© AFP

Macron, le président chamboule-tout

Le Vif

Le chef de l’Etat français a choisi son étendard pour la bataille des législatives : le renouveau. Et un Premier ministre venu de la droite, Edouard Philippe.

Dimanche 14 mai, dans la soirée. Les huissiers et les maîtres d’hôtel de l’Elysée n’ont jamais vu cela. C’est le premier jour du quinquennat, des enfants gambadent dans les jardins. Leurs parents ont moins de 30 ans pour la plupart, ils sont venus fêter la victoire, leur victoire, émus, rieurs, étonnés d’être là. Emmanuel Macron reçoit ceux qui ont fait En marche !, les conseillers, les petites mains, qu’ils aient envoyé des e-mails ou sorti les poubelles.

Lundi 15 mai. Les historiens de la Ve République française n’ont jamais vu cela. Un couple (exécutif) se forme, c’est le plus jeune depuis 1958 : Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le nouveau Premier ministre, ont, à eux deux, 85 ans. Record Giscard-Chirac battu (89 ans) – quand tous les autres tandems dépassaient les 100 ans, jusqu’au plus vieux, en 1992, Mitterrand-Bérégovoy, 141 ans au total. Cette fois, le choix répond à la promesse phare du candidat : fraîcheur et renouveau.  » C’est, pour moi, l’enjeu principal de cette élection, pointe un proche du nouveau président. Il n’y a pas une réforme clé du programme d’Emmanuel Macron qui ait marqué les esprits, son défi est d’abord politique.  » C’est le défi du chamboule-tout.

Au cours de la semaine de transition, Edouard Philippe s’isole et s’interroge : un socialiste finira-t-il à Matignon ?  » Cela décevrait des gens, ça voudrait dire qu’il y a eu un accident et que le fleuve revient dans son lit, explique-t-il. La droite n’attend que ça. Mais quand on a de l’audace, on va au bout de l’audace.  » Le fleuve ne rentrera pas dans son lit, il s’appelle le Rubicon. Devant ses amis, le maire du Havre se dit frappé par le nombre de personnes qui trouvent que François Baroin – le leader de la campagne des Républicains, qui a seulement cinq ans de plus que lui -, a pris un sacré coup de vieux, le 7 mai, à la télévision. En marche, en route, en taxi (et en direct à la télé) : alea jacta est.

Quand on a de l’audace, on va jusqu’au bout de l’audace » – Edouard Philippe, Premier ministre

Cela fait plusieurs années que le chef de gouvernement finalement choisi, ex-directeur général de l’UMP, premier des juppéistes parmi les élus, observe Emmanuel Macron. Ils comptent plusieurs amis communs, parmi lesquels Alexis Kohler, désormais secrétaire général de l’Elysée.  » Le mariage de Macron témoigne d’une solidité intérieure très impressionnante « , note Edouard Philippe immédiatement. Il le rencontre chez un ami commun, en 2011 :  » On s’est bien marrés.  » Après son élection à l’Assemblée nationale l’année suivante, il le voit à cinq reprises.  » J’ai plus souvent déjeuné ou dîné avec lui qu’avec François Fillon. Il est vrai que je n’ai jamais partagé un repas avec ce dernier !  » relève-t-il pendant la campagne présidentielle. Le 2 mai, il fait partie de la quinzaine de parlementaires invités à déjeuner par Valérie Pécresse. La présidente de la région Ile-de-France met les pieds dans le plat :  » J’ai eu des contacts avec l’équipe Macron, mais son projet n’est pas le mien. Or, un Premier ministre est là pour appliquer un projet.  » La plupart des convives veulent attendre les législatives. Edouard Philippe intervient peu. Il n’ignore rien des réticences de la droite. Mais il l’a souligné devant plusieurs de ses interlocuteurs : il n’a plus rien en commun avec Laurent Wauquiez, tenant d’une ligne très droitière chez les Républicains. Il le répétera, la semaine suivante, à son prédécesseur à la mairie du Havre, Antoine Rufenacht, qui tente de le dissuader en lui rappelant que le père de l’UMP, un mouvement né pour faire travailler ensemble des gens ô combien différents, n’était autre qu’Alain Juppé.

