corléonais. Mannoia était revenu en avril en Italie, après un long exil sous protection aux Etats-Unis. Mais les difficultés à trouver un logement, une écoute, une place dans une Italie fauchée et si ambivalente envers ses repentis ont fini par peser trop lourd sur le moral de l’ancien criminel. C’est son épouse qui l’a sauvé en le conduisant à l’hôpital. Cinq jours auparavant, Giuseppe Di Maio, 34 ans, un « picciotto » – sans grade – de Cosa Nostra, passé lui aussi du côté de la justice, s’était pendu dans un appartement de la banlieue miteuse de Gênes. Sa femme, qui l’avait répudié, n’était plus là pour le sauver. Autour de lui, il n’y avait plus personne, en fait.

Les « pentiti » crient leur révolte, mais l’Italie refuse de les entendre. Blacklistés par les organisations criminelles et parfois par leurs propres familles – « Je n’ai jamais enfanté ces deux infâmes ! » a hurlé une Sicilienne en apprenant que ses deux fils faisaient « copain-copain » avec les enquêteurs -, leur CV à jamais souillé du sang de leurs victimes, ils sont les antihéros de la lutte, les cocus de l’histoire, pensent-ils. Hier protégés, essorés par la justice, aujourd’hui abandonnés à leur sort.
« Les homicides liés à la Mafia ayant baissé, l’Etat ne les considère plus comme une priorité », se désole Me Mariella Di Cesare, avocate d’une vingtaine de collaborateurs de justice liés à la Camorra. L’Etat néglige de payer leur loyer, leurs déplacements jusqu’au tribunal, leur escorte, leur conseil, voire de répondre aux plus anodines requêtes administratives, concernant leur reconversion, par exemple. « L’un de mes clients n’a toujours pas reçu de réponse à sa demande d’inscription à l’université ! » s’énerve l’avocate, qui n’a pas perçu d’honoraires depuis un an.

La conversion se paie souvent au prix fort

Les fonds consacrés aux « collaborateurs de justice » par le ministère de l’Intérieur s’élevaient à 70 millions d’euros en 2006. L’enveloppe ne contient plus que 34 millions en 2011, soit une baisse de 50 % en cinq ans. Conséquence : les repentis, bénéficiaires d’une pension mensuelle de 900 euros, errent de ville en ville au gré des logements que l’Etat consent à leur trouver. Certains finissent dans des couvents, d’autres carrément à la rue. Selon le quotidien La Repubblica, 90 d’entre eux auraient été expulsés de leur domicile en 2010 pour défaut de paiement.
L’urgence n’est pas qu’économique. « Il est très difficile de changer de vie, ces hommes nécessitent aussi un accompagnement psychologique », assure Me Valeria Maffei, conseil d’une trentaine d’anciens mafiosi. Car, d’homme d’honneur à homme respectable, la conversion se paie souvent au prix fort. Après sa décisive confession au juge Falcone sur les secrets du trafic de drogue entre la Sicile et les Etats-Unis, en 1989, Mannoia, le raffineur de cocaïne, a perdu sa mère, sa tante et l’une de ses soeurs, assassinées par son ex- « famille ». Di Maio, l’oublié de la banlieue génoise, ne voyait plus ses enfants et était terrorisé par son beau-frère, un boss palermitain. « Le délinquant est malin : s’il ne trouve pas d’intérêt à parler, il se taira, et c’est la lutte anti-Mafia en Italie, mais aussi à l’étranger qui en pâtira », résume Me Marsiglia. Car la Mafia, elle, n’abandonne jamais ses affiliés. « Soit tu restes dedans, soit tu meurs dehors », avait mis en garde l’odieux beau-frère de Di Maio. Le « picciotto » s’est chargé du boulot tout seul.

De notre envoyée spéciale Géraldine Catalano

Une voix pour les « pentiti »

Quand on naît en Sicile, on choisit son camp : pour ou contre la Mafia », tranche l’avocate Maria Carmela Guarino, 53 ans. Elle a choisi. Depuis ses débuts, elle a défendu 150 « collaborateurs de justice », ces mafieux prêts à monnayer leur témoignage contre la clémence des juges et la promesse d’une vie nouvelle.
La gamine de Mussomeli, petite ville de la province de Caltanissetta, a grandi dans l’ombre de Cosa Nostra. A l’école, elle a côtoyé les neveux du boss Giuseppe Genco Russo. A l’université, alors que la guerre des clans ensanglantait Palerme, ses professeurs de droit assuraient que la Pieuvre n’existait pas. Sauf un : le juge Paolo Borsellino, féroce adversaire de la Mafia, assassiné en 1992 avec les cinq carabiniers de son escorte.
« J’ai voulu, moi aussi, contribuer à ce combat, poursuit Maria Carmela. A ma façon : en me faisant l’avocate des repentis. » Tant pis si le ministère de l’Intérieur, chargé de financer leur défense, est mauvais payeur. Tant pis si, parfois, la fatigue la gagne. « Je me battrai jusqu’au bout », jure-t-elle, assurant toutefois n’avoir jamais fait l’objet de menaces ni de pressions.
Anne Vidalie

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire