Rivalité, jalousie... Depuis plusieurs mois, les relations entre Emmanuel Macron et Manuel Valls s'enveniment. © S. MAHE/REUTERS - G. TIBBON/AFP

Macron-Valls, l’autre combat

Le Vif

Ces deux-là partagent le même logiciel économique, mais l’un est libertaire quand l’autre est sécuritaire. Avant même de savoir si le second remportera ou non la primaire de la gauche en France, la bataille entre eux a déjà commencé.

C’est une bataille sourde qui s’emballe en coulisses. A double détente. Qui de Manuel Valls ou d’Emmanuel Macron séduira les orphelins de François Hollande, privés de candidat depuis le 1er décembre ? Qui de l’ancien Premier ministre, s’il remporte la primaire de son camp, ou de l’ancien ministre de l’Economie, convaincra un électorat séduit par un discours réaliste sur l’économie, point commun aux deux hommes ?

Ce n’est pas un mystère : ces deux ambitieux-là ne passeront pas leurs vacances ensemble. Leur inimitié est faite de rivalité et de jalousie. De regrets, peut-être : c’est Valls qui a poussé Hollande à nommer Macron ministre, avant de comprendre qu’il avait fait entrer un animal affamé dans la bergerie. Depuis des mois, leur relation est faite de piques, d’escarmouches et de rancoeur.  » Moi, je ne fais pas du Macron, je ne me prête pas aux mises en scène « , lâchait avec mépris l’ex-Premier ministre français, cet été, tandis que Macron paradait à la Une de Paris Match.

Ils ont sapé l’autorité de Hollande

L’entrée en lice de Manuel Valls dans la course présidentielle tend davantage leurs rapports. Chacun pointe la traîtrise de l’autre.  » J’aime le combat à visage découvert, affirme Emmanuel Macron, le 4 décembre, dans les colonnes du Journal du dimanche. Tout le contraire des tireurs couchés.  »  » Le sniper, c’est le leader d’En marche !, rétorque-t-on dans le camp Valls. Macron n’a cessé de critiquer la politique menée par François Hollande, ce qui n’est pas le cas de l’ancien Premier ministre.  » En réalité, voilà quelques semaines que l’un comme l’autre sapent méthodiquement l’autorité du président français. Ils ont un intérêt commun : l’empêcher de se présenter. Ensemble, ces alliés objectifs ont fait tomber un fruit déjà bien mûr.

Chacun se pose en rassembleur

Valls est soucieux de récupérer les héritiers du hollandisme, même s’il  » ne faut pas apparaître comme des vandales qui font les poches des mourants « , disent ses proches. Désormais, il n’a plus de mots assez doux pour vanter le bilan du chef de l’Etat. Coauteur de la politique du quinquennat, dans sa seconde partie, il sait qu’il n’a pas le choix.  » Il met des tonnes de cirage à François Hollande, alors qu’il l’a tué « , s’étrangle un soutien historique du chef de l’Etat. Le ripolinage laissera des traces. Dans les entrailles du parti, où l’on ne goûte guère ce type de comportement, le miniputsh de Manuel Valls fait jaser.  » Ça va forcément écorner son image « , reconnaît le patron d’une grande fédération du PS. D’autant que Valls a fait de la loyauté son ADN politique et qu’il dispose déjà de solides ennemis à gauche. Comme Martine Aubry, la maire de Lille, Anne Hidalgo, sa collègue de Paris, ou Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la Justice.  » Elles vont devoir se poser la question qu’elles souhaitaient éviter, résume un élu parisien, celle de leur investissement dans la primaire. Si Hollande avait été candidat, elles l’auraient soutenu du bout des lèvres. Avec Valls, la question du soutien, même discret, ne coule pas de source.  » Les macronistes insistent :  » Valls est perçu comme clivant dans sa méthode de gouvernance « , affirme Corinne Erhel, députée socialiste, membre actif d’En marche ! Pour compenser,  » Valls va en rajouter sur son amour du Parti socialiste et de Jean Jaurès « , anticipe un responsable du PS.

C'est Valls qui a poussé Hollande à faire entrer Macron au gouvernement (ici, le Premier ministre, le président et le ministre de l'Economie, en 2014).
C’est Valls qui a poussé Hollande à faire entrer Macron au gouvernement (ici, le Premier ministre, le président et le ministre de l’Economie, en 2014).© Y. VALAT/REUTERS

Dans ce mano a mano, chacun se pose en roi du rassemblement. L’ancien ministre de l’Economie refuse de participer à la primaire de la gauche, une primaire d’apparatchiks aux airs de congrès du PS, dit-il, et vise le grand large. Richard Ferrand, secrétaire général d’En marche !, a bien noté que dans son discours de renoncement, le 1er décembre, François Hollande a lancé un appel à l’unité des progressistes.  » C’est Emmanuel Macron qui porte ce discours depuis le lancement d’En marche !, quand d’autres ont théorisé l’existence de deux gauches irréconciliables « , dit Ferrand, visant les propos de Valls, en février dernier, alors qu’il a plaidé pour la conciliation et la réconciliation dans son discours de candidature à la présidentielle. En privé, le candidat à la primaire estime qu’Emmanuel Macron commet une lourde erreur en refusant de participer à cette compétition : les voix du centre gauche se porteront sur lui (Manuel Valls), dès les scrutins des 22 et 29 janvier. Macron risque donc de devoir se déporter sur la droite pour avoir un espace.  » Nous ferons tout pour le « bayrouiser », pour démontrer que son aventure ne mène nulle part « , glisse un élu proche de Manuel Valls.

