Emmanuel Macron sur l'esplanade du Louvre au soir de sa victoire à la présidentielle. Une cérémonie chargée de symboles. © Belgaimage

Macron a réussi à tirer profit des circonstances pour se hisser au sommet

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le naufrage de son principal rival François Fillon a notamment contribué à sa propulsion à la tête de l’état français. Mais, en transcendant le clivage gauche-droite, il a aussi réussi à forcer le destin. Ce qui l’autorise aujourd’hui à appliquer une politique de… droite.

La séquence restera parmi les images emblématiques de 2017. Au soir du 7 mai, Emmanuel Macron, après une marche solennelle rythmée par la seule Ode à la joie de Beethoven, prononce son discours de président élu au pied de la pyramide du Louvre. Le célèbre musée pour la fidélité à la tradition, la promenade solitaire pour la filiation avec François Mitterrand, et le compositeur allemand pour la profession de foi européenne : le jeune chef de l’Etat se plaît d’autant plus volontiers à convoquer les symboles que son inexpérience politique a soulevé chez ses plus vilains détracteurs la question de sa capacité à remplir le rôle. Pour beaucoup d’autres, dominent l’admiration – l’ancien ministre de l’Economie jamais élu et sans armada partisane a lancé sa campagne moins d’un an auparavant – et le soulagement – l’élection, plus que tout autre, s’est égrenée sous le spectre d’une victoire de l’extrême droite.

Sur les ruines de l’alternance ratée

Comment ce trentenaire venu d’Amiens, passé par la banque Rothschild et par le secrétariat de la présidence Hollande, a-t-il réussi le pari fou de conquérir l’Elysée à partir de rien ?  » Emmanuel Macron a bénéficié structurellement du sentiment de déception ressenti par la population après l’alternance des présidences de droite, celle de Nicolas Sarkozy, et de gauche, et, conjoncturellement, d’un jeu de candidatures où il a réussi à imposer la configuration de la campagne, analyse Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB. En outre, des éléments, dont il n’avait pas la maîtrise, lui ont été favorables : l’élimination à droite d’Alain Juppé, la candidature de François Fillon tirée par le bas en raison des affaires, et le choix de Benoît Hamon comme candidat du Parti socialiste.  » Le Penelopegate, révélé par Le Canard enchaîné le 24 janvier, devient, il est vrai, le tombeau des ambitions de l’ancien Premier ministre et, par son obstination à se maintenir, celui de la droite républicaine.

D’un point de vue politique, pas de renouvellement. On en revient à la Ve République voulue par de Gaulle

Un exceptionnel  » alignement des planètes  » a donc contribué au succès du phénomène Macron. Mais pas seulement. L’homme, incontestablement, a réussi à éviter les chausse-trappes inhérentes à pareille aventure. L’inexpérience en politique politicienne ? La campagne électorale le révèle tantôt habité par sa foi en la réussite (lors d’un meeting en décembre 2016 à Paris), tantôt compétent – surtout, en matière économique – et rompu aux techniques médiatiques (face à Marine Le Pen, au cours du débat de l’entre-deux-tours). Le procès en amateurisme ? Les premiers pas internationaux du chef de l’Etat et la distance qu’il impose d’emblée par rapport aux médias contribuent à la  » re-présidentialisation  » de la fonction. Une cohabitation avec la droite faute de parti structuré ? Le bénéfice du doute accordé au nouveau président contribue largement à la victoire, lors des élections législatives de juin, de La République en marche (LREM) qui obtient une confortable majorité à l’Assemblée nationale. Le brûlot de la première réforme emblématique du quinquennat, celle du marché du travail ? La crise est désamorcée par le biais de la concertation avec les partenaires sociaux et par la grâce des divisions syndicales…

Le président et son épouse, Brigitte Macron, lors des commémorations des attentats du 13 novembre 2015, à Paris.
Le président et son épouse, Brigitte Macron, lors des commémorations des attentats du 13 novembre 2015, à Paris.© NICOLAS MESSYASZ/belgaimage

Le renouvellement, ce n’est pas maintenant

Pour autant, Emmanuel Macron ne remplit pas tous ses paris. La rénovation politique promise, notamment, est encore en jachère.  » D’un point de vue strictement politique, on n’assiste pas à un renouvellement, observe Pascal Delwit. On en revient à la Ve République telle que l’a voulue le général de Gaulle. L’accent est davantage mis sur l’importance de l’homme ou de la femme candidat(e) à la présidence, indépendamment d’une structure partisane. Cela a été, pour partie, le cas du général et de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Lui non plus n’avait pas véritablement créé de grand parti pendant son mandat et il a été mis en difficulté à son terme en 1981.  » La République en marche, qui devait symboliser une nouvelle forme de participation citoyenne, ne bouleverse pas davantage les pratiques politiques, selon le professeur de l’ULB et coordinateur de l’ouvrage Les Partis politiques en France (ULB, 2014).  » La construction de LREM ne donne lieu à quasi aucune innovation. Au contraire, une forme de centralisme s’exprime à travers la présidence très verticale d’Emmanuel Macron et le rôle relativement effacé du Premier ministre Edouard Philippe. Même au sein du parti, c’est une discipline de fer qui est attendue de la part des parlementaires. On ne décèle aucune initiative, démarche ou projection qui marquerait un renouveau dans le fonctionnement partisan « , assène Pascal Delwit.

