Avant la finale du championnat de France de rugby, le 4 juin au Stade de France, les joueurs fidjiens ont mis un genou à terre pour saluer le président. Une marque de respect dans la culture des îles Fidji. © C.Simon/AFP

Macron, un état de grâce… et quelques doutes

Le Vif

Emmanuel Macron bâtit son personnage présidentiel avec une vraie maîtrise. Il aborde les élections législatives plus populaire que jamais. Seule l’ivresse de soi paraît parfois le guetter.

Le drame d’Emmanuel Macron sera-t-il d’oublier que l’histoire est tragique ? Après avoir affronté Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, il pouvait penser que la chance, décidément, sourit aux audacieux. Se poser en anti-Trump, après que les Etats-Unis se furent retirés des accords de Paris sur le climat, quelle aubaine ! Les bons contre les méchants, encore une fois. Mais voici que le terrorisme frappe de nouveau l’Europe, défiant le pouvoir effectif de la politique.

Il se passe pourtant quelque chose en France. Peut-être pas un état de grâce, mais une situation maîtrisée. Une communication verrouillée. Enfin, presque. Deux fois en trois semaines, les caméras ont volé des paroles présidentielles qu’aucune oreille n’aurait dû entendre : sur les syndicats, auxquels on ne révèle rien, sur ces embarcations de migrants comoriens arrivant à Mayotte, objets d’une blague malheureuse. Un président ne devrait pas dire ça. Car des doutes affleurent : et si tout n’était que construction chez cet homme-là ? Et si l’ivresse de soi le gagnait ? Déjà, un commentaire de celui qui se fait fort de ne pas commenter avait troublé. Sa poignée de main avec son homologue américain –  » un moment de vérité « , a dit Macron au Journal du Dimanche – a irrité Trump au point d’avoir influencé, selon le Washington Post, sa décision de renoncer aux accords de Paris.

Deusex machina. Ici, c’est la Ve République française. Le chef de l’Etat tient à ses prérogatives. Il n’a explicitement dit à Edouard Philippe qu’il le nommait à Matignon que lors de leur déjeuner du lundi 15 mai dernier, deux heures avant l’annonce officielle. Silence dans les rangs. Il est désormais interdit aux membres du gouvernement de raconter ce qui se passe au Conseil des ministres. Mais l’exposé du président sur la situation internationale, le 30 mai, à l’issue de la semaine qui l’avait conduit à rencontrer Donald Trump et Vladimir Poutine et à participer aux sommets de l’Otan et du G 7, a frappé les esprits.  » Juste lumineux « , a avoué un participant.

Emmanuel Macron n'a informé Edouard Philippe de sa nomination effective que quelques heures avant l'annonce officielle.
Emmanuel Macron n’a informé Edouard Philippe de sa nomination effective que quelques heures avant l’annonce officielle.© P. Wojazer/Reuters

Le caillou Richard Ferrand

Ici, c’est la Ve République. Le chef de l’Etat s’entretient au téléphone avec son Premier ministre juste avant que celui-ci ne participe au journal de 20 heures de France 2, le 30 mai. Car, en quelques heures, le climat s’est alourdi. L’Elysée s’était accordé un délai lors de la formation du gouvernement, pour éviter les erreurs de casting. Est-ce parce qu’il ne regarde pas dans la bonne direction ? L’exécutif ignore, au moment de choisir Marielle de Sarnez pour le ministère des Affaires européennes, que celle-ci est visée par une enquête préliminaire. Et ne sait évidemment rien du cas Richard Ferrand. Le ministre de la Cohésion des territoires est un élément important du dispositif. Il fut l’un des très rares, avec l’ancien maire de Lyon Gérard Collomb et le leader du MoDem François Bayrou, que le chef de l’Etat a informés de son choix de nommer Edouard Philippe à Matignon.

Hier, il caressait l’opinion dans le sens du poil, aujourd’hui, il la combat

Les affaires – celles des autres – ont beaucoup aidé Emmanuel Macron dans sa conquête de l’Elysée. M. Propre, c’était lui. François Fillon n’avait qu’à aller se rhabiller (et on sait chez quel tailleur). Hier, le futur président caressait l’opinion dans le sens du poil – en la matière, elle réclame toujours plus. Aujourd’hui, il la combat, alors qu’elle demande déjà que des têtes tombent. Et la base militante de la République en marche (REM) n’est pas la dernière à se montrer exigeante. Ferrand, un caillou dans la chaussure à la fin de ce marathon électoral, qui s’achève avec les législatives des 11 et 18 juin.

Emmanuel Macron a beau n’en avoir jamais rien laissé transparaître, il a une connaissance  » inouïe  » des circonscriptions.  » C’est une passion ancienne chez lui, raconte l’un de ses amis. Il sait qui appeler pour débloquer la situation à peu près partout. Autant dire qu’au moment des investitures, c’est lui qui mettait tout le monde d’accord lorsqu’il y avait une hésitation sur le candidat que devait choisir En marche !  » Le 4 juin, dans un salon du Stade de France, le président en profite pour saluer un par un les candidats REM des départements dont sont issus les deux finalistes du championnat de rugby. La petite bande, avant le big bang.

Les accusations contre Richard Ferrand : un feuilleton qui risque de peser sur le résultat de la REM aux législatives.
Les accusations contre Richard Ferrand : un feuilleton qui risque de peser sur le résultat de la REM aux législatives.© GEOFFROY VAN DER HASSELT/Belgaimage

Zizanie à droite

Le big bang ? Le dernier à s’y être risqué en France s’appelle Michel Rocard : en 1993, il s’y était brûlé les doigts. Cette fois, c’est la droite autant que la gauche qu’Emmanuel Macron cherche à recomposer. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait : la politique, c’est souvent une histoire de ressources humaines. A droite, certains sexagénaires sont libres comme l’air. Jean-Pierre Raffarin est de ceux-là, qui a proposé la création d’un groupe de députés  » constructifs « . Le 7 mai, il a écouté debout L’Hymne à la joie, de Beethoven, retentir au moment où le nouveau président s’avançait vers la pyramide du Louvre.  » Cela fait dix ans que Nicolas Sarkozy nous explique que l’élection se gagne dans une course à droite, or elle vient de se gagner au centre « , observe l’ancien Premier ministre. Si LR peut rester une confédération, très bien –  » A Xavier Bertrand et Valérie Pécresse de sauver le mouvement  » ; sinon ce sera peut-être la scission.

La politique, c’est souvent une histoire de ressources humaines

C’est déjà la friction. Le vice-président des Républicains Laurent Wauquiez n’en dit mot publiquement, mais il a bouilli en voyant celui qui est censé être son complice du moment, François Baroin, reprendre, dans Le Parisien, le terme de  » covoiturage « . Les deux hommes ne parlent déjà même plus la même langue. Un jour, en repartant du cabinet d’avocats où Me Baroin l’a accueilli pour une discussion en tête à tête, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a failli trébucher dans les escaliers. Le maire de Troyes vient de lui assurer que l’on peut être heureux sans être président. Un autre jour, Wauquiez l’impatient chancelle, il redoute une débâcle telle que la reconstruction serait longue. Politique, année zéro.

Par Éric Mandonnet.

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