Si Valls emporte la primaire, le combat se poursuivra entre deux hommes qui partagent le même logiciel en matière économique. Tous deux s’inspirent de l’ancien Premier ministre Michel Rocard et se revendiquent d’une gauche soucieuse de créer des richesses avant de les distribuer. Dès qu’il est nommé Premier ministre, Manuel Valls clame son amour de l’entreprise dans toutes les langues. Il endosse et soutient le pacte de responsabilité, lancé avant son arrivée à Matignon et inventé par François Hollande avec son secrétaire général adjoint à l’Elysée de 2012 à 2014, Emmanuel Macron. Devenu ministre de l’Economie (août 2014), celui-ci continue de défendre la politique de l’offre et de la compétitivité. Et ne se prive pas de dire qu’Hollande n’en fait pas assez dans ce registre. En particulier, sur la réforme du marché du travail, indispensable à ses yeux. Macron est frustré de n’avoir pas pu porter des dispositions en ce sens dans la loi sur les nouvelles opportunités économiques qu’il préparait. Manuel Valls n’a pas voulu de ce texte pour ne pas offrir un espace politique à son concurrent direct. Le Premier ministre français s’empare alors du sujet et défend – pour se résigner ensuite à les retirer – les mesures les plus contestées de la première version de cette loi. Justement, celles inspirées par Macron !

Dans la conceptualisation de la politique économique, sociale et européenne, Macron a pris une longueur d’avance, définissant, à coups de tribunes, discours et interviews, sa vision de l’Europe, de la mondialisation, de la révolution numérique, etc. Depuis qu’il est ministre puis chef du gouvernement, Manuel Valls n’a pas théorisé son action. Il commence à prendre la parole sur ces sujets.

Valls retrouve de l’ascendant sur les questions de sécurité. Il a un passé de ministre de l’Intérieur (de 2012 à 2014) et a vécu, comme Premier ministre, les attentats qui frappent la France depuis deux ans. Son discours – notamment celui très remarqué du 13 janvier 2015 – définit un logiciel strictement républicain. A priori en phase avec la demande de sécurité et de fermeté de l’opinion.

L’inexpérience de Macron (jamais élu, jamais chargé de ces questions, même comme technocrate) constitue un handicap. Ses prises de position semblent aux antipodes de celles de son aîné : il s’interroge sur la permanence de l’état d’urgence. Il s’est opposé au projet de déchéance de nationalité. Il affirme que la société française doit assumer une  » part de responsabilité  » dans l’essor du djihadisme. Manuel Valls, lui, s’insurge contre  » l’excuse sociologique « .

QUI SONT LES PRO-VALLS ?

Les hollandais, orphelins depuis le renoncement du président, sont une cible de choix pour les vallsistes, même si ceux-ci prennent des gants pour les draguer. Plusieurs ralliements sont attendus. Des poids lourds comme Jean-Yves le Drian – ministre français de la Défense -, mais aussi les présidents des groupes parlementaires PS au Sénat, Didier Guillaume, ou à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, ou encore Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances. Un grand nombre de députés, de toutes tendances, basculent également dans le camp Valls. Stéphane Le Foll ou François Rebsamen, soutiens historiques du président, seront plus difficiles à convaincre. « Se précipiter dans les bras de celui qui a tué Hollande ? Pas sûr », grince un membre du premier cercle du chef de l’Etat français.

Deux conceptions de la laïcité

Sur les questions sociétales, aussi, deux visions s’opposent. Manuel Valls est partisan d’une stricte laïcité.  » Je continue de m’interroger sur le port du voile à l’université « , dit-il au Vif/L’Express, le 26 août. Il ne ferme pas complètement la porte à une interdiction du burqini ; Emmanuel Macron proclame son attachement à la laïcité, tout en affirmant que  » la religion en France n’est jamais un problème en soi  » (meeting de Montpellier, 18 octobre). Sur le cannabis, dans son livre Révolution (XO éd.), il se dit favorable à la contraventionnalisation de l’usage (sans aller jusqu’à la légalisation). Valls y est totalement opposé.

Résumons. En matière économique, les deux sont sociaux-libéraux. En matière sociétale, Valls est plus sécuritaire, Macron plus libertaire. Mais les campagnes vont lisser les positions. Déjà, Valls a commencé à gauchir son discours, sur la mondialisation, sur la laïcité. Il répète désormais que l’islam est  » une part indissociable de notre culture « . Emmanuel Macron, lui, veut atténuer le côté libéral de son projet – il sait cette étiquette très péjorative en France – et insiste sur les trois boucliers qu’il propose : laïcité, sécurité, social. A force de gommer leurs aspérités respectives, les deux ne risquent-ils pas de se ressembler davantage ?

Par Corinne Lhaïk et Marcelo Wesfreid; M.W.

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