Sans en révolutionner le fonctionnement, Emmanuel Macron et La République en marche ont néanmoins chamboulé la scène politique française. Comment ? En provoquant l’implosion de la gauche et de la droite républicaine.  » C’est un bouleversement dans la mesure où l’émergence de LREM affecte le Parti socialiste comme Les Républicains, explique Pascal Delwit. Le premier est inexistant, inaudible, invisible. Il n’a ni leader ni même chef de groupe très visible à l’Assemblée nationale. En choisissant Laurent Wauquiez pour les diriger, Les Républicains optent pour une orientation bien plus à droite que les années précédentes. L’aile centriste a soit rejoint LREM, soit s’en est rapprochée. La question est de savoir si l’impact sur les deux principaux partis centripètes de l’échiquier français sera pérenne ou pas. De manière générale, LREM chemine actuellement du centre-gauche vers le centre-droit.  »

La présidence très verticale d'Emmanuel Macron contraint le Premier ministre Edouard Philippe (ici à g. au côté du secrétaire d'Etat Christophe Castaner) à jouer un rôle relativement effacé.
La présidence très verticale d’Emmanuel Macron contraint le Premier ministre Edouard Philippe (ici à g. au côté du secrétaire d’Etat Christophe Castaner) à jouer un rôle relativement effacé.© Aurelien Meunier/Getty Images

En déconnexion avec la réalité

Difficile en effet de nier qu’Emmanuel Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe pratiquent, au vu des premières mesures adoptées, une politique libérale assez traditionnelle.  » La modification de l’impôt sur la fortune, la réforme du Code du travail vont dans le sens d’une politique publique libérale, donc plutôt à droite, souligne le professeur en science politique de l’ULB. La prudence s’impose cependant. Le président français table beaucoup sur la théorie du ruissellement (NDLR : qui veut que les facilités accordées aux riches bénéficient in fine aux plus défavorisés par réinjection dans l’économie). Il faudra vérifier que dans la deuxième partie du quinquennat, des marges de manoeuvre ne se libèrent pas pour permettre de corriger socialement les dispositions prises dans les premiers mois.  »

Emmanuel Macron réussira-t-il à se débarrasser de l’étiquette de  » président des riches  » que ses plus virulents opposants de La France insoumise se sont empressés de lui accoler ? En l’occurrence, il n’y a pas que la rareté des mesures de justice et de protection sociales, hors la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % de la population, qui a contribué à stigmatiser le chef de l’Etat. Le sentiment d’un certain mépris de classe, aussi. Quelques saillies provocatrices ont ainsi décrédibilisé le président rassembleur. De sa dénonciation des  » fainéants  » qui s’opposent à toute réforme en France à la distinction abrupte entre  » les gens qui réussissent  » et  » les gens qui ne sont rien « , Emmanuel Macron a raté quelques occasions d’apaiser plutôt que de diviser.

Dérapages incontrôlés ou, au contraire, stratégie étudiée ? Pascal Delwit renvoie aux commentaires des spécialistes en communication et, en même temps, avance trois hypothèses explicatives.  » Premièrement, de telles sorties peuvent relever d’une déconnexion déjà observée par le passé en France. Une partie des citoyens rencontre des difficultés plus ou moins importantes. Or, le personnel politique en général, et Emmanuel Macron, en particulier, ne semblent pas prendre la mesure de cette situation. Deuxièmement, beaucoup d’observateurs n’ont cessé de le souligner : une fois que vous devenez président de la République, il est presque inévitable que vous deveniez déconnecté, ne fût-ce que pour de simples raisons de sécurité. Plus aucune rencontre spontanée n’est possible. Troisièmement, il y a dans le parcours d’Emmanuel Macron une forme presque revendiquée, quasi sarkozienne, de provocation et d’impudeur, qui s’inscrit en miroir de la tendance répandue de ces politiciens qui sont de plus en plus prudents dans leur communication. Ce trait peut relever d’un choix comme révéler un manque de self-control.  » Il faudra donc plus de six mois pour débusquer le vrai Emmanuel Macron, assurément un intéressant objet d’étude à long terme.

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