Etudes de comportement, analyses sanguines, suivis psychologiques ; "The Life Project" étudie des milliers de citoyens anglais depuis 1946 jusqu'à nos jours. © Istock

« Life Project » : 70 ans d’une étude sociologique unique au monde

Stagiaire Le Vif

Dans quelques jours, l’Angleterre célèbrera les 70 ans d’une des plus longues et brillantes études sociologiques au monde. Débutée en 1946 et retracée dans des dizaines de livres, elle influence toujours aujourd’hui la société britannique tout entière. Au point de parfois la déranger.

C’est l’histoire d’une étude vieille… de 70 ans. En 1946, un scientifique anglais, James Douglas, s’est mis en tête de collecter toutes les naissances de Grande-Bretagne entre le 3 et le 9 mars (environ 13.687 !). Le jeune docteur ignorait alors l’ampleur qu’allait prendre son projet, devenu plus tard une étude de cohorte à part entière lorsque ces mêmes personnes ont été recontactées aux différents stades de leur vie jusqu’à aujourd’hui. Dans quelques jours, ces « cobayes » sociologique fêteront leurs septante ans.

70.000 personnes pour la science

Selon Helen Pearson, journaliste et auteure du livre The Life Project: The Extraordinary Story of Our Ordinary Lives, cette étude est la plus longue sur le développement humain jamais menée dans le monde. « L’analyse de ces personnes a été tellement réussie que des chercheurs ont répété l’exercice depuis, se mettant à suivre des bébés nés en 1958, 1970, au début des années 1990 et au tournant du 21e siècle », écrit-elle dans The Guardian. Au total, ce sont plus de 70.000 personnes qui ont participé, et participent toujours, à ce type d’étude débutée à la naissance. En traquant et comparant des générations de personnes différentes, les scientifiques sont parvenus à identifier l’impact des changements politiques et sociaux sur l’évolution de ces personnes.

Toujours d’après l’article de Helen Pearson, cette étude a considérablement influencé le mode de vie des Britanniques et a permis de mettre à jour certaines évidences. Entre le danger du tabagisme à long terme, l’importance de l’éducation chez les enfants ou l’émergence de l’obésité, un thème a persisté de manière assez ardue depuis 1946 : les inégalités.

Une réalité qui dérange

A titre d’exemple, après la naissance de la première génération de bébés occultée, les mères avaient été soumises à des questions très précises ; « avez-vous réussi à vous procurer le demi-litre supplémentaire de lait quotidien nécessaire? Qui s’occupait de votre mari quand vous étiez au lit avec le bébé? Combien avez-vous dépensé en maillots de corps, jupons, grenouillères, chaussons, bonnets et draps pour bébé? Et combien avez-vous dépensé en blouses, corsets, soutien-gorge et culottes pour vous-même? »

Le résultat n’a pas manqué de choquer l’opinion publique, révélant que pour les bébés issus des familles les plus pauvres, 70% avaient plus de chances d’être mort-nés que ceux issus d’une classe plus élevée de la société. « Les résultats firent l’effet d’une bombe, arrivant juste à temps pour être intégré dans les plans du système de santé britannique (NHS), décrit Pearson. A son lancement, en 1948, la couverture santé associée à la grossesse et l’accouchement devinrent gratuits, et à la même époque des pensions de maternité plus généreuses furent introduites. » Le rapport fut « le brouillon de la couverture santé liée à la maternité qui existe depuis lors ».

Brouillon visionnaire d’une société en pleine construction, cette étude n’a pas seulement influencé le système britannique, elle a aussi réussi, d’après Helen Pearson, à « tendre à la Grande-Bretagne un miroir et parfois nous n’aimons pas ce que nous voyons. » Au point de ne plus oser se regarder en face ? Une nouvelle étude de cohorte, financée à hauteur de plusieurs millions de livres, devait démarrer cette année dans la continuité de plus d’un demi-siècle d’enseignements. C’était avant que le Conseil de recherche économique et social britannique n’y mette un terme à la fin 2015, dans un certain flou administratif. Personne n’est parfait…

Guillaume Alvarez

Sources : The Guardian, The Independent

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