Le maire du Havre et le minitre de l'Economie, en février 2016, à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique.
Le maire du Havre et le minitre de l’Economie, en février 2016, à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique.© Venance/AFP

Six jours avant sa nomination à Matignon, Edouard Philippe se confie au Vif/L’Express :  » Il est absurde de croire qu’il ne s’est rien passé le 7 mai. Emmanuel Macron a 39 ans, il gagne contre les partis, il a montré des choses impressionnantes en termes d’audace. Ceux qui pensent qu’il n’a été élu que par défaut et par pure chance ont tout faux. Il a une lecture extraordinairement gaullienne des institutions. Le chef de l’Etat est élu, il identifie une majorité qui soutient l’action pour laquelle il a obtenu des voix, le gouvernement doit refléter et être la première incarnation de cette majorité que le président veut dessiner aux législatives.  »

Il connaît par coeur l’histoire du pouvoir.  » On a eu tous les cas de figure. Un président et un chef de gouvernement qui se connaissent depuis très longtemps et ne peuvent pas se voir (Mitterrand et Rocard), un duo qui repose sur des proximités personnelles ou sur des alliances politiques. Mais nous sommes dans une ère nouvelle. On ne peut pas comparer ce président avec des types qui se sont présentés trois fois ou qui ont derrière eux une carrière politique de trente ans. Par définition, Macron ne connaît personne depuis trente ans ! Soit on continue avec les règles du passé, soit on considère que ces règles ne sont plus opérantes.  »

Porte-flingue de Juppé

Il avait décidé de ne pas être un ministre d' » ouverture  » –  » Cela a un effet technique si on nomme un compétent du camp d’en face, mais pas une portée politique, cela n’en a jamais eu.  » Parce que c’est à Matignon qu’il s’installe, dans les habits du chef de la majorité si Emmanuel Macron reste fidèle à l’esprit de la Ve République, il ne sera pas un super-Kouchner. La droite, longtemps, n’a pas voulu croire à cette nomination.  » C’est un choix de dingue ! remarquait Laurent Wauquiez quelques jours plus tôt. Il n’a aucune expérience gouvernementale, il est détesté par tous les parlementaires, c’était le porte-flingue de Juppé, un type très brutal et seul à l’Assemblée nationale.  » Il est exact qu’Edouard Philippe ne suscite pas l’unanimité à droite. Son meilleur ennemi s’est longtemps appelé Nicolas Sarkozy. Elu maire du Havre en 2014, il n’avait pas eu droit à un coup de fil de félicitations de celui qui allait revenir sur la scène publique et qui avait pourtant trouvé le numéro des vainqueurs de communes autrement plus petites.  » Il a un poids politique réduit, c’est pour ça qu’il est choisi « , maugrée un proche de Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France.  » Est-on sûr que les Français savent qu’il est de droite ?  » se moque un ancien ministre pour souligner sa faible notoriété.

Ma génération suit un leader plus qu’un projet » – Marlène Schiappa, figure d’En marche !

Les lignes sont difficiles à déplacer. C’est du côté de la droite dite ouverte que tous les regards se tournent. Avant le premier tour de la présidentielle, des proches d’Alain Juppé pointent les intersections entre le programme de leur ex-champion et celui d’Emmanuel Macron.  » Les ressemblances sont flagrantes. Les deux hommes ont un centre de gravité commun : la réconciliation « , dit l’un de ces juppéistes. La différence se situe dans la stratégie politique :  » La force de Macron est de s’être affranchi des partis. Ce que Juppé ne pouvait pas faire « , souligne, admiratif, un conseiller du maire de Bordeaux. Résultat de ce travail de rapprochement : un document circule actuellement entre les mains d’Alain Juppé et de l’équipe Macron. Il dégage les zones communes en matière économique et sociale (fiscalité, compétitivité, droit du travail, etc.), mais aussi sur les valeurs fondamentales : comme Juppé, Macron se définit en opposition à Marine Le Pen. Ce texte ne trouvera son usage qu’après les législatives, le cas échéant.

Marlène Schiappa, 34 ans, a
Marlène Schiappa, 34 ans, a « signé un chèque en blanc à Macron ». © JF Monier/Afp

D’ici là, l’ancien candidat à la primaire ne veut pas mettre en difficulté les candidats de son camp. Il entend soutenir certains d’entre eux. Après, si En marche ! n’obtient pas la majorité absolue, le Premier ministre aura besoin de l’apport de cette  » droite libérale, moderne et européenne incarnée par Alain Juppé « , dit un proche. Et de préciser :  » Le maire de Bordeaux veut que le quinquennat réussisse, ce qui n’est pas l’état d’esprit d’un Laurent Wauquiez. Les députés LR sur cette ligne pourraient alors voter la confiance au gouvernement.  » Le programme commun rédigé par les juppéistes servirait de base à un accord de gouvernement.

La configuration est inédite, la bataille des législatives, par conséquent, plus incertaine que jamais. Un ami du président remarque :  » Macron est devenu une star mondiale, mais cela ne suffit pas forcément à vous faire gagner la circonscription de Romorantin…  » Le président a choisi son étendard pour mener cette campagne : le renouveau. Déjà, au ministère de l’Economie, il combat ce qu’il appelle la vieille politique. Y compris au sein de son propre cabinet : comme ministre, il doit convaincre certains d’aller chercher une majorité et de droite et de gauche pour voter sa loi sur la croissance. Si la tentative échoue – il faut recourir au 49-3 pour faire adopter le texte -, elle est déterminante pour la suite.

Le vieux monde, voilà l’ennemi, et il n’a pas été anéanti par la victoire du 7 mai. Présent une bonne partie de la nuit du 10 au 11 mai lors de la finalisation des investitures, Emmanuel Macron n’évite pas les ratés. Il va vite découvrir que son allié François Bayrou veut notamment placer Henri Plagnol, maire de Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris, élu conseiller municipal pour la première fois en 1989. Ou Jean-Louis Bourlanges, brillant analyste politique, né en 1946. En vain. Le président du MoDem impose tout de même son bras droit, Marielle de Sarnez, candidate à Paris, née en 1951, élue depuis 1999.

La querelle autour de l’investiture de Manuel Valls, elle aussi, réveille les anciens. Ce n’est pas anodin : les aînés (Gérard Collomb, François Bayrou) défendent un traitement respectueux de l’ex-Premier ministre, par égard pour la fonction. Tandis que la jeune garde relaie la pression de la base : du passé, faisons table rase.

C’est un choix de dingue ! Il n’a aucune expérience gouvernementale » – Laurent Wauquiez

En marche ! – c’est sa marque de fabrique – attire de nouveaux visages, bien souvent jeunes. Par exemple, Marlène Schiappa, 34 ans, l’une des figures du macronisme. La référente pour l’égalité femmes-hommes, adjointe au maire du Mans, Jean-Claude Boulard, adhère sur un coup de coeur et de clic.  » Ma génération suit un leader plus qu’un projet. J’ai donc signé une sorte de chèque en blanc à Emmanuel Macron, puis chaque étape a conforté mes choix. Les politiques traditionnels croient que l’on veut mener la vie de nos parents ou de nos grands-parents, travailler trente ans dans la même entreprise.  » Bienvenue dans le monde des Bisounours ?  » Non, ce n’est pas du flan, répond un quinquagénaire, responsable d’un comité local En marche ! et candidat aux législatives. Ce mouvement, c’est une énorme aventure humaine. Je n’ai jamais vu une telle capacité de dévouement, une volonté d’écrasement des conflits, de respect de l’autre. Même ceux qui ne votent pour nous le voient bien. Quand je réunis 150 personnes dans un café, mon concurrent LR se retrouve face à 20 personnes.  »

Edouard Philippe salue son prédécesseur au poste de Premier ministre, Bernard Cazeneuve, le 15 mai, à Matignon.
Edouard Philippe salue son prédécesseur au poste de Premier ministre, Bernard Cazeneuve, le 15 mai, à Matignon.© B. Tessier/Reuters

Le renouveau, ce sont les femmes qui l’incarnent le mieux. Moins présentes dans la vie publique, elles n’ont pas eu le temps, en principe, d’en épouser les vices. Emmanuel Macron impose une stricte parité pour les législatives, avec des circonscriptions gagnables pour les candidates. La moisson de départ est faible : à peine 15 % de vocations féminines. Le chiffre passe à 25 % après une vidéo du candidat, puis à 45 %. Mais, dans les jours précédant le premier tour, les hommes rappliquent, attirés par les perspectives d’une victoire de plus en plus certaine. La vieille politique est résiliente… Au final, il y aura 71 % de dossiers de candidats et 29 % de candidates. Alors, la sélection a-t-elle été plus féroce pour ces messieurs ? Pas vraiment, car les femmes sont beaucoup plus motivées, plus structurées et leur argumentaire mieux travaillé. Marlène Schiappa confirme :  » Il faut une volonté farouche aux femmes pour se lancer ; celles qui le font sont celles qui se sont interrogées et s’estiment ultracompétentes.  »

Le renouveau, ce n’est pas le dégagisme.  » Si Emmanuel Macron fait confiance aux jeunes, il a besoin de l’avis des plus âgés « , souligne un ex-conseiller. D’où cet aréopage de seniors – Gérard Collomb, François Patriat, Jean-Yves Le Drian, Jean-Paul Delevoye, François Bayrou, etc. – qui font au chef de l’Etat une réputation de séducteur du troisième âge.  » Nous voulons la mixité, confirme Marlène Schiappa. L’expérience est nécessaire, il ne s’agit pas de tout recommencer à zéro.  » Le plus dur est de le savoir.  » Il n’y a pas une pratique politique totalement pure, explique un candidat aux législatives. Alors, c’est parfois difficile pour les petits jeunes, hypermotivés, idéalistes, qui ont du mal à gérer leurs émotions.  » Le passage à l’âge adulte, c’est toujours dur.

Par Corinne Lhaïk et Éric Mandonnet.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire